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Onéguine – Alicia Amatriain et Karl Paquette

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26 février 2014

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Comment vient la complicité entre deux interprètes sur scène ? Souvent, ce sont des semaines de répétitions et des années de travail ensemble. Et puis, parfois, rien de tout ça, à peine quatre jours de travail, mais l'alchimie sur scène est indéniablement là.

Alicia Amatriain et Karl Paquette - Saluts d'Onéguine

Alicia Amatriain et Karl Paquette - Saluts d'Onéguine

C'est ce qui s'est passé un soir à Garnier dans le ballet Onéguine de John Cranko. L'Étoile du Ballet de Stuttgart Alicia Amatriain, une habituée du rôle, a été appelée à la rescousse en dernière minute pour pallier une blessure. La danseuse a sauvé la représentation (même si l'Opéra de Paris n'a pas eu la politesse de l'annoncer officiellement), mais toute la distribution était au diapason, entre un couple en osmose et un quatuor très équilibré et cohérent (et on ne le dira jamais assez : Onéguine est d'abord un quatuor). Aucune personnalité ne dominait outrageusement, comme aucune n'offrait une vision de son rôle différente et inhabituelle. C'est bien l'ensemble, la cohérence des quatre qui a permis à cette représentation de si bien fonctionner, et d'émouvoir profondément.

Alicia Amatriain, Eve GrinsztajnKarl Paquette et Fabien Révillion. La jeune fille en fleur et la déjà charnelle, le jeune homme idéaliste et le dandy terre-à-terre. Chacun jouait sa partition au caractère bien défini, chacun se complétait, chacun savait occuper la scène sans écraser l'autre, ne mettant que plus en valeur la formidable construction du ballet, où décidément rien n'est en trop. L'histoire était à la fois celle de deux couples qui se cherchent et celle de deux oppositions, deux façons de voir la vie.

Onéguine

Onéguine

Alicia Amatriain est une ballerine racée, à la blondeur (oui, Tatiana n'est pas forcément brune, il faut s'y faire) et aux gestes naturellement aristocrates. Jouant sur une corde moins intellectualisante ou dramatique que ses collègues parisiennes, l'Étoile de Stuttgart joue au premier acte une Tatiana assez premier degré : une jeune fille sage, première de classe, qui ne s'intéresse pas au sexe opposé (contrairement à sa soeur virevoltante). Mais dès que son regard croise celui d'Onéguine, elle se consume littéralement d'amour, comme on peut l'être à 16 ans. Une fois dans sa chambre, c'est à peine si elle n'accrocherait pas des posters du beau ténébreux au-dessus de son lit, impression renforcée par l'arrivée de Karl Paquette chemise ouverte et cheveux au vent façon Leonardo Di 2be3. Mais n'est-ce pas comme cela que l'on est amoureuse adolescente ? La danseuse connaît ce rôle dans ses moindres détails, SuperKarl a sorti ses pouvoirs de Rolls des partenaires : le pas de deux s'envole et pas uniquement techniquement.

Eve Grinsztajn est, au début, le parfait contrepoint de Tatiana. Jeune fille pas si innocente que ça, ses développés sont déjà empreints d'une certaine sensualité, s'opposant à l'amour assez idéaliste et cérébral de Lenski (très bon Fabien Révillion, qui sait prendre sa place). Lors de la scène du bal, elle séduit en connaissance de cause, inconsciente sur le drame qui en découlera, mais cherchant de plus en plus volontairement le regard de cet homme plus direct que son fiancé. Karl Paquette propose d'ailleurs une version plus nuancée de son personnage, plus crédible sur la longueur que lors d'une précédente représentation. Son solo du premier acte, touchant, est le seul moment où il se livre finalement, d'où une certaine tristesse. Il reprend sa carapace au deuxième acte, excédé par les babillages des adolescents, peut-être plus dur qu'il le voudrait réellement. Sa confrontation avec Lenski en est aussi un symbole. Plus qu'ami, il y a entre eux une relation quasi filiale. Défier Onéguine est d'ailleurs pour Lenski peut-être son premier pas dans l'âge adulte (ah, le fameux "Tuer le père"), alors qu'Onéguine, décernant le coup de tête de son cadet, pense jusqu'au bout que les choses vont s'arranger, que ça peut pas aller au drame.

A

Onéguine

Isabelle Ciaravola indiquait lors de son interview que, pour elle, Tatiana ne devient femme qu'au troisième acte. Je dirai qu'elle le devient à la fin du deuxième, après le meurtre. Pour la première fois, le regard qu'elle lance à Onéguine n'est pas idolâtré, mais réaliste. La vie a terrassé ses rêves de jeune fille. Des années plus tard, Tatiana est redevenue sage. Là encore, à l'opposé de ses consoeurs de Paris, Alicia Amatriain n'est pas forcément une héroïne romantique, tragédienne. Son choix semble déjà être fait. Elle garde une certaine simplicité dans la dernière grande confrontation, mais n'en reste pas moins absolument juste. Karl Paquette a lui aussi cette profonde sincérité et ce talent pour rendre emphatique son personnage. Les deux protagonistes n'étaient pas forcément des grands héros lors de cette scène finale. Mais un homme et une femme qui ne se sont pas aimés au bon moment. Vraiment bouleversant.

Alicia Amatriain dansera Onéguine également le 4 mars, avec Karl Paquette, Eve Grinsztajn et Florian Magnenet.

Photo 1 : Elendae.

 

Onéguine de John Cranko par le Ballet de l'Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Alicia Amatriain (Tatiana), Karl Paquette (Onéguine), Fabien Révillion (Lenski), Eve Grinsztajn (Olga), Christophe Duchenne (le Prince Grémine), Christine Peltzer (Madame Larina) et Ghyslaine Reichert (la Nourrice). Mardi 25 février 2014.

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Amélie Bertrand

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