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Le Lac des Cygnes selon Christopher Wheeldon au Pennsylvania Ballet de Philadelphie

Le chorégraphe britannique Christopher Wheeldon vient de reprendre en mars sa version du Lac des Cygnes au Pennsylvania Ballet de Philadelphie. Cette première incursion du chorégraphe britannique dans la relecture du grand répertoire classique a fait à juste titre sensation. Tout en restant fidèle à l’esprit et même à la lettre du ballet de Marius Petipa et Lev Ivanov, il offre une perspective nouvelle en scénarisant Le Lac des Cygnes. Sa réécriture est à plus d’un titre séduisante car elle montre que ce ballet n’est pas pour rien LE chef d’œuvre du répertoire classique : il recèle encore des territoires inexplorés susceptibles de nourrir l’imagination du chorégraphe et de séduire le public.

Le Lac des Cygnes, Acte 2

Le Lac des Cygnes de Christopher Wheeldon – Acte 2

Pourtant, depuis une quinzaine d’années, le chorégraphe russe Alexeï Ratmansky et avant lui son compatriote Sergueï Vikhariev ne cessent de revisiter le répertoire en retournant aux sources de la création. Mais Le Lac Des Cygnes semblait intouchable. Alexeï Ratmansky, après de longues hésitations, se jettera finalement dans l’eau du Lac en février prochain pour le ballet de Zurich (en coproduction avec La Scala).

Pourquoi de si grandes réticences ? Parce que Le Lac des Cygnes est le ballet classique par excellence, celui que tout le monde connaît hors du monde des balletomanes. La partition de Tchaïkovski fait partie des tubes du répertoire et toute ballerine doit un jour ou l’autre se confronter à ce double rôle d’Odette/Odile pour espérer la consécration. Ouliana Lopatkina, en gardienne du temple, en a fait sa signature au Mariinsky et à travers le monde. Avant elle, l’immense Maïa Plissetskaïa avait marqué définitivement le rôle. Le Lac des Cygnes est au fond un ballet qui appartient davantage aux danseurs et danseuses qu’aux chorégraphes. Normal que ces derniers aient quelque réticence à s’en emparer : il y a plus de coups à prendre que de gratifications à attendre.

Le Lac des Cygnes. L'adage de l'Acte 2

Le Lac des Cygnes – L’adage de l’Acte 2

Qu’importe pour Christopher Wheeldon ! En 2004, alors jeune chorégraphe que les compagnies du monde entier ne s’arrachaient pas encore, il ne peut pas refuser une proposition aussi alléchante. Et quoi de mieux pour faire ses classes que le Pennsylvania Ballet, la compagnie classique de Philadelphie, moins connue que ses grandes rivales américaines mais dotée d’une troupe jeune et motivée. Le succès est immédiat. La consécration vient l’année suivante au prestigieux festival d’Edimbourg, qui invite le Pennsylvania Ballet à danser ce Lac des Cygnes réinventé.

Mais que peut aujourd’hui ajouter un chorégraphe au Lac des Cygnes ? Comme ses illustres ainés, Christopher Wheeldon conserve intacts l’acte 2 près du lac (où apparaît Odette) et une grande partie de l’acte 3 (celui d’Odile le cygne noir) : il faudrait être bien présomptueux pour toucher à cette partie du chef d’œuvre.

Reste à réinventer un scénario et c’est précisément ce que fait Christopher Wheeldon. L’action est déplacée à la fin du XIXe siècle à l’Opéra de Paris où le ballet répète… Le Lac des Cygnes, à la demande d’un des mécènes. Le ballet dans le ballet s’ouvre avec l’entrée dans un studio reconstitué de ballerines que l’on dirait tout droit sorties d’un tableau d’Edgar Degas. La référence est d’ailleurs ouvertement revendiquée par le chorégraphe, sa décoratrice Adrianne Lobel et son costumier Jean-Marc Puissant. Cet univers singulier, magnifiquement reconstitué, charme immédiatement.

Le Lac Des Cygnes. Prologue.

Le Lac Des Cygnes – Prologue

Puis débute la répétition de l’acte 1, où l’on comprend très vite que le héros de l’histoire ne sera pas Odette/Odile, mais le Danseur Étoile choisi par le maitre de ballet pour incarner le Prince Siegfried. Christopher Wheeldon noue son intrigue autour de ce personnage double et construit son scénario dans un constant va-et-vient. À l’issue de la répétition de l’acte 1, le danseur se retrouve ainsi seul dans le studio pour répéter son rôle face au grand miroir et plonge soudainement de l’autre côté. La salle de répétition se transforme alors en lac nimbé de brouillard et le danseur en Prince Siegfried : double jeu/ jeu du double.

Le danseur tombe amoureux de la ballerine choisie pour incarner Odette et tout le ballet se déroule dans cette alternance entre ces deux mondes. Pour corser le tout, Christopher Wheeldon introduit un autre personnage double, le mécène qui devient le maléfique Rothbart lorsque le danseur traverse le miroir. Nait alors une rivalité pour s’attirer les faveurs de la danseuse qui interprète Odette.

Christopher Wheeldon n’est pas le premier à avoir déplacé le centre de gravité du Lac des Cygnes vers les personnages masculins : Rudolf Noureev l’avait fait avant lui. Mais le chorégraphe britannique prend un parti plus radical encore au risque d’éclipser ce qui fait la substance première de ce ballet. Le personnage Odette/Odile ne semble plus être qu’un faire-valoir dans la rivalité masculine entre le Danseur Étoile et le mécène. Les limites de cette réécriture sont alors atteintes, et il est facile de se perdre dans cette mise en abyme du Lac des Cygnes.

Le Lac des Cygnes. Acte 3

Le Lac des Cygnes – Acte 3

Si cette version ne parvient donc pas à convaincre tout à fait, elle montre cependant que l’on peut aujourd’hui s’emparer de ce ballet mythique et en écrire une nouvelle rédaction, tout en conservant ce qui en fait le génie : l’acte blanc chorégraphié par Lev Ivanov et le cygne noir de Marius Petipa. Christopher Wheeldon montre en effet une grande habileté pour conserver le style et l’unité du ballet. Ses propres chorégraphies s‘intègrent parfaitement dans celles des maîtres.

Du côté des interprètes, le Danseur Étoile Zachary Hench faisait ses adieux à la scène en reprenant une dernière fois le rôle du Prince, que Christopher Wheeldon avait créé pour lui en 2004. Et à plus de 40 ans, l’artiste emblématique du Pennsylvania Ballet a conservé une incroyable fraicheur physique. Danseur noble, toujours doté d’une technique impressionnante, notamment dans l’ampleur des sauts, il conduit le rôle à merveille. Zachary Hench met aussi parfaitement en valeur sa partenaire, Lauren Fadeley, crédible aussi bien en Odette qu’en Odile même si parfois victime de quelques fragilités techniques.

Le Lac des Cygnes. Zachary Hench et Lauren Fadeley.

Le Lac des Cygnes – Zachary Hench et Lauren Fadeley

Zachary Hench eu droit à une longue ovation debout plus que justifiée pour ces adieux à la scène. Il sera désormais en coulisses comme maître de ballet, à la demande d’Angel Corella, le tout nouveau directeur du Pennsylvania Ballet. L’ancienne Étoile de l’American Ballet Theatre, dont c’est la toute première saison à la tête de la compagnie, entend faire progresser la troupe dans ce répertoire classique.

Quant à Christopher Wheeldon, entend bien poursuivre ce dialogue avec les maîtres du ballet classique. Le Joffrey Ballet, qui vient d’ajouter cette année ce Lac des Cygnes à son répertoire, lui a commandé une nouvelle version de Casse-Noisette pour décembre 2016, déjà très attendue.

 

Le Lac des Cygnes de Christopher Wheeldon d’après Marius Petipa et Lev Ivanov par le Pennsylvania Ballet, Academy of Music de Philadephie. Avec Zachary Hench (le danseur étoile/Siefgried), Lauren Fadeley  (la ballerine/Odette/Odile) et Francis Veyette (Le Mécène/Rothbart). Samedi 7 mars 2015.

 

Commentaires (1)

  • Je ne connaissais en effet pas le Ballet de Philadelphie, merci pour la lumière qui est faite sur cette jeune compagnie. Cette version de Christopher Wheeldon est, ainsi présentée, plutôt alléchante. Je suis par ailleurs ravie d’apprendre qu’une autre approche du Lac des cygnes sera chorégraphiée par Alexeï Ratmansky à Zurich. Serait-ce une reconstruction comme pour la Belle au bois dormant ?

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