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Don Quichotte du Bolchoï : épisode 2

Jeudi 12 mai 2011. Don Quichotte de Fadeyechev par le Ballet du Théâtre du Bolchoï, au Palais Garnier. Ekaterina Shipulina (Kitri), Alexandr Volchkov (Basilio), Alexeï Loparevich (Don Quichotte), Anna Nikulina (la Reine des Dryades).

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Il y a toujours cette petite crainte après une représentation d’anthologie : est-ce que l’on pourra toujours apprécier ce ballet après ça ? La réponse est oui. Ce Don Quichotte n’a pas atteint les sommets de sa version avec Natalia Ossipova et Ivan Vassiliev, mais cette soirée n’en fut pas moins savoureuse et enthousiasmante.

J’ai eu un peu tort lors de cette dernière critique, en écrivant que la bravoure l’emportait sur la trame. Le Bolchoï nous a bien raconté quelque chose, l’histoire d’un Don Quichotte au grand coeur et d’un couple de jeunes amoureux, l’histoire d’une joie de vivre. C’était bien un ballet, emmené par des numéros de pure virtuosité, mais qui n’étaient pas là par hasard.

Ekaterina Shipulina était une délicieuse Kitri. J’avais déjà remarqué son élégance, ses épaulements et sa belle danse dans des rôles secondaires lors des précédentes distributions. Elle n’a pas la rapidité de pas d’Ossipova, et ne fait pas de triples fouettés à la fin de sa coda. Mais elle est loin d’avoir déçu dans le rôle de la pétillante espagnole, joyeuse, mutine, et à laquelle il est vraiment difficile de résister. Alexandr Volchkov a bien tenu son rôle, mais paraissait peut-être moins à l’aise. Le danseur qui s’est véritablement fait remarquer reste définitivement Andreï Merkuriev, dans le rôle du toréador. Totalement rentre-dedans, totalement exagéré, mais tellement bien dansé qu’il serait dommage de bouder son plaisir. Le premier acte a été une véritable fête, entre la joie du couple soliste et la qualité de tous ces second rôles. 

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En fait, le deuxième acte aussi a été une fête, tout comme le troisième. Le brio et le bonheur de danser étaient toujours présents chez l’ensemble de la compagnie. Il y avait un peu moins de prouesses techniques époustouflantes, quoique Shipulina et Volchkov n’ont pas vraiment à rougir de leur niveau technique, et je me suis ainsi plus attachée aux seconds rôles, à ce Don Quichotte si drôle, aux multiples danses de caractère. Une soirée dont on ressort avec le sourire, une soirée de belle danse, une soirée qui fait plaisir. 

Je crois que vous l’aurez compris, cette découverte du Bolchoï a suscité chez moi un véritable enthousiasme. Au-delà d’Ivan Vassiliev, phénomène hors-norme, c’est toute la troupe qui a montré son appétit de danser. C’est un style auquel nos yeux de parisien-ne-s ne sont pas forcément habitués, mais qui a su vaincre presque tou-te-s les récalcitrant-e-s. Les ballets présentés n’étaient pas de grandes tragédies, c’est le moins que l’on puisse dire, et les danseur-se-s de cette troupe aiment briller plus que de raison. Mais quand c’est si bien fait, pourquoi bouder son plaisir ? Je me suis pour ma part jetée dans l’enthousiasme collectif sans une once de remord vis-à-vis du pur style français. 

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Les ovations à chaque fois entendues font tout de même se poser quelques questions. Pourquoi le Ballet de l’Opéra de Paris n’y a-t-il pas droit ? Ces applaudissements cris de groupies hystériques n’étaient pas une échelle de popularité, qui voudraient dire que le public préfère le Bolchoï à la troupe parisienne. Je continue de penser que l’attrait de la nouveauté, la surprise de voir cette débauche de brio auquel nous ne sommes pas habitué-e-s, est en partie la raison de ces ovations. Et puis depuis le début de la saison, l’Opéra de Paris nous a aussi offert de très belles soirées que je pense le Bolchoï ne saurait pas danser, comme Le Jeune Homme et la Mort, Le Sacre du Printemps, ou même plus récemment la soirée Mats Ek… Que du néo-classique ou du contemporain soit dit en passant.

Ce Don Quichotte Ossipova/Vassiliev m’a fait penser à la récente série de Roméo et Juliette, et à la réflexion que je m’étais faite. Oui, ce furent de très belles soirées, mais il n’y a jamais eu de spectacle exceptionnel. A chaque fois, il manquait quelque chose : de bons seconds rôles, un couple en osmose, des solistes excellents techniquement. L’oeuvre et la qualité globale de la troupe sont telles que ce fut toujours de très beaux moments, mais les distributions ne sont jamais allées au-delà. Avec ce Don Quichotte, ce fut l’inverse. Tout était génial, du couple d’étoile au moindre danseur du corps de ballet. Ils-elles n’ont pas dansé Don Quichotte, ils l’ont transcendé pendant plus de deux heures.

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Le Bolchoï a sans aucun doute sorti l’artillerie lourde pour impressionner le public parisien (alors que l’Opéra a proposé Cozette/Magnenet dans Le Parc à Moscou en février dernier), mais tout de même. Sur les quatre représentations que j’ai vu, tout le monde était incroyables, il n’y avait pas un soliste un peu en-dessous ou pas à sa place. Cette troupe a indéniablement une sacrée réserve de personnalités. Même si Ossipova et Vassiliev sont ultra-médiatisé-e-s, ils sont très très loin d’être les seuls. C’est peut-être ça qui manque à Paris en ce moment. Pas un ou une soliste à forte personnalité et brillant-e-s techniquement, mais toute une flopée. Faire un peu sa star, de temps en temps, ça ne fait pas de mal. 

Commentaires (6)

  • Je ne partage pas l’enthousiasme collectif pour Osipova/Vasiliev et pour Flammes de Paris (ce n’est pas un scoop 🙄 ), par contre je suis d’accord avec toi sur le constat que l’Opéra de Paris livre des soirées enthousiasmantes, et en rien inférieures à celles de quelque troupe que ce soit, précisément dans le répertoire néo et contemporain – j’aurais d’ailleurs ajouté la soirée Ballets Russes.
    Par contre, cette fameuse “joie de danser” qu’auraient les Russes plus que les autres, pour moi, c’est un pur mythe…

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  • Je me suis posée les mêmes questions (et pensais en faire un billet) sur la capacité du Bolchoï à danser du répertoire contemporain voire néoclassique. J’ai un doute.
    Je pense que ce qui différencie le Bolchoï des autres compagnies (je ne dis pas les Russes car le ballet de Novossibirsk l’an dernier était faible techniquement) c’est ce côté “cabotin”, que j’appelle dans mon dernier billet : « une façon de danser conquérante ». C’est une mentalité qu’on retrouve aussi dans les dorures de leurs églises, leurs palais… loin de la retenue et du « classicisme » à la française…

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  • Je ne suis pas familière des compagnies russes, mais je trouve cela un peu vite dit. Je n’ai pas un seul doute sur leur capacité à danser du contemporain aussi bien l’Opéra de Paris, d’ailleurs Roland Petit a bien donné son Jeune Homme à Vassiliev, et le Marinsky (encore plus « russe », pour le peu que j’en sache) danse aussi du Preljocaj et du Millepied.
    Quand aux soirées enthousiasmantes de l’Opéra de Paris, oui mais combien de soirées ennuyeuses pour une qui sorte du lot, quand les autres compagnies possèdent des solistes capable d’émerveiller le public à chaque venue ? La compagnie excelle dans « son » répertoire (à mon avis rien ne vaut une compagnie contemporaine pour du contemporain), comme les Russes dans le leur : la joie de danser qui transpirait des danses de caractère de DQ ne reflète que cette concordance de tempéraments. Et de la même façon, je vois chaque soir le Royal Ballet transcender la Manon de MacMillan (à tel point que je me demande comment je vais pouvoir regarder ce ballet en France l’an prochain…) parce que la technique et les talents d’acteurs de chaque danseur s’y accordent naturellement.

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  • Justement, Roland Petit, c’est quand même le contemporain d’hier, pas celui d’aujourd’hui ; Millepied, c’est ultra-réac (NYCB comme Ratmansky, comme par hasard…) ; et Preljocaj, c’est à mon avis plus une stratégie marketing pour se rendre acceptables au marché occidental, d’autant plus qu’aussi bien Le Parc que Blanche-Neige sont vraiment très consensuels…
    Cela dit, j’admets aussi volontiers que l’Opéra de Paris est doué pour inviter des chorégraphes de talents et les faire se planter (le nom de Sasha Waltz est le premier qui me vient à l’esprit…).

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  • @ Musicasola : Je ne sais pas si les danseurs du Bolchoï ont plus de joie de danser que les parisiens, en tout cas c’est plus visible.

    Et oui, nous avons eu de très belles soirées, mais le fait que ce ne soit que des programmes contemporains posent quand même des questions. L’Opéra de Paris est censée être une compagnie classique, et on a l’impression qu’elle danse mieux le nouveaux répertoire que les ballets académiques en plusieurs actes.
    @ Anne-Laure : Je ne suis jamais allée en Russie, donc difficile de discuter là-dessus, mais je trouve ton point de vue intéressant : il y a clairement une différence de style entre les deux compagnies, et ça va plus loin que la danse.
    @ Pink Lady : je te rejoins globalement, “combien de soirées ennuyeuses pour une qui sorte du lot”. Cependant, je pense que les compagnies russes sont encore loin de maîtriser le répertoire contemporain comme le fait l’Opéra de Paris. Vassiliev dans Le Jeune Homme et la Mort, d’après la vidéo que j’ai vu, ça reste bien loin de ce que fait Nicolas le Riche. Comme dit Musicasola, ils ne dansent pas non plus des oeuvres hyper-récentes, et Millepied reste beaucoup plus classique sur la forme que Pina Bausch par exemple. 
    On reste dans un tel niveau d’excellence qu’on ne peut pas dire que le Bolchoï ne sait pas danser Roland Petit, ou que l’Opéra de Paris plante horriblement ses ballets classiques. Ce sont des compagnies d’un tel niveau qu’il se passera toujours quelque chose sur scène. On a toutefois l’impression que l’Opéra de Paris est en ce moment dans le creux de la vague (surtout au niveau de ses solistes), que la direction refuse de l’admettre, alors que le Bolchoï est en ce moment dans une forme éclatante. 
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  • rasta popoulosse

    =D> j avais envie de ](*,) j etai 👿 😥

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