Don Quichotte : enthousiasmant épisode Dorothée Gilbert/Karl Paquette [Ballet de l’Opéra de Paris]
Ecrit par : Amélie Bertrand
Samedi 8 décembre 2012. Don Quichotte de Rudolf Noureev, par le Ballet de l'Opéra de Paris, à l'Opéra Bastille. Avec Dorothée Gilbert (Kitri), Karl Paquette (Basilio), Sarah Kora Dayanova (la Reine des Dryades), Marine Ganio (Cupidon), Allister Madin (le Gitan), Alexis Renaud (Espada), Héloïse Bourdon (la Danseuse de rue), Yann Chailloux (Don Quichotte), Takeru Coste (Sancho Pança), Eric Monin (Gamache) et Pierre Rétif (Lorenzo).
Après le retrait du couple Mathilde Froustey/Pierre-Arthur Raveau, je dois avouer que je me rendais à cette matinée avec une légère démotivation. Erreur ! Mais comment pouvait-on oublier que Dorothée Gilbert est de l'étoffe des Étoiles, des grandes ? Et que Kitri lui va de plus comme un gant ? La danseuse a non seulement ébloui le public, mais a aussi tiré tout le monde vers le haut, son partenaire et le corps de ballet. Pour au final une représentation enthousiasmante, comme on les aime, et d'où l'on ressort le sourire aux lèvres et claquant des doigts (et refaisant la chorégraphie finale dans les couloirs de Bastille, mais je suis un peu un cas).
C'était la Première de Dorothée Gilbert pour cette série, et la première fois qu'elle redansait ce rôle depuis au moins un an. Aisance, facilité, pantomime savoureuse... L'on aurait cru que c'était sa dixième représentation tant tout coulait de source. La danseuse n'a pas forcément à forcer pour se glisser dans la peau de Kitri, cette joyeuse jeune femme amoureuse. Tant mieux, elle n'est pas allée dans l'outrancier, mais a bien caractérisé son personnage. C'est une fille d'aubergiste, alors elle roule des hanches, elle marche talons en premier, elle râle et ne manie pas son éventail comme une princesse. Elle a le regard gouailleur, l'oeuillade facile... et on adore.
Techniquement, Dorothée Gilbert n'est pas allée dans la pyrotechnie, comme lors d'une représentation en Amérique Latine l'année dernière (vidéo à retrouver sur Youtube). Dommage oui et non, j'aime bien voir des prises de risque et de la virtuosité un peu outrancière dans ce genre de ballet, mais l’Étoile a dansé d'une si jolie façon, si assurée que je me vois mal lui reprocher quoi que ce soit. Chez elle, tout semble facile, sans contrainte, tout en suspension.
Dorothée Gilbert a de plus cette grande qualité : celle de savoir emmener les autres avec elle. D'emblée, Karl Paquette, que l'on disait un peu fatigué par un tel marathon, semble frais et dispo comme pour une Première. Bien sûr, il n'a pas l'aura de Nicolas Le Riche ou la virtuosité d'un François Alu. Mais il a cette indéniable bonhommie sur scène, cette façon de camper son personnage avec un total naturel et de le rendre si sympathique aux yeux du public. La grande complicité entre lui et Dorothée Gilbert se voit tout de suite, et rend leur couple d'autant plus charmant. Après tout, Don Quichotte, c'est aussi une histoire d'amour. En fait, on rit beaucoup avec cette distribution, entre deux Étoiles qui s'amusent, Yann Chailloux impeccable de théâtralité en Don Quichotte et Takeru Coste tout simplement irrésistible en Sancho Pança.
Le premier acte passe ainsi à toute vitesse. Plusieurs surnuméraires se sont glissés dans les pêcheurs, et ont à cœur de montrer ce qu'ils savent faire. Chacun dans le corps de ballet est là, concerné, heureux d'être sur scène. C'est peut-être un peu simpliste à écrire, mais la dernière série de La Bayadère ne donnait pas vraiment cette impression. On n'échappe pas à quelques longueurs cependant, mais bien plus dûes au découpage du ballet qu'aux artistes. Et oui, ce prologue, on s'en lasse bien vite, comme je ne comprends toujours pas l'intérêt du solo de la Danseuse de rue et d'Espada (un numéro de virtuosité de plus, ce n'est pas comme si cet acte 1 en manquait).
L'acte 2 démarre de la plus charmante des façons, avec un pas de deux vraiment émouvant entre les deux protagonistes. Décidément, ce partenariat Dorothée Gilbert/Karl Paquette fonctionne bien. Allister Madin est de plus en plus déchaîné en Gitant malgré les représentations qui s'accumulent. La vision des Dryades est là encore un très beau moment. Pour la première fois, je découvre chez Dorothée Gilbert quelque chose que je ne lui connaissais pas : du lyrisme. Et des équilibres... On est tout simplement en suspension avec elle. Dommage que la Reine des Dryades du jour, Sarah Kora Dayanova, est été un peu éteinte. Le Cupidon de Marine Ganio, enthousiaste, a heureusement donné du sel au passage (alerte Danseuse à suivre).
Le troisième acte déroule, et c'est un régal. On rit franchement lors de la pantomime de la taverne, et l'on est pas loin de taper des mains et des pieds dans la coda (je sais, je suis un public facile, mais c'était vraiment joyeux et entraînant). Les demoiselles d'honneurs ne sont pas en place, pas grave, leur soliste Marion Barbeau fait tout oublier avec des tours attitudes moelleux et une quadruple pirouette les doigts dans le nez (alerte Danseuse à suivre bis). Karl Paquette est toujours aussi entraînant et Dorothée Gilbert toujours aussi... Dorothée Gilbert ! Elle fouette, tourne, saute avec le sourire et ce charme irrésistible qui attire la lumière. C'est une belle danse, brillante, joyeuse, et ça fait plaisir à voir !
Cela fait finalement longtemps que je n'étais pas ressortie d'un grand ballet classique à l'Opéra de Paris, et encore plus d'un ballet Noureev, avecun tel sourire. Comme quoi, c'est encore possible. Je me suis aussi demandée comme j'avais pu oublier à quel point Dorothée Gilbert était une grande Étoile. Son talent ne se déploie pas mieux que dans ces grandes œuvres en trois actes. Et cela faisait bien longtemps que je ne l'avais pas vu ainsi. La faute à des blessures fortuites, mais aussi à une programmation. Je me suis faite la réflexion qu'elle n'avait peut-être pas assez à danser avec les saisons actuelles à l'Opéra de Paris, et que son talent était finalement assez sous-exploité. Raison de plus pour ne pas la rater.
Don Quichotte par le Ballet de l'Opéra de Paris, jusqu'au 31 décembre à l'Opéra Bastille.
Laisser un commentaire