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Soirée Béjart/Nijinski/Robbins/Cherkaoui : un Faune fascinant, un Boléro décevant

Soirée Béjart/Nijinski/Robbins/Cherkaoui, par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Trois ballets : L’Oiseau de Feu de Maurice Béjart, avec Mathias Heymann (l’Oiseau de Feu) et Allister Madin (L’Oiseau Phénix) ; L’Après-midi d’un Faune de Vaslav Nijinski, avec Nicolas Le Riche (le Faune) et Émilie Cozette (la Nymphe) ; Afternoon of a Faun de Jerome Robbins, avec Hervé Moreau (le Faune) et Eleonora Abbagnato (la Nymphe) ; Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, avec Aurélie Dupont, Marie-Agnès Gillot, Muriel Zusperreguy, Alice Renavand, Letizia Galloni, Jérémie Bélingard, Vincent Chaillet, Marc Moreau, Alexandre Gasse, Daniel Stokes et Adrien Couvez.

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

En ces temps de centenaire du Sacre du Printemps, l’Opéra a programmé une soirée Revival Ballets Russes. Autour de L’Après-midi d’un Faune dans sa version originale gravitaient trois réinterprétations de ballets, plus ou moins réussies, plus ou moins vieillissantes. La force du temps a gagné ce soir, puisque c’est le premier cité qui a véritablement dominé la soirée, par son incroyable modernité dénuée de toute fioriture.

Mais événement oblige, commençons plutôt par Boléro, dans la très attendue version de Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet et Marina Abramović. Les répétitions et rencontres promettaient beaucoup : la notion de transe, le rapport à la musique, le centre vide et attirant, les 11 solistes en lieux et place du Dieu/de la Déesse dans la version de Béjart… Ahh, le Boléro de Béjart, difficile de passer après lui. Le duo de chorégraphes de ce soir semblent d’ailleurs lui rendre hommage, en démarrant leur pièce comme celle de leur prédécesseur, un spot blanc sur deux mains.

Puis la pièce enchaîne d’une fascinante façon. Aurélie Dupont rayonne au milieu, avec dix danseurs et danseuses gravitant autour, répétant la même phrase chorégraphie dans une sorte de longue litanie. Un grand miroir en fond de scène déforme les perspectives, le centre se perd, les ombres se multiplient, on rentre dans un autre monde… Et puis, et puis, et bien c’est à peu près tout. La chorégraphie est complexe, mais la façon de danser est sage, lisse. C’est beau visuellement, mais c’est un peu froid, alors que l’on est tout près à tourner avec eux. Ce Boléro comporte quelques moments puissants, comme le tout début, l’instant des rencontres – d’un coup, les personnages sur scène se rendent compte de l’existence de l’Autre -, et la toute fin, autour d’une grande silhouette noire. Et entre tout ça ? Des moments jolis, beaux à regarder, à analyser, mais pas vraiment prenants.

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet

Il manque à ce Boléro comme une force pour donner tout le sel à cette transe. On repense alors à James O’Hara, le danseur de Cherkaoui ayant participé aux répétitions. Il avait en lui, dans la façon de tourner son corps, de se jouer de l’apesenteur et du centre de gravité, quelque chose de proprement fascinant. Que n’avaient pas les artistes sur scène ce soir là. Cela met en fait en cause la fameuse phrase déclarant que les danseurs et danseuse de l’Opéra de Paris peuvent tout danser. Oui, mais de quelle façon ? Sidi Larbi Cherkaoui a fait du Sidi Larbi Cherkaoui, et d’une belle manière, mais sans forcément se servir de ce qui fait le propre des artistes de l’institution. Et ces derniers n’ont pas vraiment su s’approprier cette façon de danser, la transcender.

Esthétiquement parlant, les éclairages omniprésents étaient pour moi de trop. Il y avait Marina Abramović sur la feuille de distribution, il fallait donc que cela se voit. Et un grand miroir, pourtant une fabuleuse idée, n’était visiblement pas  suffisant. À moins que l’artiste n’ait pas fait suffisamment confiance à la danse, et a absolument voulu habiter la scène d’une autre façon. Le geste, pourtant, se suffit souvent à lui-même. À vrai dire, je n’ai rien contre une scénographie imposante, si elle a un sens. Mais dans ce Boléro, elle cherche uniquement à faire beau, à montrer qu’elle existe. Le mouvement, lui, est oublié, noyé dans  ces lumières qui, tout de même, faisaient un peu gadget et polluaient le tout.

L’intérêt de la soirée s’est donc trouvé dans L’Après-Midi d’un Faune, et surtout du plus vieux. Un peu muséal la version de Nijinski ? Oui et non. Elle est marquée dans son style, mais il suffit d’un grand interprète pour lui donner toute la vie qu’il lui faut. Nicolas Le Riche a été celui-là. À un an de la retraite, c’est bien lui qui domine la compagnie, par sa force, son talent d’interprète et sa science du geste. Son Faune est à la fois un homme d’une grande intelligence, qui sait comment attirer l’attention de la Nymphe, et un animal tout instinct dehors, ne comprenant pas la pudibonderie de ces demoiselles. Sa danse est d’une infinie précision et d’un total naturel. Et sans pourtant en faire des tonnes, il transforme ce ballet en 12 minutes über-sexuelles… Benji, si tu passes par ici, tu sais quelle doit être ta première décision une fois au pouvoir : donner un contrat de guest à Nicolas Le Riche.

Nicolas Le Riche dans L'Après-midi d'un Faune de Nijinski

Nicolas Le Riche dans L’Après-midi d’un Faune de Nijinski

La comparaison avec Afternoon of a Faun de Jerome Robbins, qui vient juste après, est des plus intéressantes. On s’amuse ainsi à retrouver certains gestes du Faune dans l’attitude très travaillée des deux protagonistes. Mais Hervé Moreau et Eleonora Abbagnato, aussi beaux soient-ils, ont peut-être pris leur rôle un peu trop au sérieux. La Nature est ici remplacée par une salle de danse, lui est un danseur à l’échauffement, elle une danseuse au grand plié ultra-moelleux. Ils se regardent dans la glace, qui est en fait la salle de spectacle, et se parlent à travers leur mutels reflets. Les deux artistes jouent très bien les danseurs égocentriques et glamour, mais il manque comme un second degré, un léger détachement qui donne tout le charme à cette si jolie relecture.

Eleonora Abbagnato et Hervé Moreau dans Afternoon of a Faun de Jerome Robbins

Eleonora Abbagnato et Hervé Moreau dans Afternoon of a Faun de Jerome Robbins

La soirée a enfin commencé par L’Oiseau de Feu de Maurice Béjart, qui a mieux vieilli que dans mon souvenir. Le corps de ballet est impliqué, dominé par Mathias Heymann toujours aussi fulgurant, même quand il part un peu à l’économie. Dommage que le danseur reste là encore dans le premier degré, son surjeu n’aide pas vraiment l’oeuvre à trouver sa dimension actuelle. Son coéquipier du soir, Allister Madin, dans le petit rôle du Phénix, était plus juste dans les intentions. Reste à lui de s’imposer comme soliste, et ne plus danser comme simple tête de file du corps de ballet, ce qui devrait se faire au fur et à mesure des représentations.

Soirée Cherkaoui/Nijinski/Robbins/Cherkaoui-Jalet, jusqu’au 3 juin au Palais Garnier

Commentaires (13)

  • Je bave devant les cheveux d’Eleonora Abbagnato…(oui, ce commentaire n’est pas très constructif, je sais) 🙂

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  • Joelle

    J’attends avec impatience la découverte demain soir !
    Mais j’ai adoré le message (subliminal) d’Amélie : “Benji, si tu passes par ici, tu sais quelle doit être ta première décision une fois au pouvoir : donner un contrat de guest à Nicolas Le Riche.”

    Je n’ai pas vu souvent Nicolas Le Riche (seulement quatre fois en tout), mais c’est vrai qu’il a une présence très magnétique. Et on pourrait faire une suggestion similaire à Benji pour A. Le Testu et I. Ciaravola…. 🙂

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  • Joelle

    On en revient et on a tout adoré !!! Ah les néophytes ! 🙂
    Et la magie du “nouveau” Boléro a bien agi sur nous. On a tourné dans nos têtes comme les derviches tourneurs !!! Géniale l’idée du miroir !
    Une autre date est prévue le 3 juin, mais je me demande si je ne vais pas tenter un petit rab…. Trop bien !!!
    Une amie de Nantes était avec nous ce soir. Première fois à Garnier, et elle est ressortie avec des étoiles plein les yeux. Elle va revenir bientôt, nous a-t-elle promis… Trop, trop bien !!!

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  • Joelle

    On a bien aimé Audric Bézard en oiseau de feu suant et F. Alu a bien assuré aussi.
    Adorable “vieux” Faune avec S. Bullion et S. Romberg (première fois qu’on la voyait) et adorable “nouveau” Faune avec K. Paquette et A. Albisson (bien distribuée la petiote en ce moment…).
    Et le nouveau Boléro, vu de l’orchestre, était superbe. Dommage d’avoir mis du temps à reconnaître les différents danseurs avec leur maquillage de scène et leurs costumes androgynes !

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  • N’ayant jusqu’alors jamais vu en vrai l’Oiseau de Feu de Béjart, c’est ce qui m’a le plus marqué dans ce programme (lors de la deuxième représentation). Dans l’Après-midi d’un faune (Nijinski), ce que j’ai préféré, ce furent les saluts. Ni cette version ni celle de Robbins ne m’ont parues “über-sexuelles”… J’espère changer d’avis en voyant d’autres distributions ! Pour ce qui est du Boléro, si on s’autorisait la comparaison avec la version de Béjart (dont circulent ces jours-ci des extraits vidéos donnés au Mariinsky avec Diana Vichneva), ce serait assez cruel pour la création donnée à Garnier qui est juste jolie à regarder, comme un clip vidéo dans une publicité mais pas tellement sur une scène de théâtre. C’était une belle idée d’avoir mis un miroir qui permette aux spectateurs des étages inférieurs de voir le plateau comme vu de dessus et ainsi de mieux apprécier les mouvements circulaires. Le maquillage rend méconnaissables les artistes du Ballet de l’Opéra et les transforme en êtres indifférenciés (sans doute une référence à certains aspects du soufisme…). Si je n’avais pas trouvé le temps long, ce ballet aurait pu me plaire…

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  • petitvoile

    Magnifique soirée ! Hors le Faune de Robbins dont la chorégraphie est d’une paresse digne d’un après-midi trop chaud… heureusement les cheveux de la princesse italienne ! Mais l’idée des 2 Faunes était très bien vue. Et le Boléro de Cherkaoui, superbe!!! Amélie, retournez-y, vos préjugés vous ont voilée !!!

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  • Contrairement à toi j’ai été complétement transportée par le Boléro (vu le 8 mai). Le début un peu prétentieux dans le silence m’a fait peur, mais une fois la musique commencée je suis entrée dans la transe des danseurs. J’ai adoré la chorégraphie complexe en mouvement permanent au point où on ne sait plus où regarder sur scène, avec le miroir multipliant cet effet. Les costumes magnifiques flottaient autour des corps. La mise en scène avec les lumières ne m’a pas gênée, tout comme le fait qu’on ne reconnaissait pas les danseurs : au contraire, cela aurait enlevé la force de la chorégraphie qui vaut vraiment par cet effet de groupe. Bref, une véritable expérience, marquante pour moi. Malheureusement je n’ai pas accroché au Faune de Nijinski (Bullion / Romberg) ; en plus il y a eu des soucis d’éclairage perturbants. Dommage! J’ai préféré celui de Robbins avec une Amandine Albisson pleine de sensualité et d’humour (il y a vraiment des Sujets qui sortent du lot à l’Opéra!). Quant à L’Oiseau de Feu, j’ai aimé la danse physique d’Audric Bezard (quels bras!) mais il aurait pu aller plus à fond dans l’interprétation, surtout dans la “mort” de l’oiseau. Il était nettement moins à l’aise que dans la 3ème Symphonie vue quelques jours plus tôt. Le trac peut-être? François Alu se démarque parmi les partisans (rien à voir, mais c’est dommage qu’il ne danse pas James dans la Sylphide). A noter que 3 musiques superbes accompagnent ces ballets et que l’orchestre leur fait vraiment honneur!

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  • Estelle

    Et bien comme Danses avec la plume je n’ai pas vraiment aimé le boléro. J’ai trouvé les mouvements peu intéressants et avouerais avoir avant tout été très distraite par les costumes que je ne trouve vraiment pas géniaux (c’est quoi ??? de la dentelle ??). La scénographie était trop chargée. ça m’a fait penser à ces expositions d’art qui en mettent plein la vue au niveau des agencements de tableaux mais qui au niveau du contenu scientifique sont vides.
    Je n’ai pas vraiment accrochée non plus sur la version du Faune de Robbins. Pour moi il n’en est ressortit qu’une sorte de mièvrerie.
    En revanche, j’ai été très emballée par le Faune de Nijinski et L’Oiseau de Feu. C’était la première fois que je voyais ces chorégraphies en live et j’ai été bluffée par leur contemporanéité !!

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  • Audrey

    J’ai trouvé l’oiseau de feu assez hétérogène avec des moments fascinants (Béjart est le maitre de la géometrie des corps et de la chorégraphie) et d’autres qui semblaient inégaux par rapport à ceux précédemment cités. F. Alu ressort clairement du lot des partisans, en arrivant sur scène en accomplissant un nombre de pirouettes impressionant que je n’ai malheuresement pas eu le temps de compter ! Il n’a vraiment rien a envier a M. Heymann, à part peut être le costume rouge de l’oiseau ;). Une jolie danseuse blonde très lyrique (L. Baulac?) se démarquait au sein des oiseaux aussi, j’espère pouvoir la voir en soliste lors de la soirée Jeunes Danseurs de la saison prochaine. Certes on voit que l’oiseau de feu a été chorégraphié il y a 40 ans mais je ne trouve pas que le ballet ai mal vieillli loin de là!
    Contrairement à l’après midi d’un faune de Nijinski qui m’a laissé vraiment indifférente. A part la grâce incroyable de E. Grinsztajn même en danseuse 2D, j’ai eu l’impression que les ballets russes commencent à être historiques, et sont plus intéréssants par l’évolution de la danse qu’ils démontrent que par leur réel aspect esthétique aujourd’hui (analogie un peu exessive mais un peu comme la danse baroque)
    J’ai été charmée par la réinterprétation de Robbins, malgré une certaine froideur que dégagent la chorégraphie, E. Cozette et S. Bullion ont réussi à faire parvenir jusqu’a moi en fond de loge toute la sensualité de leur danse. Je suis sortie avec une impression de beauté épurée, ce qui a toujours un bon effet sur moi. Et remarque pour la crinière de Mlle Cozette qu’elle a d’ailleurs recoiffé d’un coup de main au moment de saluer c’était assez inédit sur la scène de Garnier 😉
    Je suis perplexe quant au boléro, des 15 minutes du ballet je suis incapable de retenir un moment particulièrement fort. La plupart du temps je n’arrivais pas à me retrouver dans cet ensemble de tourbillon (qui m’ont d’ailleurs fait tourné la tête). Lorsque je distinguais quelque chose cela devenait par contre interéssant. J’ai regrété les éclairages qui peut être a cause de ma myopie aussi, m’ont fait beaucoup plissé les yeux!

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  • laffon

    Je suis d’accord avec votre critique de A à Z. Moi, j’ai vu Mathias Heyman que j’ai quand même trouvé très impressionnant, une expression dans les gestes extraordinaire, très présent. L’après-midi d’un faune indémodable, par contre la version de Robbins de son oiseau de feu un peu has been même s’il y a de jolis moments. Et alors, le Boléro de Cherkaoui…les effets de lumière et les pixels, on en peut plus au bout de 2 min, et oui vous avez tout à fait raison, il y a des moments puissants mais qui s’évanouissent derrière tout cet artifice un peu mortifère de costumes de cadavres transgenres et de lumières hallucinogènes.

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  • Sissi

    J’ai enfin découvert ce programme hier soir. Je ne connaissais pas l’oiseau de feu, j’ai bien aimé mais il manquait le petit truc en plus. Mathias Heymann était impressionnant mais ça manquait de quelque chose au niveau de l’interprétation. Je ne suis pas une grande fan de l’Après-Midi d’un Faune mais avec Nicolas Leriche il prend une autre dimension. J’ai été sous le charme d’Afternoon of a Faun. Enfin le Boléro, j’ai été agréablement surprise, j’ai passé un bon moment. Deux regrets, de l’amphithéâtre on ne voit quasiment pas le miroir et je n’ai pas eu l’impression que la chorégraphie montait autant en puissance que la musique.

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