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Onéguine : épisode 2

Mardi 13 décembre 2011. Onéguinede John Cranko, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Avec Aurélie Dupont (Tatiana), Evan Mc Kie (Eugène Onéguine), Josua Hoffalt (Lenski), Myriam Ould Braham (Olga) et Karl Paquette (Prince Gremine).

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Ce mois de décembre est décidément un bon cru. Les représentations se suivent, très différentes, mais toutes enthousiasmantes. Un vrai régal pour cette fin d’année.

Le premier attrait de cette deuxième représentation d’Onéguine était bien sûr la présence d’Evan McKie, l’Etoile de Stuttgart venu au secours de l’Opéra de Paris suite à la blessure de Nicolas Le Riche. Faisons simple, il fut fantastique. Comme le reste du casting en fait. Et tout le monde fut sur la même longueur d’onde, ce qui commence à se faire rare dans la compagnie parisienne.

Le personnage d’Onéguine est complexe, et surtout très différent des autres héros des grands ballets classiques. Si les Mr Darcy peuplent les romans, ils sont assez peu présents en chaussons et collants. Il n’est pas romantique, il n’est pas aimant. Il est juste indifférent au monde qui vit autour de lui, suite sûrement à de nombreuses blessures secrètes.

Evan McKie a su exactement rendre cette personnalité, bien mieux que les autres étoiles parisiennes que j’ai pu voir sur ce rôle (il est vrai aussi que j’ai raté Hervé Moreau) (RIP).

Aurélie Dupont fut également extrêmement convaincante et émouvante. Au premier acte, elle ne joue pas spécialement la jeune fille en fleur. C’est déjà une adulte, sage, mais toute remplie de pureté. Le rapport sororale est ainsi plus marqué face à Olga/Myriam Ould-Braham, encore enfantine.

Cette dernière, mais comment pouvait-il en être autrement, est craquante dans le personnage d’Olga. Contrairement à Mathilde Froustey, qui le dansait très bien mais d’une façon assez monocorde, Myriam Ould-Braham apporte une infime complexité à son personnage. Oui, elle aime Lenski, elle est joyeuse. Mais au fond d’elle-même son âme joueuse aimerait s’amuser un peu plus, prendre des risques. Son grand pas de deux est ainsi rempli de tendresse, mais avec un léger brin de mélancolie. Un sentiment que ne partage pas Lenski/Josua Hoffalt, l’esprit entièrement occupé par sa promise. La faille, déjà, apparaît dans ce couple d’amoureux pourtant bien sous tous rapports.

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L’Onéguine d’Evan Mc Kie connaît les bonnes manières, c’est un home du monde. Il est impensable pour lui de refuser son bras à Tatiana pour une promenade Mais très vite, ses babillages l’ennuient. La Tatiana d’Aurélie Dupont se heurte à cette indifférence, non pas par naïveté, mais par pureté. Cette histoire, c’est aussi celle de cette jeune fille au cœur si protégé, qui va se confronter à la dureté du monde.

La scène du songe qui suit est néanmoins le petit point faible de cette distribution. Le manque de répétition se fait sentir dans les portés acrobatiques, et chacun-e ne semble pas assez libéré-e pour véritablement se laisser aller.

Le deuxième acte passe à toute vitesse. Onéguine se montre irascible, moqueur et cynique en plus d’être froid. Tatiana-le-cœur-pur ne suit plus. Le flirt avec Olga n’en paraît que plus cruel, mais cette dernière a enfin trouvé le goût du danger. Quand le sombre personnage vous fait du charme, comment résister ?

Chacun joue son jeu, l’effroi s’empare du public lorsque la claque fuse, et c’est le désespoir lorsque le coup de feu part. Ce n’est pas du Jane Austen, Tatiana n’arrivera pas à percer la coque d’Onéguine. En Russie, ce genre d’histoire finit mal.

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Si l’acte 1 est porté par Myriam Ould-Braham et l’acte 2 par Josua Hoffalt, l’acte 3 est clairement celui d’Aurélie Dupont. La voilà radieuse, dix ans plus tard, au bras du Prince Gremine. Son sourire ne trompe pas. Elle aime son mari, d’un autre amour, moins passionné. Son combat intérieur n’en paraît que plus intense face à un Onéguine passionné, qui a compris avec la mort de Lenski qui rien ne sert de se protéger de ses sentiments.

La Tatiana de ce soir ne doit pas choisir entre l’amour et la raison, entre la passion et la fidélité au mariage. Ce serait trop simple. Elle doit trancher entre deux amours, le passionné et destructeur, ou le sage et réconfortant. Qui pourrait prendre une telle décision ?

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Le pas de deux final, l’un des plus beaux du répertoire, le genre de pas de deux qui vaut à lui seul le déplacement, n’est que ce tiraillement. Dans les pas, et dans le regard. La lettre déchirée et le geste qui chassent n’en feront rien. Tatiana ne passera pas sa vie à regretter son refus, mais à se demander si elle a eu raison. Une immense incertitude bien pire que d’éternels regrets.

Commentaires (9)

  • ecartsonis

    Merci beaucoup de votre compte rendu! J’aurais voulu y etre, mais ceci n’etant pas possible j’apprecie enormement vos impressions ci-dessus. J’attends avec impatience le jour ou ces magnifiques spectacles seront tous transmis en direct a l’etranger!!

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  • Genoveva

    Je partage vos impressions quant à cette distribution qui m’a semblée exceptionnelle !

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  • “En Russie, Jane Austen finit mal” ? J’adore 🙂

    Comme ton billet donne hâte de voir ce ballet.. Je le verrai deux fois la semaine prochaine, dont une fois grâce à Joël, qui m’a dégoté une place pour lundi, sauf erreur de ma part, je devrais voir ce fameux Evan Mckie qui semble enthousiasmer beaucoup de monde, youpi !
    (et j’en profiterai pour faire quelques coucoux aux altos en fosse..)

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  • Aymeric

    Je pense avoir passé une de mes plus belles soirees a l’opera mardi soir…. C’est dommage que ca ne se soit pas passé avec une etoile de paris! J’ai trouvé le couple Olga-Lenski particulierement bon malgré quelques petites erreurs au premier acte…. J’avais de tres bons souvenirs de Moreau dans le role d’oneguine mais la McKie, c’etait quand même autre chose! Un vrai bonheur! Content que cela ait également plu aux réelles experts….

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  • @ Ecartsonis : Merci !

    @ Genoveva et Aymeric : Cette soirée fait définitivement l’unanimité 😀

    @ Klari : Tu y vas lundi et quel autre jour la semaine prochaine ? J’y retourne mercredi pour ma part.

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  • jigara

    Oh moi aussi j’y serai mercredi ! Peut être qu’on se croisera.
    Je pense que Ganio – Ciaravola risque fort de donner du très bon aussi.

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  • lulu

    Votre commentaire est parfait qui reflète exactement la sensibilité de ce spectacle exceptionnel. Merci. Votre blog est très séduisant, vous avez sur la danse un goût râre et original.

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  • On va se croiser ! J’y serai ce soir (lundi) et jeudi soir !

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  • @ Jigara : Moi aussi je suis curieuse… On se voit mercredi !

    @ Lulu : Merci beaucoup 😀

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