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Soirée Gillot/Cunningham : la surprise n’est pas là où on l’attend [Ballet de l’Opéra de Paris]

Mercredi 31 octobre 2012. Soirée Gillot/Cunningham par le Ballet de l’Opéra de Paris, au Palais Garnier. Sous Apparence de Marie-Agnès Gillot : Laëtitia Pujol, Alice Renavand et Vincent Chaillet. Un jour ou deux de Merce Cunningham : Emilie Cozette, Hervé Moreau et Fabien Révillion.

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Avant même la Première de la très attendue soirée Gillot/Cunningham du Ballet de l’Opéra de Paris, les avis étaient déjà tranchés : la pièce de Marie-Agnès Gillot allait être fun et surprenante, le ballet de Cunningham serait d’un prodigieux ennui, heureusement que j’ai pris un fond de loge, je pourrais partir avant la fin. Au final, si Sous Apparence a rencontré de bons échos à l’entracte, elle semble déjà oubliée, tandis qu’Un jour ou deux n’en finit plus de questionner et de rester en mémoire. L’émotion, la surprise, ne furent pas là où on les attendait ce soir.

Sous Apparence démarre pourtant d’une jolie façon. Sur scène, une façade de maison bouge au gré de la musique. Les personnages sont fantasmagoriques : là une grosse abeille rose, là un arbuste perché sur pointes, là une femme androgyne à l’allure militaire. Et si cette pièce était plus autobiographique que la chorégraphe ne voulait bien le dire ? L’ambiance sur scène fait penser à un rêve, ces instants où tout est bizarre vu de loin, sans que cela ne ne soit le moins du monde étrange vécu de l’intérieur. Et si l’on était dans un rêve de Marie-Agnès Gillot à 15 ans ? A cette époque, elle est coincée dans un corset et rêve de s’en échapper.

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La deuxième saynète évoque de façon plus direct cette époque de sa vie, avec en fond de décor une radio de sa colonne vertébrale, tordue. Vincent Chaillet se glisse sur pointe pour un beau solo, très musical. La pointe n’est pas vraiment “asexuée“, comme l’explique Marie-Agnès Gillot, ce sont plutôt les corps qui sont androgynisés. Puis le danseur est rejoint par Alice Renavand et Laëtitia Pujol. Tous trois se glissent et se tordent, comme l’auraient peut-être voulu le faire la chorégraphe à 15 ans emprisonnée 21 heures par jour. C’est une sorte de cri du cœur d’adolescente, et cela fonctionne plutôt bien.

Le reste de la pièce est un peu plus flou, plus brumeux. Les 19 danseurs et danseuses se retrouvent sur scène pour un concours de glissades sur pointes, avant que le jardin et ses costumes fluos refassent surface. L’idée des hommes sur pointe tombe finalement un peu à plat, et l’on s’en rend à peine compte. La pose d’un lino glissant est plus intéressante. Au-delà de son effet miroir qui rend un bel effet, les glissades qu’il permet offre comme un troisième dimension au danseur et à la danseuse. Ils peuvent chercher de la hauteur par les sauts et la légèreté, s’appuyer sur le sol, et maintenant avoir cette troisième possibilité, ce nouveau travail par rapport à leurs appuis. Mais l’idée ne semble finalement qu’effleurée, comme si Marie-Agnès Gillot s’était ouvert un large champ des possibles, mais y était restée sur le seuil.

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En 30 minutes de temps, le public n’a toutefois pas le temps de s’ennuyer. Même si, plus que la chorégraphie, c’est peut-être la forme qui retient son attention : des décors mouvants par là, des costumes étranges par ci, et surtout une magnifique musique (superbement interprétée, mais la logique de la dramaturgie m’a un peu échappée). Au final, Sous Apparence ne révolutionne pas l’expérience du-de la spectateur-rice. Ce n’est pas une danse nouvelle, 1/2 heure suspendue par la grâce. Mais cela reste finalement un moment assez plaisant, peut-être pas forcément pour les bonnes raisons. Le public s’est montré chaleureux, mais semblait visiblement conquis avant même le lever de rideau.

Un jour ou deux de Merce Cunningham est en fait diamétralement opposé. Il ne faut pas chercher dans cette pièce une quelconque forme pour aider le public à entrer dans cet univers. Le décor est réduit à son plus simple aspect, un rideau transparent au début, pas de toile de fond. Idem pour les costumes, composés d’académiques gris légèrement graphiques. Quant à la musique de John Cage, il ne faut pas y chercher un élan lyrique. Mais n’ayons pas peur de cette musique tout de même. C’est une mélodie très douce, composée de sons de feuilles et de vent, parfois d’un avion. Certain-e-s diront que ce n’est que du bruit, j’ai pour ma part été bercée.

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Cette pièce est difficile d’accès, dans le sens où le public n’aura rien pour l’aider : pas de passion dans la musique, pas de virtuosité excessive dans la danse, pas de jolis décors et costumes pour occuper l’œil. Un jour ou deux demande une grande concentration pour les interprètes, mais aussi pour le public, qui doit faire l’effort de se raccrocher. Merce Cunningham ne vient pas le chercher par la main, c’est au public de faire la démarche. Et c’est en soi une expérience peu commune dans les chorégraphies d’aujourd’hui.

Mais tout comme pour la musique, malgré cette évidente aridité, il ne faut pas avoir peur de Merce Cunningham. Parce que derrière cette pièce abrupte, il y a une danse d’une pure beauté. Pure, vraiment, parce qu’il n’y a pas de forme autour pour la brouiller. Les 24 danseurs et danseuses entrent tour à tour sur scène, alternant solos, duos et passages de groupe dans un langage classique. La musique ne peut pas les guider. Pour savoir quand danser, ils doivent se regarder constamment, sentir ce que font les autres. Et cette incroyable écoute est fascinante. Les ensembles sont bien plus ensemble que sur n’importe quelle musique martelée, et pas seulement dans la façon de faire les gestes au même moment, mais d’être sur la même longueur d’onde, dans le même état d’esprit.

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Des figures se forment sur scène, des mouvements géométriques, des lignes partent. Chacun s’invente sa propre histoire dans le public, et peu-être aussi sur scène. Il y a parfois des moments de grâces, comme ce solo d’Hervé Moreau, qui décidément rend intelligent tout ce qu’il touche, ou ce solo de Fabien Révillion, une révélation, à la danse un peu plus brut que les autres. J’ai par contre cherché ce “centre qui est partout“, comme l’expliquait Wilfride Piollet, sans l’avoir vraiment trouvé. J’ai au contraire senti que la plupart des danseurs et danseuses faisaient tout pour tenir leur dos et leur centre. C’est peut-être cela qui a donné cet aspect un peu scolaire à la troupe.

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Pendant l’heure d’Un jour ou deux, le temps semble parfois un peu long. On s’ennuie, on regarde sa montre, on pense à autre chose, et d’un coup on se raccroche, par une diagonale, une façon de se tenir la main ou un pas de trois limpide. Ce n’est pas grave de s’ennuyer. Parce qu’à la fin de la pièce, on a peut-être trouvé l’heure longue, mais l’on a cette profonde certitude d’avoir vu une danse d’une incroyable modernité. Un jour ou deux a 40 ans, mais reste universelle. Et c’est peut-être la première qualité qui va manquer à Sous Apparence.

Soirée Gillot/Cunningham, jusqu’au 10 novembre au Palais Garnier.

Commentaires (2)

  • Estelle

    ah, j’hésite, j’hésite, j’hésite à acheter des places pour ce spectacle…

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  • MCC

    Ah Fabien Révillon …une étoile qui monte, qui monte ! Personnellement je suis fan!! C’est un danseur … rayonnant.

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