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La Source : épisode 1

Mardi 25 octobre 2011. La Source de Jean-Guillaume Bart par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnir. Avec Myriam Ould-Braham (Naïla), Josua Hoffalt (Djemil), Muriel Zusperreguy (Nouredda), Christophe Duquenne (Mozdock), Alessio Carbone (Zaël), Charline Giezendanner (Dadjé) et Alexis Renaud (Le Khan).

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Pour raconter une belle histoire, il ne faut pas forcément un bel endroit. Parfois, il faut simplement monter au grenier, cette pièce poussiéreuse où personne ne met les pieds, peut-être même que tout le monde l’a oublié. Sous un amas de vieux tissus, il y a un livre, qui n’a sûrement pas été ouvert depuis des années au vu de son état.

Les fées ont entre autres pouvoirs d’avoir l’immortalité. Même si plus personne ne se souvient de leur histoire depuis un siècle, il suffit de tourner une page de ce vieux livre pour qu’aussitôt, elles prennent possession de ce grenier oublié. Et se mettent à raconter des histoires.
C’est un peu ce qui se passe au Palais Garnier depuis samedi, avec la création de La Source, ballet perdu depuis années, et exhumé grâce à Jean-Guillaume Bart.

La scène est ce grenier, entre lambeaux de rideau rouge et cordes qui pendent. Le noir se fait, et tout semble normal sous les toits de l’opéra, jusqu’à ce que débarque un elfe très étrange, un Peter Pan rieur et joueur. Le merveilleux est arrivé, le spectacle peut commencer.

Ce premier acte de La Source est un pur régal. Voilà un ballet comme on les aime, avec une belle danse extrêmement ciselée et musicale, des personnages féériques, un jeune homme courageux et une pointe d’humour par-ci par-là. 

Dans cette clairière, les nymphes et elfes sont rois et reines durant la nuit. Zaël est leur chef, un irrésistible Alessio Carbone tout en finesse, même s’il n’est peut-être pas dans sa plus grande forme dans cet enchevêtrement de sauts.

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Leur reine à tous est Naïla, l’esprit de la Source, absolument exquise Myriam Ould-Braham. Une fée, c’est elle. Une personne gracieuse en permanence, innocente car jamais confrontée au mal des humains. Ce qui ne fait pas d’elle un être naïf. Naïla est une jeune femme qui aime jouer et faire des tours, profiter de sa clairière et monter aux arbres avec Zaël.

Tout est adorable chez elle. Sa variation ciselée est un régal, son apparition face à Djemil, lorsque celui-ci est mis à terre par les Caucasiens pour avoir osé soulever le voile de Nouredda, un pur moment de délice. Il y a de la technique, et surtout de la musicalité et du style. Son partenariat avec Josua Hoffalt est très tendre, avec une belle harmonie. Le danseur s’investit beaucoup dans son personnage un peu creux de Djemil, courageux jeune homme de service. Il met beaucoup de cœur de son interprétation, et d’entrain dans ses variations.

Si les quatre elfes accompagnent Zaël comme il se doit, les nymphes ne sont pas forcément au diapason. Très (trop) concentrées sur leur (non) alignements, les huit danseuses manquent de magie. Ce n’est que vers la fin de l’acte qu’elles donnent enfin un peu de piquant à leurs ensembles. Les Nymphes ne sont pas des Willis torturées par la vie, mais des êtres joyeux et vivants. Et tout ça manquait un peu de vie et de joie justement.

Les Caucasiens et Caucasiennes ne rattrapent pas vraiment la mise. Malgré les coups de bottes et des barbes d’hommes, des vrais, voilà des danses de caractère bien sages pour un peuple guerrier. Christophe Duquenne est un Mozdock très honnête, jaloux-protecteur envers sa sœur, sachant mener ses troupes. Idem pour Muriel Zusperreguy, très investie dans son personnage de Nouredda. La promise au Khan est mélancolique, devant renoncer à l’amour avant même de le connaître. Les deux font un travail sincère, sans que l’on puisse toutefois parler de flamboyance.

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Ce délicieux premier acte se termine par un tout aussi délicieux pas de deux. Elfes et Nymphes se réjouissent d’avance de jouer un bon tour aux humais, et d’aider Djemil à conquérir Nouredda. Seule Naïla, sur les dernières secondes de la musique, laisse entrevoir son inquiétude. Et si tout cela n’était plus un jeu ? Et si les contes de fées ne se terminaient pas toujours comme il le fallait ?

Dommage, le deuxième acte est moins bien construit. Si tout le monde semble avoir râlé sur la fin, pour ma part, je rechignerais plutôt sur le début.

Le décor de grenier est parti, place à de longues cordes raides pour montrer le harem. Un décor simple, mais qui ne met que mieux en valeur les magnifiques costumes de Christian Lacroix. Ensembles sublimes visuellement, mais pas forcément des plus pratiques.

Charline Giezendanner est ainsi une Dadjé très investie. La favorite du roi comprend que son règne touche à sa fin lorsque Nouredda, la future promise, arrive. Elle met tout son cœur, et le fait bien, à jouer la femme jalouse. Mais son accoutrement (pantalon bouffant+tutu+corset+coiffe haute+voile), cela n’aide pas beaucoup pour danser une variation technique de la plus gracieuse des manières. Le passage des odalisques est ainsi très joli, mais peut-être dispensable, et pas aidé par les Caucasiens toujours aussi sage.

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Nouredda
danse, Dadjé est chassée, tout ça est un peu fouillis. Heureusement, Zaël est là pour mettre un peu de magie, accompagné de Naïla. Cette dernière est formidable : elle peut arrêter le temps, troubler la vue et les souvenirs, et aussi se transformer en femme glamour pour séduire le Khan. La fée innocente devient le temps d’un pas de deux une adulte glamour. Toujours aussi précise, Myriam Ould-Braham montre dans ce passage tout son lyrisme et son charisme. Le monde ne voit qu’elle, pas étonnant que le Khan oublie Nouredda.

La suite de l’histoire est là encore un peu brouillonne. Djemil en profite pour séduire Nouredda, mais Mozdock est furieux et veut les tuer. A l’aide d’un tour de magie, Naïla les sauvent tous les deux, et tout le monde se retrouvent dans la clairière, pour l’un des plus beaux moments du ballet.

Les décors sont partis. Il fait noir. Naïla réalise que tout ça n’est pas qu’un jeu, l’amour n’est pas drôle. Pour sauver Nouredda, elle doit lui donner sa fleur, et se sacrifier. Au fond, elle sait déjà quel choix elle va faire. Mais elle danse, encore une fois. Djemil, qui en profite pour montrer sa vraie nature de monstre d’égoïsme, guide son dernier geste et l’aide à poser la fleur sur Nouredda.

La vie s’en va doucement du corps de Naïla, tandis qu’elle revient dans celui de Nouredda. Le nouveau couple d’amoureux s’en va main dans la main, sans un regard pour l’esprit de la Source morte dans les bras de Zaël. La magie a quitté la jolie clairière. Les contes de fées ne se terminent pas toujours comme il faut. Fin du livre.

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Et pour le public que reste-t-il ?
Une très belle œuvre, indéniablement. Une très belle danse, un ballet qui sait faire rêver, un très jolie couple de jeunes premiers. Dommage que le reste de la distribution ne soit pas forcément à leur hauteur. Muriel Zusperreguy et Christophe Duquenne n’ont rien à se reprocher, ils ont fait leur travail très honnêtement, vraiment investi-e-s. Mais on ne peut pas parler non plus de forte personnalité.

C’est toujours comme ça maintenant. Il y a assez de talents à l’Opéra de Paris pour passer une bonne soirée, pour que cela fonctionne. Mais il y a aussi toujours quelque chose qui manque pour avoir une soirée extraordinaire. A croire que la distribution parfaite, où chacun et chacune est absolument à sa place, n’existe plus.

Commentaires (14)

  • Merci! je vois que Myriam a brillé comme à son habitude!
    J’ai été un peu déçue lors de la Première par le peu d’intensité dramatique lors de la mort de Naïla alors que jsutement, cela devrait être fort.
    Par contre j’ai beaucoup aimé le pas des Odalisques.
    J’ai hâte de revoir ce ballet. Une seule fois c’est peu pour tout retenir.

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  • J’ai hâte de voir cette distribution (même si ce n’est pas pour tout de suite).
    J’imagine Myriam comme la parfaite Naïla et espère ne pas être déçue. J’aurais aimé la voir avec la Nourreda d’Isabelle Ciaravola. Elles auraient fait une distribution équilibrée je pense.
    Je regrette que Josua Hoffalt soit le seul danseur que je ne verrai pas… Mais bon Florian Magnenet sera peut être une bonne surprise!

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  • Audrey

    J’ai beaucoup aimé cette distribution ! Myriam Ould Braham était aussi parfaite qu’on pouvait l’espérer. Je n’aime pas comparer, mais je vais le faire un peu quand même pour un personnage 😉 En y réfléchissant, je crois que j’avais préféré le Mozdock de Vincent Chaillet, qui me semblait plus autoritaire et “flambloyant”. Même si Christophe Duquenne rentrait très bien dans le rôle.
    Pour le décor du 2e acte, les ombres projetées sur la scène me faisaient un peu penser au barreaux d’une prison, et finalement ça collait peut-être bien à l’acte…

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  • dance7

    Une soirée extraordinaire… Peut être, car comme vous l’avez dit, c’est un ballet ciselé. Un peu comme ces très bons restaurants, dont on ressort légers, mais avec des souvenirs “pour toujours”… Oui, les causcasiens sont un peu trop sages, l’esprit de la source sans doute. La distribution idéale… Hum, je crois qu’elle existe… après avois vu les deux, un petit mélange et je crois que nous y serions…
    Belle journée !

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  • Marie-Charlotte

    Il y a un peu partout de bonnes critiques sur Hoffalt, je sis contente car je l’avais vu à ses débuts de Premier Danseur, dans Casse-Noisette et il était encore un peu timide…Pour la soirée extraordinaire, on l’aura plus souvent si on arrête les promotions au copinage et si on fait réellement monter ceux qui en veulent et qui assurent…

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  • J’aime vraiment beaucoup la façon dont tu décris le ballet. On te sent sous le charme…
    En te lisant, je me dis qu’une distribution qui allierait celle de la Première et celle-ci devrait créer une soirée inoubliable…

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  • Santi

    @Cams :

    Je pense aussi que l’idéal serait la distribution : Myriam et Isabelle, sans doute.

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  • Santi

    Il serait vraiment merveilleux si Myriam était distribuée le 4 Nov , le jour où le ballet sera diffusée dans les cinémas de tout le monde!!!

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  • Je ne le trouve pas si bouffant que ça le costume de Dadjé. Il est à peu près aussi serré que les tenues standard pour danseuses de bharatanatyam…

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  • luciole

    Complètement d’accord avec Santi !!!!! on peut toujours espérer un retournement de situation mais je n’y crois guère… Le jour ou Myriam sera nommée étoile ne viendra jamais je le crains, quelle tristesse..

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  • Myriam a été tout simplement magnifique. =D>
    Les costumes sont splendides et il y a un certain équilibre avec le décor en cordes!
    C’est un splendide ballet (dommage que Nouredda ne danse pas plus).

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  • @ Alice : J’ai hâte aussi de le revoir, il se passe tellement de choses sur scène ! 

    @ Cams : J’ai hâte de lire tes impressions sur cette distrib ! 
    @ Audrey : Vincent Chaillet a globalement été salué pour cette prestation, je regrette de ne pas le voir.
    @ Dance7 : La distribution idéale existe, mais on ne nous la propose jamais… Les associations de personnalités sont parfois très étranges. Pour ce ballet, ça va à peu près, mais pour le R&J de la saison dernière, certains choix restaient mystérieux.
    @ Marie-Charlotte : Depuis son Coppélia l’année dernière; chaque fois que je le vois, il progresse et prend de l’assurance, ça fait vraiment plaisir à voir. 
    @ Anne-Laure : Merci !
    @ Santi : Je crois qu’il ne faut pas trop rêver… 
    @ Joël : Tout dépend à quoi tu compare 😉 Esthétiquement, c’est très beau, mais j’ai l’impression que ça gêne le mouvement.
    @ Luciole : J’espère vraiment que le vent tournera et qu’elle aura droit à sa nomination. 
    @ Entrechat : Pourtant, le personnage est souvent sur scène… Je me demande ce que donne ce personnage avec une autre distribution.
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  • Melodiz

    Je suis allée voir La Source samedi, avec la distribution Pagliero/Paquette/Chaillet/Heymans/Ciaravola/Duquenne.
    J’en suis sortie conquise, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu un tel coup de coeur pour un ballet. Chorégraphie, costumes, décors, pour moi tout y était.
    Vincent Chaillet et Mathias Heymans ont été époustouflants, le premier a d’ailleurs été une vraie (belle) découverte pour moi. Ils ont d’ailleurs tous les deux été ovationnés, et c’était tellement mérité !
    J’ai craint avant de venir que “l’intention” du mouvement comme disait Jean-Guillaume Bart, n’éclipse tout à fait la virtuosité et la technicité des pas, mais il n’en a rien été.
    La soirée de samedi était d’ailleurs filmée, je ne sais pas si ça en est la raison, mais on a du coup eu le droit à de longs rappels, devant une salle très réactive.
    Bref, pari réussi !

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  • @Melodiz: Merci pour cet avis enthousiaste !

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