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Soirée Forsythe : épisode 1 aux émotions variées [Ballet de l’Opéra de Paris]

Lundi 3 décembre 2012. Soirée William Forsythe/Trisha Brown par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Quatre ballets : In the middle, somewhat elevated de William Forsythe (Alice Renavand, Vincent Chaillet, Aurélia Bellet, Valentine Colasante, Marc Moreau, Laurène Levy, Daniel Stokes, Eléonore Guérineau et Charlotte Ranson) ; O Zlozony / O Composite de Trisha Brown (Aurélie Dupont, Nicolas Le Riche et Jérémie Bélingard) ; Woundwork 1 de William Forsythe (Agnès Letestu, Hervé Moreau, Isabelle Ciaravola et Nicolas Le Riche) ; Pas./Parts de William Forsythe (Sabrina Mallem, Marie-Agnès Gillot, Audric Bezard, Nolwenn Daniel, Christophe Duquenne, Aurélien Houette, Caroline Bance, Caroline Robert, Jérémie Bélingard, Cyril Mitilian, Eleonora Abbagnato, Sébastien Bertaud, Valentine Colasante, Juliette Hilaire et Laurène Levy).

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William Forsythe et l’Opéra de Paris
, quel formidable mélange ! Cette Première de cette soirée Forsythe/Brown n’a pas été plaisante à tous les points de vue, mais pourtant la conclusion s’impose. Forsythe fait partie de ces génies chorégraphiques, dont les œuvres contemporaines sont déjà devenues des pièces intégrantes du répertoire pour la compagnie. Cette danse néo-classique, explosive, semble être comme une libération pour les danseurs et danseuses de la compagnie parisienne. C’est bien leur langage (les pointes, l’en-dehors, les pas académiques), mais transgressé, remodelé, transfiguré.

Pas./Parts, qui conclue la soirée, en est le meilleur exemple. La pièce est une suite de solos, duos, trios et passages d’ensemble, dans une danse à l’énergie débordante et à l’inventivité sans cesse renouvelée. Chaque nouvelle entrée est une surprise, une claque d’énergie. C’est le plaisir de la danse, et donc celui du public, à l’état pur, enthousiasmant.

Quelque soit son grade (Étoile, Sujet, Choryphée), les danseurs et danseuses présent-e-s sur scène le sont en tant que solistes. Il y a donc à la fois une formidable synergie de groupe, et en même temps de fortes personnalités, des personnages différents, une impression unique dès que quelqu’un est sur scène. Sabrina Mallem ouvre le bal comme une reine. Jérémie Bélingard et Audric Bezard mangent la scène. Eleonora Abbagnato est lumineuse, Aurélien Houette surprenant. Sébastien Bertaud montre tout l’étendue de son intelligence du geste (mais que fait-il encore dans le corps de ballet…), et même des danseurs, qui en général me laissent indifférentes, me captivent du début à la fin. “Pas./Parts est une sorte de grande célébration destinée à faire comprendre aux danseurs à quel point leur propre danse est excitante et comment la faire partager“, raconte le chorégraphe. Oui, voilà, c’est exactement çà. C’est une pièce formidable, un chef d’œuvre, et ce soir-là magnifiquement dansé. Rien à dire de plus, allez vivre l’expérience !

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Le ballet était précédé d’une autre œuvre de Forsyhe, créée également en 1999, Woundwork 1. Le langage chorégraphique n’est pas très différent, mais il s’agit plus ici d’une étude sur le pas de deux et le vrillement des corps. Le titre de du ballet peut d’ailleurs se traduire par le “travail de l’entrelacement“. Deux couples sont sur scène, sans jamais se toucher ou se croiser. C’est une pure étude de style Forsythe, portée pour cette Première par un quatuor de choc : Agnès Letestu et Hervé Moreau côté jardin, Nicolas Le Riche et Isabelle Ciaravola côté cour. A tel point qu’on ne sait plus bien où regarder : le charme de la première, l’élégance du deuxième, l’intelligence du troisième ou les si sublimes développés de la quatrième.

Cette dernière ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de faire parler son tempérament de tragédienne. Et cette figure de style se transforme en mini-drame. Elle veut sans cesse aller vers l’autre couple, mais son partenaire l’en empêche, la rattrape au dernier moment, lui coupe sa trajectoire. Woundwork 1 peut ainsi sembler un peu froid aux premiers abords, par cet aspect démonstration. Mais la danse l’emporte, c’est une véritable histoire qui se déroule sous nos yeux, et l’on finit par être bien plus touché qu’on ne le pensait.

La première partie de cette soirée fut malheureusement moins enthousiasmante. Certain-e-s aiment  O Zlozony / O Composite de Trisha Brown. Pour moi, je n’y vois qu’une danseuse ennuyeuse vaguement prétentieuse. Mais le trio du soir, Aurélie Dupont, Jérémie Bélingard et Nicolas Le Riche, a tout de même bien fait les choses, mettant tout leur talent et leur personnalité dans le ballet. On dit Nicolas Le Riche fatigué à un an de la retraite. Peut-être qu’il est, mais ses formidables qualités d’interprètes, elles, sont intactes. Il est de ce genre de danseur à rendre Beau et intelligent tout ce qu’il touche, c’est fascinant. Son solo a fait taire en moi mes réticences sur ce ballet pour m’emmener très loin… Le reste m’a fait très vite revenir, si ce n’est un porté tout en suspension d’Aurélie Dupont. Les gestes sont beaux, mais même avec beaucoup de motivation, difficile d’illuminer 25 minutes de danse qui n’a pas grand chose à dire.

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Re-retour en arrière, In the middle, somewhat elevated, ballet de William Forsythe qui ouvre cette soirée. Ballet phare, ballet mythique, chef d’œuvre du XXe siècle. Qui ce soir se résuma en un mot : déceptionIn the middle (pour les intimes), ce fut tout simplement mon spectacle de la saison dernière. Dansé par le Ballet de Flandre, ça avait été un pur moment de réjouissance, un shoot d’énergie et d’inventivité. Et la version de cette Première n’a pas été à la hauteur de mes souvenirs.

Pour être honnête, je n’ai pas été loin de m’y ennuyer. Drame dans ma tête. Je n’aime plus In the middle. Je n’aime plus Forsythe. Je n’aime plus la danse. La danse ne me fait plus rien. Je suis tombée dans le clan des grincheux-ses qui n’ont plus aucun enthousiasme. Je suis finie. J’arrête tout. A la sortie, je me suis aperçue que je n’étais pas la seule, et la jubilation ressentie face à Pas./Parts m’a rassurée. Mais mon petit cœur de fan de In the middle s’est un peu retrouvé piétiné.

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La pièce commence bien pourtant. Vincent Chaillet et Alice Renavand arrivent décidé-e-s en scène, prêt-e-s à entrer dans l’arène et à en découvre… Las, tout ça retombe bien vite. Volontairement, aucune Étoile n’a été distribuée pour laisser la place à la jeune génération. Et leur absence se fait malheureusement plus que cruellement sentir. Le groupe danse comme un groupe, comme un corps de ballet, alors qu’il faut des solistes à chaque poste. Chacun est sage, fait ce qu’il a à faire, mais la flamme n’est pas là. Cela manque de personnalité, de surprise, de ne pas se contenter des pas. Exception faite toutefois d’Aurélia Bellet avec un magnifique solo, de Marc Moreau vraiment à l’aise dans cette œuvre et de Vincent Chaillet, qui tient bien son rôle de chef de file.

In the middle, cela doit être un mélange d’une allure désinvolte avec une incroyable virtuosité technique. Et c’est justement ce mélange qui emporte le public. Visiblement, la désinvolture a été confondue avec une certaine dureté. Et les difficultés n’ont pas été toutes maîtrisées, avec notamment des extensions qui paraissaient crispées. Ce soir, l’œuvre a été plus forte que cette jeune génération. Mais Forsythe reste Forsythe, à savoir un incroyable chorégraphe. In the middle, avec son jeu de thème et variations, fonctionne toujours à merveille, et les danseurs et danseuses de l’Opéra restent toujours de très bons danseurs. Le public a ainsi été très chaleureux aux applaudissements. Mais j’avais dans la tête un trop génial souvenir pour me contenter de cette proposition un peu trop fade.

Soirée Forsythe/Brown par le Ballet de l’Opéra de Paris, jusqu’au 31 décembre au Palais Garnier.

Commentaires (4)

  • steph2clam

    j’y étais hier soir et je partage pour l’essentiel vos commentaires sur le spectacle. J’ai aussi un peu été déçue par “In the middle” que j’avais déjà vu il y a longtemps dansé par Aurélie Dupont (j’ai aussi trop regardé je pense les vidéos de cette oeuvre avec Sylvie Guillem.) J’ai plutôt aimé le Trisha Brown centrée sur Le Riche et Dupont (quelle classe non ?) et Pas./Parts est vraiment jubilatoire et d’une construction très inventive et surprenante. J’avoue avoir moins aimé Woundwork 1. et pourtant quelle distribution !!! peut-être aussi qu’en raison de ma place sur le coté droit , j’ai loupé beaucoup de chose et je n’avais souvent qu’un seul couple en vision 🙁

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  • Tiphaine

    J’ai vu le spectacle mardi soir et je dois dire que j’ai vraiment apprécié, peut-être est-ce parce que c’était la première fois que je voyais une pièce de Forsythe. J’ai trouvé Amandine Albisson, Sabrina Mallem et Eléonore Guérineau particulièrement captivantes dans In the middle. j’ai aussi beaucoup aimé Gillot et Abbagnato superbes dans Woundwork1.

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  • melO

    J’y étais samedi soir et j’ai apprécié l’incroyable précision de la chorégraphie de Forsythe et l’exploit réalisé par les danseurs (car on est ici à la limite de la danse et de la prouesse technique) mais j’ai détesté la musique de Woundwork1 et “supporté” certains passages musicaux de Pas./Parts. Donc très déçue de ce point de vue là. A contrario la musique de T. Brown était envoutante et portait la chorégraphie.

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  • @ steph2clam : Vous n’êtes pas première à noter un problème d’angle mort sur Woundwork. Le jeu entre les deux couples est tout de même primordial, et si on a un couple sur deux, c’est moyens 🙁

    @ Tiphaine : Je pense qu’Amandine Albisson doit apporter beaucoup de choses à In the Middle. Si rien ne change, je vais la voir fin décembre, je suis curieuse de voir ce qu’elle fait du ballet.

    @ MelO : La musique choisie est assez spéciale. En fait, ce n’est pas trop mon truc, mais je finis à chaque fois par me laisser emporter grâce à la chorégraphie.

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