Soirée Lander/Forsythe – Début de bilan
Ecrit par : Amélie Bertrand
C'est l'expression de la rentrée : la soirée Lander/Forsythe du Ballet de l'Opéra de Paris, qui marque le début de sa saison, est un bon bilan de ce qu'est la compagnie aujourd'hui. Le programme est en effet ambitieux, reflétant à la fois la technique classique dans sa plus pure virtuosité et l'ouverture à une formidable contemporanéité. Verdict ? La troupe sait admirablement bien jouer sur les deux tableaux, de façon assez bluffante. Mais uniquement en restant groupé. Émerger en tant que soliste fut bien plus compliqué.
Études n'a pas été choisi au hasard par Brigitte Lefèvre pour son dernier programme. Harald Lander, le chorégraphe de la pièce, a été son directeur à l'École de Danse. Ce ballet est un petit bijou de virtuosité à la technique académique imparable. Des dégagés à la barre aux grandes variations, en passant par le grand écart et les exercices de pirouettes, ce ballet est un peu le résumé d'une classe de danse. C'est aussi le symbole du parcours de la ballerine, du grand plié (pas de base) fait en regardant fièrement le public, telle une petite fille faisant ses premiers pas sur scène, à l'apothéose d'une Étoile en pleine possession de ses moyens techniques. Virtuosité pure ? Pas seulement. Études se savoure aussi par sa progression, sa montée en puissance, et cet humour sous-jacent qui peut rendre le tout si irrésistible.
Le corps de ballet féminin assure joyeusement sa partie, quand aucune erreur ne pardonne. Imaginez un peu, douze danseuses alignées, la lumière uniquement sur leurs pieds, à enchaîner à toute vitesse dégagés, fondus et grands battements dans un ensemble parfait. Puis la classe se fait plus grande, les barres s'en vont. Les exercices s'enchaînent et deviennent de plus en plus diaboliques, quand les danseuses, petit sourire en coin, semblent dire au public : "Pfff, tout ça est tellement simple, nous pouvons faire bien plus compliqué !". Le corps de ballet masculin, pas en reste, régale de ses sauts parfaitement réglés et d'une magnifique diagonale de grands jetés finals.
Tout était donc bien parti, mais il a manqué pour une vraie réussite un trio de solistes au diapason. La distribution du soir avait de quoi être alléchante : Amandine Albisson, Arthur Raveau (Pierre-Arthur Raveau a raccourci son prénom pendant les vacances) et François Alu. Un trio plein de qualités, certes, mais encore un peu vert et qui ne semblait pas toujours s'entendre.
Amandine Albisson a fait une arrivée pleine de panache. La jeune Étoile sait occuper la scène et s'imposer. Moins à jouer sur la corde de la poésie. Pour sa version française, Harald Lander a en effet rajouté un petit passage tout ce qu'il y a de plus romantique, une évocation de La Sylphide. Plus de technique pur, mais une ambiance de théâtre. À ce jeu-là, la ballerine a plus de mal, très préoccupé aussi par son pas de deux avec Arthur Raveau qui ne semblait pas complètement réglé. Amandine Albisson, en général reconnue pour ses qualités de technicienne, a pourtant eu du mal à aller au bout du parcours, ratant malencontreusement ses fouettés lors de sa variation. Bien sûr, il serait injuste de juger une danseuse sur des fouettés ratés, ce qui peut arriver à n'importe qui (certain-e-s diront que ça n'a jamais dû arriver à Tamara Rojo, mais vous voyez ce que je veux dire). N'empêche que ces fouettés, c'est le point culminant d'une variation qui est le point culminant d'un rôle. Pour la montée en puissance, on repassera donc.
Le duo masculin a aussi cherché ses marques. Études est construit pour mettre en opposition les deux solistes masculins, rivalisant chacun de virtuosité tout en se disputant les honneurs de la ballerine. Mais mis à part un regard au début, les deux danseurs se sont plus ignorés. Arthur Raveau a tout pour briller dans ce répertoire, avec sa danse romantique, si "école française", la précision et la musicalité de sa petite batterie. Le danseur semblait pourtant crispé (et vu de près, ça ne pardonne pas), appréhendant toutes les difficultés. Et ses sourires à la fin des pirouettes ressemblaient plus à des "ouf" de soulagement qu'à une grande assurance.
François Alu fut le seul à ne pas avoir eu peur de faire le spectacle. Comment ne pas avoir ce petit frisson quand il bondit dans la Mazurka, droit dans les yeux du public annonçant bien la couleur ? Il bondit comme de rien et tourne semblant ne jamais devoir s'arrêter. Mais tombe presque dans le sur-effet. Comme s'il n'arrivait pas complètement à canaliser sa formidable énergie, ses sauts sont un peu trop bruts de décoffrage et manquent de cet infime polissage, qui, à la hauteur fabuleuse de ses pas, rajoute cette touche d'élégance. Dommage donc pour ce trio qui s'annonçait si prometteur. Études a ainsi du mal à dépasser le statut de simple démonstration, sauvé par les ensembles au charme décidément enthousiasmant.
Après l'entracte, saut dans le temps pour retrouver William Forsythe. La technique classique y est encore la base. Mais étirée au maximum, malaxée, déséquilibrée. Woundwork 1 est un jeu de spirales, où les dos et les bassins se courbent en d'incessantes voluptes. Marie-Agnès Gillot, revenue après un an d'absence, y montre toute son extraordinaire science du mouvement, ce quelque chose de captivant qui rend toute abstraction fascinante. Hervé Moreau est sur la même longueur d'onde, interprète qui prend possession de la scène avec tant de personnalité. Woundwork 1 est censé être un quatuor, deux couples se partageant la scène sans jamais se croiser. Mais face à l'entente Gillot/Moreau, le deuxième couple sembla comme resté dans l'ombre.
Pas./Parts, toujours de William Forsythe, joue plutôt sur les déséquilibres. Cet instant d'aller un peu trop sur sa pointe, de se déhancher un peu trop en pleine vitesse, à la limite de tomber, mais de se rattraper à la dernière minute par une ultime rotation ou mouvement du bassin. Aller chercher constamment cette limite a quelque chose de jubilatoire à regarder. Mais la distribution du soir se montra un peu trop frileuse. Audric Bezard s'imposa comme le patron du groupe, impressionnant de maîtrise et de ce sens du déséquilibre. Hannah O'Neill ou Émilie Hasboun se montrèrent aussi particulièrement à l'aise dans cette énergie électrique. Les autres restèrent dans une demi-mesure, comme bloqué-e-s par la peur de mal faire. Un peu de prise de risque, voilà aussi ce qu'il manque s'il faut résumer le bilan le santé.
Soirée Lander/Forsythe par le Ballet de l'Opéra de Paris, au Palais Garnier. Études de Harald Lander, avec Amandine Albisson, François Alu et Arthur Raveau. Woundwork 1 de William Forsythe avec Marie-Agnès Gillot, Hervé Moreau, Alice Renavand et Florian Magnenet. Pas./Parts de William Forsythe, avec Hannah O'Neil, Stéphanie Romberg, Audric Bezard, Muriel Zusperreguy, Fabien Révillion, Alexandre Gasse, Aubane Philbert, Ninon Raux, Alessio Carbone, Maxime Thomas, Valentine Colasante, Ida Viikinkoski, Yann Saïz, Émilie Hasboun et Pauline Verdusen. Jeudi 25 septembre 2014.
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