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L’Hommage à Jerome Robbins par le Ballet de l’Opéra de Paris, épisode 1 et 2

A l’annonce de cette soirée Hommage à Jerome Robbins l’année dernière, je n’étais pas vraiment enthousiasmée. D’abord, pourquoi reprendre exactement le même programme d’une saison sur l’autre, alors que le répertoire de Robbins est si vaste ? Ensuite, cette soirée m’avait laissée assez mitigée en 2008.

La raison était peut-être que je ne connaissais pas bien Robbins. A l’époque, je n’avais vu qu’un ballet de lui, Fancy Free, par l’American Ballet Theatre. Entre temps, je suis partie à New York, et je me suis un peu plus plongée dans les œuvres de ce chorégraphe, surtout dans ses comédies musicales.

Est-ce grâce à ce rattrapage ? En tout cas, j’ai bien mieux apprécié cette programmation en 2010, qui, si elle n’est pas toujours au summum de l’émotion, reste un moment de fraîcheur et d’humour très agréables sous les ors de Garnier. Assez en tout cas pour m’y faire aller trois fois.

Ces soirées se sont aussi ponctuées de rencontres IRL comme on dit. Comment reconnaître une blogueuse que vous lisez régulièrement ? Vous ne connaissez ni son prénom, ni à quoi elle ressemble. Par contre, vous êtes au courant de précieuses informations que ses amies ignorent peut-être, comme le nom de son Etoile préféré(e) ou ce qu’elle a pensé d’Aurélie Dupont dans l’Eveil. Mimy a ainsi été démasquée (ou plutôt moi si je me remémore la conversation).

Place en tout cas au résumé des deux premiers épisodes, la soirée du 23 avril et du 27 avril.

En Sol
Même distribution lors des deux soirée : Marie-Agnès Gillot et Karl Paquette


1er épisode. Dès les premières notes, je suis entrée dans ce jeux des baigneurs, cette nonchalance, ces quelques flirts et cette envie de s’amuser. Les pas, l’énergie, ce léger décalage, tout me rappelle décidément les comédies musicales de Jerome Robbins. Même la musique de Ravel semble sonner comme celles des compositeurs américains (quoique historiquement, écrire l’inverse serait plus approprié). Après tout un passage de corps de ballet en tenue de baigneurs, Marie-Agnès Gillot entre sur scène. Malgré un léger choc esthétique (on ne peut pas vraiment dire que ce genre de tunique lui aille bien), je rentre dans son jeu. Mutine, elle s’amuse avec les baigneurs, joue la complicité avec les danseurs. Le vent du bord de mer et sa légèreté semblent souffler sur la salle, apportant une odeur de vacances. Karl Paquette a par contre un peu plus de mal à rentrer dans cette ambiance estival. Sérieux, il semble danser seul, à l’écart du groupe quand tout semble le pousser à se joindre à l’amusement général.

(Petit aparté : je me concentre à chaque fois qu’il entre en scène. J’entends tellement d’éloges sur lui que je me dis que je dois passer à coté de quelque chose. Et pourtant rien n’y fait, je n’accroche pas à ce danseur).

Si ces deux solistes semblent visuellement bien assortis, leur pas de deux souffre d’un manque de complicité. Rien ne se passe entre eux, erreur fatale face au dépouillement de ce passage, qui ne supporte aucune baisse de tension. Je m’y suis ennuyée, dommage.


2ème épisode. J’apprécie de plus en plus ce ballet, m’amuse à observer les pas et déhanchés de plus près, à comprendre ce style un peu plus en profondeur. Du côté des solistes, même topo. Le hasard des places m’a permis d’être beaucoup plus proche de la scène. Je me rends alors compte que si ce couple ne marche pas, ce n’est pas qu’ils n’ont rien à ce dire, c’est qu’ils ne fonctionne pas physiquement. Karl Paquette semble souffrir à chacun des portées, et son attitude distante ressemble plutôt due au stress face aux épreuves de force qui l’attendent. Gillot n’est pas faite pour ses bras. Si cette dernière arrive à en faire abstraction (elle a aussi le rôle le plus facile), le stress et l’effort visible de son partenaire à chaque portée en deviennent pénibles pour le spectateurs. Leur pas de deux continue de m’ennuyer, et ne me donne pas vraiment envie de me battre pour les voir dans La Bayadère.


Triade

1er épisode. Je me souvenais surtout des filles dans l’oeuvre de Millepied en 2008. Là, les garçons ont crevé l’écran (ou plutôt la scène). Audric Bezard est maître à bord, tout semble tourner autour de lui et de sa danse si féline. Marc Moreau semble être un peu plus à la traîne, sans que cela soit vraiment de sa faute. Stéphanie Romberg fait preuve d’une certaine autorité, mais après ? Muriel Zusperreguy semble être un peu plus effacée, n’arrivant pas à imprégner son personnages de véritables caractéristiques. Deux hommes, deux femmes, de multiples possibilités. ça  se croise, ça complote, se décroise. ça s’oppose, ça se jalouse, ça se combat un peu aussi. C’est intense par moment, ça se cherche parfois un sens. Mais ça interpelle.


2ème épisode. Même distribution. Est-ce le manque de surprise, un ballet qui ne supporte pas plusieurs visionnages, les danseurs un peu en dessous ? Il y a avait en tout cas un petit je-ne-sais-quoi indéfinissable, qui mettaitce Triade un tout petit cran au dessous du 1er épisode.


In The Night

ça soupire, ça s’envole : que c’est beau ce ballet ! Depuis la Dame aux Camélias, je redécouvre Chopin.


1er épisode. Clairemarie Osta joue le premier amour, et elle le fait bien. Il y a chez elle ce qu’il faut de lyrisme, et ce mélange d’emportement et de timide retenue des premiers émois. C’est une danseuse sans fard et fracas, mais que j’apprends à apprécier à sa juste valeur. Benjamin Pech restait un bon partenaire, même s’il m’a semblé plus en retrait au niveau de l’émotion. Mais place à la reine Agnès Letestu, qui survole ce ballet de sa présence. Elle danse avec Stéphane Bullion le couple lassé, qui reste un peu ensemble pour les conventions, mais qui garde parfois l’étincelle du premier amour sous les couches des années. Elle est là, impériale, sachant mélanger la prestance et la mélancolie avec une pointe de second degrés non malvenue. Chacun de ses pas est portés par quelque chose, chacun de ses regards est guidé par un sentiment. Et puis toujours chez elle cette élégance naturelle. Une grande dame de la danse s’il était besoins de le rappeler. L’équation du couple Letestu/Bullion+de beaux costumes romantiques+Chopin semble en tout cas toujours fonctionné.


Le troisième couple m’a laissé une fois de plus sur ma fin. Delphine Moussin et Nicolas Le Riche jouent la passion enflammée. Mais je n’y vois moi que du second degré mal dosé. Chacun en fait des caisses, sans que cela ne soit ni drôle ni touchant. Je passe à côté.

2ème épisode. Difficile pour les deux premiers couples de faire le poids face à la première distribution. Ludmila Pagliero et Jérémie Bélingard font de leur mieux. C’est beau, mais il manque peut-être un peu de légèreté dans l’interprétation. Emilie Cozette et Karl Paquette font un beau couple. Et puis c’est tout. En dehors de la raideur de ses bras, il y a quelque chose d’assez terrible chez Emilie Cozette. Je vous l’assure, je n’aime pas vraiment lui taper dessus, mais la conclusion était évidente. C’est une très belle danseuse, au premier sens du terme. Elle séduit aux premiers abords. Et après qu’y a-t-il ? Rien. La différence avec Agnès Letestu, dont chaque geste est inspiré, était flagrante. Cela m’avait déjà marqué lors de la retransmission TV de la soirée des Ballets Russes. Gros plans sur Emilie Cozette/la Nymphe et Le Riche/Le Faune. D’un côté, un beau regard. De l’autre, un regard habité. Et entre les deux, un fossé incommensurable…

Bref, retournons au troisième couple passionné, que, de toute façon, j’allais subjectivement adorer, et je pense que je n’étais pas la seule au vue de l’ovation qui a suivi leur prestation : Aurélie Dupont et Manuel Legris. Tout l’attrait de ce pas de deux m’est enfin apparu (révélation). Je saisis enfin la nuance, infime, entre les gestes outragés d’une passion sûrement dévastatrice, et ce minuscule second degré qui fait toute la richesse de ce ballet. Je suis emportée et applaudie à tout rompre.


The Concert
1er épisode. Un concert classique et ses spectateurs : deux copines, un couple, un garçon timide… Quel plaisir de retrouver ce petit bijou d’autodérision ! J’y ai autant ri qu’en 2008. Dorothée Gilbert tenait le rôle de la ballerine, truculente, savoureuse, sans aucune peur du ridicule. Si je n’avais vu qu’elle la saison dernière, j’ai pris plaisir à m’arrêter cette fois-ci sur chacun des personnages. Quel plaisir (re) de voir ces artistes (danseurs et pianiste) se moquer des travers de la danse classique. La partie la plus savoureuse reste peut-être celle du corps de ballet, où six danseuses chipies se mélangent allégrement les pinceaux. On passe par une scène de chapeaux drôlissime à un moment plus poétique-mélancolique, entre badauds et parapluies. Tout part en un vaste n’importe quoi entre papillons et meurtres plus ou moins prémédités, et le ballet s’arrête juste avant de devenir casse-pied. Les spectateurs de Garnier éclatent de rire tout du long, et repartent le sourire aux lèvres. 


2ème épisode. Surprise passée, on rit beaucoup moins lors de la deuxième représentation. Mais je ne pourrais pas dire pour autant que j’y ai passé un mauvais moment. Là encore, je me suis amusée à m’attarder sur les rôles secondaires, pas si secondaires que ça d’ailleurs. Eve Grinsztajn (j’ai appris à prononcer son nom) est une ballerine plus élégante, un peu plus bourgeoise que l’attitude bon enfant de Dorothée Gilbert. Malgré l’enthousiasmes, le sens de l’autodérision et l’aisance naturelle d’Eve, j’ai toutefois préféré la prestation de Dorothée, absolument irrésistible.


© Photos : Sébastien Mathé / Opéra national de Paris

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