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Giselle, classique et savoureuse [Ballet de l’Opéra de Bordeaux]

Dimanche 28 octobre 2012. Giselle de Charles Jude (d’après Jean Coralli et Jules Perrot) par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, au Grand Théâtre. Avec Oksana Kucheruk (Giselle), Igor Yebra (Albrecht), Marc-Emmanuel Zanoli (Hilarion) et Yumi Aizawa (Myrtha).

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On ne peut pas passer une saison sans voir Giselle. Voilà l’argument implacable que m’a tenu Impressions Danse pour me rendre à Bordeaux. Et l’idée n’est pas fausse. Car au-delà du Lac des Cygnes, Giselle est peut-être le ballet par excellence. L’amour, la folie, la mort, le pardon, le tout saupoudré d’une pointe de légende, quoi de plus universelle comme histoire ? Surtout dansée par une belle compagnie, soucieuse d’interpréter cette œuvre dans toute sa tradition (sans toutefois en faire quelque chose de poussiéreux, vaste équilibre).

Après des années à Garnier, la belle salle or, blanche et bleu du Grand-Théâtre de Bordeaux semble presque intimiste. Et c’est d’ailleurs l’impression qui se dégage au lever du rideaux. La production est simple, sans fioriture. Pas de décor grandiloquent, juste ce qu’il faut pour évoquer un petit village de campagne. J’allais presque employer cet adjectif horrible de provincial (fouettez-moi en place publique), mais après les versions presque trop élégantes, cette certaine sobriété, mâtiné d’une pointe de désuétude, se savoure.

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Ce premier acte se passe ainsi de la plus charmante des façons, et surtout de manière très vivante. Et rien de mieux qu’une production simple et vivante qu’une qu’élégante et glaciale. Chacun est souriant et tout à sa joie de danser. La Giselle du jour (Oksana Kucheruk) est adorable et rayonnante sur scène, avec une danse moelleuse, à la fois d’une grande finesse et d’une belle vivacité. Son partenaire Igor Yebra n’a pas forcément grand chose à danser, mais il incarne Albrecht avec beaucoup de conviction, charmeur sans cœur au début, au regard plein de condescendance sur ce petit village et cette jeune fille si naïve.

Et on se laisse prendre par cette histoire que l’on connait par cœur. On redécouvre ses personnages comme si c’était la première fois, on frissonne à nouveau face aux noires prédictions de la mère, on retient son souffle face à la scène de la folie. Ces contes de fée ont cet étrange pouvoir d’être relu inlassablement. Et l’on oublie les quelques petits défauts, les garçons du pas de six pas forcément ensemble ou le jeu de Hilarion qui gagnerait en naturel.

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Mais si ce premier acte se laissait ainsi gagner par son charme, le deuxième acte reste toutefois la partie la plus réussie de cette Giselle. Dès le lever de rideau, il y a sur scène comme un parfum de mystère. En tendant l’oreille, l’on pourrait presque entendre les craquements de la forêt et les bruits étranges des sous-bois. Le corps de ballet féminin est d’une grande qualité, synchronisé sans jamais tomber dans quelque chose de mécanique. Myrtha (Yumi Aizawa) fait une entrée impériale, même s’il manquait un brin de mysticisme. Son autorité glaçante n’apparait véritablement que lorsqu’elle a ses 20 Willis à diriger. Hilarion (Marc-Emmanuel Zanoli) semble aussi plus à son aise dans la veine dramatique, surtout qu’il a maintenant des choses à danser.

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Igor Yebra joue pour sa part un Albrecht si rempli de remords qu’il ne cherche même pas l’absolution. Leur premier pas de deux est ainsi très attachant, comme l’apparition d’un souvenir. Ce n’est d’ailleurs pas un couple d’amoureux qui est sur scène. Il n’y a pas de déchirement à se dire Adieux. Cette nuit, c’est le cheminement d’un homme qui essaye de s’enlever un poids des épaules. L’interprétation d’Igor Yebra était ainsi particulièrement touchante, avec une certaine retenu, doublé techniquement d’un partenariat attentionné (à défaut de sauter bien haut. Si le danseur est convainquant dans son jeu d’acteur, il n’a pas vraiment montré ce soir-là des qualités de virtuose).

Mais la reine de cet acte reste Giselle, Oksana Kucheruk, aussi à l’aise dans le charme juvénile qu’en être immatériel. Là encore, ce n’est pas forcément l’amour qui la pousse à sauver Albrecht, mais plutôt sa pureté. Giselle est le Pardon. Son charme du premier acte n’était pas de la naïveté, mais la preuve d’un coeur pur que rien ne peut entacher, ni la trahison, ni la folie, ni la cruauté des hommes. Sa danse est aérienne, et s’en va comme dans un songe. Albrecht a-t-il rêvé cette nuit ? Le rideau tombe sur ses doutes, des fleurs plein les bras.

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Voilà donc, en sommes, une Giselle tout ce qu’il y a de plus classique, dans la forme comme dans le fond, mais dansé avec une réelle conviction et beaucoup de précision. Et c’est peu-être comme ça que ce ballet s’apprécie le mieux.

Giselle par le Ballet de l’Opéra de Bordeaux, au Grand-Théâtre jusqu’au 4 novembre.

Commentaires (4)

  • Fabien

    J’ai aussi vu ce spectacle, vendredi dernier, soit avec la même distribution. Comme toujours avec Giselle ont passe une excellente soirée mais ce n’était pas pour autant exempt de (petits) défauts. J’ai été déçu par le corps de ballet en fin de premier acte : beaucoup de ratés, manque de synchronisation (je note toutefois le grand professionnalisme des danseurs qui se sont ratés et ont parfaitement assuré la suite !). Heuresement le corps de ballet s’est merveilleusement rattrapé dans un acte blanc très réussi. Les agressions des Willis ont été trop furtives alors que dans d’autres mises en scène elles sont un véritable régal. Yumi Aizawa, danseuse qui d’habitude me conquis, ne m’a pas fait ressentir l’autorité et la froideur d’une grande Myrtha même si techniquement elle était au top. Des rôles de demi-caractère et non de danseuse noble lui correspondent ils mieux ? Marc Emanuel Zanoli m’a très agréablement surpris et proposait une très belle amplitude de saut. L’Albrecht de Igor Yebra a fait le boulot mais sans plus pour moi. Quant à Oksana Kutcheruk elle était techniquement impressionnante, très légère et vaporeuse mais je la trouve trop mature et avec trop d’assurance pour interpréter une Giselle inconsciente et désinvolte. Sa scène de la folie, cœur du ballet, ne m’a vraiment pas fait ressentir une Giselle perdue et désespérée. (Par contre j’attends avec impatience son Aurore de décembre qui pour le coup est une rôle sur mesure pour elle !)

    J’attends maintenant de voir ce que proposera Natalia Balakhnicheva mercredi soir avec Roman Mikhalev (et Diane LeFloc’h en vendangeuse je crois , mon coup de cœur de l’an dernier !)

    PS : Merci Danse avec la Plume de vous déplacer en “province” !

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  • @Fabien: Merci pour votre avis si détaillée ! Je connais assez mal les Etoiles de Bordeaux, je ne peux donc pas trop savoir quel répertoire leur convient le mieux, encore moins comparer… Mais je suis en effet curieuse de découvrir Oksana en Aurore. On attend votre opinion sur la deuxième distributions maintenant 🙂

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  • Fabien

    Un rapide retour sur cette seconde distribution. J’y suis donc retourné le mercredi 31, distribution qui voyait Natalia Balaknicheva, prima ballerine du Ballet du Théâtre du Kremlin. Nom qui m’était inconnu, compagnie qui m’était tout aussi inconnue, mais je me disais qu’une prima ballerina d’une compagnie moscovite, même de second plan, ça reste le top, surtout invitée par Charles Jude ! Et je ne me suis pas trompé ! J’étais parti avec beaucoup d’aprioris du genre “trop de Vaganova tue la ballerine romantique” etc etc… et je m’attendais à quelques chose de très (trop ?) propre techniquement mais sans faire passer le personnage, un peu comme lors de la précédente représentation avec Oksana Kucheruk MAIS pas du tout ! Sa prestation était fluide, intimiste, vaporeuse et sa pantomime révélait une jeune paysanne frivole dans le premier acte et terriblement humaine dans le second acte. Une belle première surprise ! Je dis première car ensuite Stéphanie Roublot a été une grande Myrtha. Un peu moins haute, un peu moins ample, un peu moins technique que Yumi Aizawa mais tellement plus glaciale et autoritaire ! Pour ce qui est des rôles masculins, je ne vais pas m’y attarder car, mis à par des exceptions comme Solor, j’ai toujours du mal à avoir un avis critique sur les rôles masculins du XIXe… C’était propre, le boulot a été fait.
    Autre chose, j’étais galerie côté cours et non galerie côté jardin comme lors de la première soirée et ça change tout ! Bien que cet emplacement “écrase” la diagonale des Wilis, elle permet de voir la croix ! J’avais été perdu (et je criais au scandale dans ma tête…) lors de la première représentation de voir un acte blanc sans croix et je peux vous assurer que ce détail peut changer toute une soirée ! Conclusion : voir un ballet c’est bien, voir plusieurs distributions c’est mieux !

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  • Elle

    Avez vous pu aller voir la Belle de C Jude ? Je viens de voir cette vidéo de l’Oiseau Bleu que je trouve particulièrement réjouissante http://www.youtube.com/watch?v=vOf6

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