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Continu, la nouvelle création de Sasha Waltz

Jeudi 19 mai 2011. Continu de Sasha Waltz, au Théâtre de la Ville. 

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L’ambiance était étrange hier soir au Théâtre de la Ville. Dominique Strauss-Kahn est inculpé pendant la première partie, libéré sous caution pendant la deuxième. Le public ne parle que ça à l’entracte et à la sortie. Tout le monde branché sur son smartphone, culture de l’info, quand tu nous tiens.

Cette création de Sasha Waltz était pour le moins bizarre elle-aussi. Ça commence très fort, avec trois hommes attachés à des harnais, se balançant doucement comme en apesanteur dans un grand silence. Faux grand silence d’ailleurs, ponctué par de nombreux toussotements et du vibreur de mon potable. Je comprends soudainement pourquoi les salles nous demandent d’éteindre nos téléphones, et pas seulement de les mettre en silencieux. En l’absence de musique, cela fait un bruit à réveiller les morts. 

Les danseurs, eux, continuent de se balancer devant les regards circonspects du public. Mais où sommes-nous exactement ? Au bout de cinq minutes, ils se décrochent finalement. La moitié de la salle peut enfin faire exploser sa toux retenue, et l’autre moitié de rire face à cette prolifération de rhino-pharyngite. Instant de détente de courte durée. La musique démarre, oppressante. La vingtaine de danseur-se-s débarquent sur scène, visiblement accablé-e-s. S’ensuit 40 minutes de déchaînement, de douleur et de souffrance.

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Il est assez facile de comparer Sasha Waltz à Pina Bausch. Ce sont deux chorégraphes allemandes, cela suffit au commun des mortels. Mais il y a plus que ça. Cette première partie de Continu fait indéniablement penser au Sacre du Printemps. Même dynamique de groupe oppressante, mêmes gestes lourds, même respiration brutale. “La force du groupe est poussée à l’extrême“, explique la chorégraphe. “Comment l’individu se comporte-t-il par rapport au groupe ? comment celui-ci l’intègre-t-il et le rejette-t-il ensuite, quelles forces agissent à l’intérieur du groupe ?“. Une façon de penser qui ressemble fort à l’oeuvre de Bausch.

Sauf que dans Le Sacre du Printemps, cette force sourde du collectif avait un but : mettre à mort, ou survivre. Dans Continu, on cherche un sens à toute cette souffrance. Mais pourquoi tant de haine, pourquoi tant de problèmes ? C’est peut-être ça l’enfer. Un monde où plus rien n’a de sens, où chacun-e est condamné-e à hurler sa peine avec les autres, sans pour autant les entendre. Le tout se termine par une longue mise à mort, un “Pan” qui résonne dans un bouche d’un danseur, et qui fait s’écrouler les autres, chacun à leur tour. Pas d’échappatoire à ce monde de souffrance, les deux survivants sont perdus. 

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L’effet est en tout cas efficace, et le public ressort aussi lessivé que les artistes, qui ont livré une danse extrêmement physique et violente durant cette première partie. Des jetés par terre, des portés, sans jamais s’arrêter. Aussi exténuant à danser qu’à regarder.

La deuxième partie est plus spirituelle, et peut-être aussi plus difficile d’accès. Le final est pourtant lumineux. Sur un sol blanc, “on s’observe soi-même en prenant une certaine distance“. Tout un programme. La danse est lente, contemplative. Les grands mouvements de groupe sont limité à trois ou quatre danseurs. On se demande une nouvelle fois où la chorégraphe veut bien nous emmener, jusqu’à ce que des petites mains soulèvent un bout de la toile blanche sur laquelle évolue la troupe. Un tableau plutôt, où chaque pas des danseurs a laissé une trace de couleur, noir, rouge, comme autant de coups de pinceau. Je devine le long dessin d’un rond de jambe, les traits plus appuyés des dégagés, et puis une oeuvre dans son ensemble.

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Sasha Waltz a créé Continu en prolongation de chorégraphies créées pour des musées. La danse au milieu d’oeuvres d’art. Ici, c’est l’inverse, c’est la danse qui a créé le tableau. Les petites mains soulèvent la toile à la moitié, avant de la rabattre vite fait sur le public. Nous avons assisté à la création d’une oeuvre d’art, mais nous n’auront pas droit de la voir finalisée. Frustration. J’ai envie de soulever la toile pour connaître le résultat. Et de voir ce que ça a donné la veille, et ce que donnera celle du lendemain.  

Continu, création de Sasha Waltz au Théâtre de la Ville jusqu’au 22 mai 2011. 

Commentaires (1)

  • genoveva

    Beau commentaire avec lequel je suis d’accord !

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