La Bayadère, épisode 1
Ecrit par : Amélie Bertrand
Mercredi 7 mars 2012. La Bayadère de Rudolf Noureev par le Ballet de l’Opéra de Paris, à l’Opéra Bastille. Avec Aurélie Dupont (Nikiya), Josua Hoffalt (Solor), Dorothée Gilbert (Gamzatti), Emmanuel Thibault (L'Idole dorée), Héloïse Bourdon, Charline Giezendanner et Aurélia Bellet (les trois Ombres). Mathilde Froustey (Manou), Alexis Renaud (L'Esclave), Allister Madin (Le Fakir), Stéphane Phavorin (Le Rajah), Yann Saïz (Le grand Prêtre), Sabrina Mallem et Julien Meyzindi (les Indiens).
Dans une représentation, tout est une question de son propre vécu. J’ai lu plusieurs avis négatifs sur cette reprise. Pour ma part, je connais mal le ballet, vu une seule fois, il y a deux saisons. Une scène de Garnier trop petite, un José Martinez essoufflé, une Agnès Letestu esseulée, un corps de ballet en manque de repère. A côté de ce bilan, la première de mercredi m’a forcément semblé d’une très haute qualité.
La Bayadère, quel ballet aux pouvoirs étranges. L’œuvre raconte une histoire invraisemblable dans une Inde de pacotille, telle que la rêvait les gens du siècle dernier avec tous les clichés du genre. Et pourtant, sans aucun effort, tout le monde y croit avec le plus grands des enthousiasmes. Pas un rire lorsque les gardes tout de vert vêtus s’avancent sur scène d’un pas martial, pas un regard levé au ciel face aux esclaves rampant au sol (et pourtant, il y aurait de quoi dans un autre contexte). Juste des regards écarquillés d’un public qui a juste envie de rêver.
L’ambiance devait être étrange en coulisses, tant les rumeurs de nominations étaient persistantes. Le corps de ballet a en tout montré un investissement total. Le premier acte était ainsi très plaisant, porté par un trio en forme.
Ahh, Aurélie Dupont. Certain-e-s ont râlé à l’entracte sur une nouvelle raideur de sa part, d’autres ont repensé avec nostalgie à sa prestation il y a cinq ans. Je n’étais pas là il y a cinq ans, et mercredi soir, je l’ai trouvé sublime. Chaque geste était beau, respirant l’intention. Sa Nikiya est pure, l’amour qu’elle porte à Solor est pur. Trop de pureté pour ce monde réel, cela ne pouvait que mal finir.
Dorothée Gilbert en Gamzatti, c’est assez étrange quand on ne l’a connait qu’en personnage de jeune fille en fleur pétillante. Son interprétation manque peut-être d’une certaine hauteur, c’est une princesse de sang royal avant d’être une femme amoureuse. Mais sa présence dans ce lumineux sari violet rattrape le tout. La confrontation avec Nikiya ne manquait pas en tout cas d’intensité.
Et Solor, la star de la soirée ? Très crédible dans le jeu, comme à son habitude. Mais Josua Hoffalt n’a pas lâché les chevaux. On ne pourrait pas parler de crispation, mais plutôt d’une certaine prudence dans ses pas. Peur de se blesser et de tout gâcher ? Le danseur ne semblait pas en tout cas complètement libéré.
Le deuxième acte a été le meilleur de la soirée. Aurélie Dupont m’a toujours autant ravie. En plus de sa présence, Dorothée Gilbert a pu montrer toute sa brillante technique, qui explose dans la coda. Malgré une jolie variation, Josua Hoffalt semblait toujours dans une certaine retenue. Son Solor paraissait ainsi un peu pâlot, et avait du mal à exister entre ces deux fortes personnalités féminines.
Néanmoins, le pas de deux Gamzatti/Solor avait une sacrée allure et reste le plus beaux moment de la soirée (allez, le deuxième plus beau après la nomination). Ces deux-là vont bien ensemble, à retenir pour une prochaine fois.
Les danses du corps de ballet étaient également très en place. Emmanuel Thibault ne saute peut-être plus aussi haut, mais son style dans l’Idole Doré garde toujours son certain charme. Mathilde Froustey était piquante-comme-on-aime en Manou, accompagnée de deux adorables Petits Rats qui ne manquaient pas d’assurance malgré leur jeune âge, tandis que Sabrina Mallem et Julien Meyzindi ont donné un duo d’Indiens survolté.
Le final a, malgré tout, laissé un petit goût d’inachevé. Aurélie Dupont semblait jouer toute seule sur scène, avec un Josua Hoffalt un peu en retrait et une Dorothée Gilbert qui manquait d’autorité.
Il est difficile de parler du troisième en faisant totalement abstraction de ce qui pouvait se passer. Josua Hoffalt semblait mystérieusement plus libéré, et (enfin) profiter pleinement de cette prise de rôle. Son duo avec Aurélie Dupont fonctionnait ainsi bien (le danseur semble être de toute façon un bon partenaire), sans que l’on puisse non plus parler d’une flopée d’émotion.
C’est un peu cette même impression qu’a laissé le corps de ballet. Pouvait-on vraiment parler de sentiment profond lors de la descente des Ombres, admirablement réglée ? Non. Mais la beauté du geste, celle qui fait aussi que l’on aime la danse classique, était bien là. Charline Giezendanner a survolé les trois Ombres avec sa deuxième variation, éclipsant ses deux consœurs un peu crispées.
La soirée se termine sur l’habituelle clémence de Nikiya, qui pardonne dans son songe les errements de Solor. La suite, elle, a déjà été racontée.
Il serait intéressant de revoir Josua Hoffalt lors des prochaines représentations, il sera certainement beaucoup plus libéré. La production a en tout cas tenue toutes ses promesses de la répétition publique, avec un décidément excellent corps de ballet. Place maintenant aux autres distributions.
La Bayadère, à l'Opéra Bastille jusqu'au 15 avril.
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