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Don Quichotte du Bolchoï : épisode 1 (et quel épisode !)

Mardi 10 mai 2011. Don Quichotte par le Ballet du Théâtre du Bolchoï, au Palais Garnier. Natalia Ossipova (Kitri), Ivan Vassiliev (Basilio), Alexeï Loparevich (Don Quichotte), Ekaterina Shipulina (la Reine des Dryades). 

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Quel mot pourrait résumer cette soirée ? Magique, éblouissante, enthousiasmante… Une soirée comme il y en a peu, et dont on ressort abasourdi-e. 

Le couple Natalia Ossipova et Ivan Vassiliev, et plus généralement la compagnie du Bolchoï, n’avaient en fait donné qu’un aperçu de leur talent vendredi dernier dans Flammes de Paris. Avec un ballet plus consistant, ils laissent place à toute leur démesure. 

Pourtant, le principe est resté le même : qu’importe l’histoire quand on a la bravoure. La pantomime, les personnages sont bien là, mais finalement, ce n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est ce bonheur indicible de danser, présent au plus profond de chacun-e, du couple d’étoiles au dernier-ère des figurant-e-s. Cette impression qu’ils-elles dansaient comme si c’était la dernière fois. Cette envie de dévorer la scène, et de transmettre au public leur plaisir. 

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Comment alors, pour ce dernier, rester de marbre face à un tel déchaînement ? Mieux vaut ne pas essayer de résister, et savourer plutôt sans restriction cet enthousiasme débordant, ce vent de folie qui emporte tout sur son passage. Garnier hier soir s’est transformé en Zénith de Paris, et ce public si sage en groupie de rock stars. Au dela des cris et des applaudissements, il y a eu plusieurs signes qui ne trompaient pas. Pour Fab, ce fut ce petit frisson qui parcourait l’assemblée à chaque préparation de Vassiliev. Ces quelques secondes avant que la musique ne démarre, et où l’on se réjouit d’avance de ce qui va nous arriver. Pour Elendae, ce fut l’absence de toux. Rien, pas même un petit crachotement, n’a surgi du public. Deuxième effet Kiss Cool du Bolchoï, savoir guérir les rhinopharyngites les plus récalcitrantes.

Il y avait Ivan Vassiliev. Je suis définitivement vaincue face à ce phénomène. Mais comment fait-il ? Mais comment est-ce possible ? Quelle importance, savourons et applaudissons. Malgré ses sauts pyrotechniques, jamais il ne se transforme en bête de cirque, tant tout ce qu’il fait est gracieux et musical. Face à lui, Natalia Ossipova donne l’impression d’être un cran en-dessous. Certes, ces jambes tricotent et elle sautent haut, mais une certaine raideur du haut du corps m’empêche d’adhérer vraiment à son personnage. Et pourtant, force est d’avouer que l’on a en face de soi une véritable de star, de celles qui savent tout donner et conquérir un public en un tour de main. Et l’on peut disserter sur ses qualités-ou non- d’actrice, elle est bien la plus crédible des Kitri qui soit, même avec ses mimiques, ses tics et sa bouche ouverte pendant ses grands jetés. 

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Pour le reste, il faudrait citer chaque noms des solistes et du corps du ballet, tant tout le monde a été exceptionnel. Il y a eu les très drôles Loparevich (Don Quichotte), Petukhov (Sancho), Simachev (le père de Kitri) et Savin (Gamache). La pantomime est ici plus proche de la commedia dell’arte, avec une gestuelle très accentuée. Inutile d’apporter vos jumelles. Il y a eu Merkuriev, le toréador très grrrrr et sa partenaire femme fatale au possible. Il y a eu Shipulina, gracieuse et précise Reine des Dryades, que je me réjouis de voir dans Kitri dans deux jours. Il y a eu les danseuses de rue, les tziganes, les dryades, la foule. 

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L’enthousiasme et la folie de cette troupe est telle que l’on pardonne tout : les tutus kitchs des dryades, la perruque improbable de Cupidon, les mimiques accentuées ou les portés de Vassiliev à une main-sur demi-pointe-en arabesque-sans les pieds. C’est du pur plaisir, et puis c’est tout. Qu’importe le reste. 

Dans les couloirs, Dieu tire la tronche et murmure que Rudolf n’aurait sûrement pas apprécié. Quelques danseur-se-s du ballet de l’Opéra de Paris applaudissent mollement avant de partir bien vite une fois le rideau baissé. Certain-e-s ont dû se prendre une claque. Car, même si cela fait finalement peu de temps que je viens à Garnier – quelques années – je n’ai jamais vu un public comme ça, aussi déchaîné. Que doivent penser ces danseur-se-s en entendant ces applaudissements qu’ils-elles n’ont jamais reçu, alors que ce qu’ils-elles montrent chaque jour est beaucoup plus propre, élégant, et mieux joué ? 

En lisant les forums et les blogs, ce sont pourtant des qualités indispensables aux yeux des balletomanes françai-se-s. “Elle surjouait, elle n’était pas vraiment dans son personnage“, “Il ne pensait qu’à briller. Et l’interprétation ?“. “C’est bien interprété, dommage que son travail ne soit pas plus propre“. Ce soir, le Bolchoï a finalement fait un étalage de ce que le public français est censé ne pas aimer : de la brillance avant tout, une pantomime exagérée, une attitude plus rentre-dedans qu’élégante et un travail pas toujours propre. Qu’est-ce qui fait que, pourtant, ce même public a adhéré comme jamais ? L’attrait de la nouveauté peut-être, renforcé par la présence d’Ivan Vassiliev, danseur véritablement hors-norme auquel il serait inutile de comparer qui que ce soit. Et puis cette joie de danse, si communicative, si enthousiasmante.

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Quelle belle soirée décidément. Mon seul souci aujourd’hui est qu’il me reste encore deux soirées Bolchoï, et que je commence à être sérieusement à cours de superlatifs. 

Commentaires (11)

  • genoveva

    Une soirée mémorable où je n’ai pas gâché mon plaisir avec les grincheux….. ravie de vous avoir rencontrée avec JR.

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  • Nakis

    J’aurais aimé assisté à cette représentation. Je connais uniquement le travail d’Osipova-Vassiliev dans de ballets filmés. Je suis toujours curieux chaque fois que j’assiste à un spectacle d avoir les réactions des spectateurs. Je suppose que Osipova-Vassiliev ont eu une ovation débout pendant longtemps? Je me souviens de “L’Histoire de Manon” en 1998 à l’Opéra Garnier avec Sylvie Guillem et Hilaire, comme aussi cette inoubliable ovation à La Scala pour Manon en janvier-20 minutes de standing ovation- où il y a eu une ovation extraordinaire à la fin du spectacle (mais c’était aussi très émouvant, c’est autre chose cette Manon côté émotion que les pirouettes joyeuses de “Don Quichotte” que j’aime beaucoup pourtant).

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  • Oh, mes aïeux ! je ne vois partout, sur twitter, sur la blogosphère que des torrents d’éloges sur le Bolchoï.

    J’ai pu avoir un billet pour vendredi soir : à lire votre compte-rendu enthousiaste et enthousiasmant, je pense que je vais passer un moment inoubliable. J’ai hâte !

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  • elendae

    Waouh, trop la classe, je suis citée dans un billet d’Amélie !! 😎
    Très joli article d’ailleurs, comme d’habitude…J’aime bien aussi celui du JDD dont tu as mis le lien sur twitter. Je dois dire que je suis un peu partagée, à la fois je suis un peu triste pour nos danseurs de l’ONP qui mériteraient davantage d’enthousiasme parfois, et qui doivent ne pas être vraiment à la fête en ce moment, et à la fois je me dis effectivement que si quelques leçons pouvaient être tirées de la venue de cette compagnie “amie et complice” (sic, ce sont de grands naïfs au JDD ou bien c’est du 2nd degré??), ça serait pour le mieux.

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  • Aurelie

    Je suis vraiment ravie de voir que je n’ai pas été la seule à être à cours de superlatifs après une représentation du Bolchoi. Etant moi-même danseuse, je reconnais la propreté des danseurs de l’Opéra, mais ceux du Bolchoi m’impressionne beaucoup plus car ce qu’ils montrent sur scène paraît impossible même avec beaucoup beaucoup de travail.

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  • @ Genoveva : Idem sur les deux points 🙂

    @ Nakis : Le public n’était pas debout, mais surtout très bruyant, et tout le temps ! Les applaudissements et cris arrivaient presque à chaque sauts. 20 minutes d’ovation pour Guillem, ça devait être quelque chose, dans un tout autre genre. 
    @ Klari : Vendredi, c’est en plus le couple infernal qui est distribué. 😀  J’ai hâte de connaître vos impressions. 
    @ Elendae : Surtout que ces applaudissements ne sont pas une jauge de qualité, genre le Bolchoï c’est mieux que l’Opéra de Paris. On a eu droit à de très belles soirées depuis le début de la saison : Le jeune homme et la mort, Le sacre du printemps, Mats Ek… Des choses que, je pense, le Bolchoï ne saurait pas danser. Mais voir autant d’enthousiasme, c’est décidément irrésistible. Des artistes qui ont de la personnalité, et surtout qui n’ont pas peur de le montrer, ça fait du bien aussi. 
    @ Aurélie : Les sauts de Vassiliev restent définitivement un mystère 😀
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  • luciole

    J’aime de plus en plus les russes et je suis très déçue de ne pas avoir assisté à une des représentations de Don quichotte par le Bolchoi. J’ai découvert ossipova il n’y a pas très longtemps sur youtube. J’aime également svetlana zakharova =>http://www.youtube.com/watch?v=3Vw6
    Les danseuses russes sont aussi plus souples et expressives que les françaises. Peut-être que les détracteurs n’aiment pas leur côté GRS ? Moi je trouve ça sublime.
    Merci en tout cas pour votre blog que je lis régulièrement et dont les articles sont très bien écrits ! D’ailleurs j’ai voté !

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  • Je regrette bien de pas avoir pu découvrir le couple star…

    Néanmoins j’ai passé une super soirée hier. Moi qui ai tendance à préférer une belle interprétation à un technique ostentatoire (même si les deux ensemble ça peut être bien aussi), ça ne fait pas de mal desfois de voir des danseurs qui se lâchent et je n’ai franchement pas boudé mon plaisir devant cette si belle troupe!!

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  • @ Luciole : Merci ! Certaines danseuses russes tombent parfois dans l’excès, et ça vire en effet GRS. Mais en ce qui concerne cette tournée, ce n’est absolument pas le cas. 🙂

    @ Sans atteindre les sommets de mardi, la soirée d’hier était en effet excellente. Je ne m’en lasse pas ! Et on essayera de se retrouver la prochaine fois 😉

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  • Libellule

    Pas eu le temps d’aller voir ce fameux Bolchoï….
    Apparemment j’ai raté quelque chose !

    Ceci dit, j’ai un frère qui est allé aux flammes de Paris, mais sans Vassiliev) et qui n’est franchement pas revenu très enthousiaste (pour être politiquement correcte…)

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  • @Libellule: Il faut que le frère vienne nous en parler alors. Si l’on parle du ballet en lui-même, Flammes de Paris n’est pas un pur chef d’oeuvre. A part le pas de deux du deuxième acte, j’avoue ne pas trouver grand chose à sauver. Je ne suis pas une fan de Ratmansky non plus. Si l’on parle des artistes, c’est autre chose. C’est très très différent de ce que fait l’Opéra de Paris. Quand on voit Alexandrova pour la première fois, c’est surprenant, mais ça marche bien, surtout qu’il ne faut pas prendre ce ballet au premier degré. Je n’ai encore croisé personne qui ait résisté à cette dernière ou à Vassiliev.  

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