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[Exposition] Couturiers de la danse au Centre national du costume de scène de Moulins

Avec sa nouvelle exposition visible jusqu’au 1er novembre, le Centre national du costume de scène, à Moulins, étonne une nouvelle fois, en creusant le dialogue intime, sensuel et fécond entre l’univers de la danse et l’univers de la mode. En effet, conçue par notre confrère Philippe Noisette, journaliste spécialiste de danse et scénographiée par l’architecte Marco Mencacci, Couturiers de la danse explore plus d’un siècle du travail des couturiers pour le monde chorégraphique à travers 130 costumes inédits en provenance de compagnies comme le Ballet de l’Opéra de Paris, le Béjart Ballet Lausanne ou Les Ballets de Monte-Carlo, et bien sûr des réserves patrimoniales de ce superbe musée. Selon le chorégraphe Daniel Larrieu auquel l’exposition réserve une place de choix, “Un vêtement pour la danse devrait tenir de l’art de la sculpture, de la mode, de la peinture, de la lumière et… de la danse.” Il n’existe pas meilleure citation pour guider nos pas au fil des treize salles.

Costumes de Karl Lagerfeld (Jeunehomme de Uwe Scholz) et de Sylvie Skinazi (Hiatus de Lionel Hoche)

Dans l’antichambre de l’exposition, deux mannequins revêtues des robes de tulle chair et de taffetas noir de Hervé L. Leroux pour Rythme de Valses chorégraphié par Roland Petit pour le Ballet de l’Opéra de Paris jouent les gracieuses hôtesses, disposées sous une ondulation de papier immaculé. Une évocation très poétique de Marco Mencacci des célèbres ateliers de costumes du Palais Garnier où sont suspendus au plafond les tutus galettes. Le ton est donné : élégance, glamour et savoir-faire d’excellence au service de l’art chorégraphique. Comme on le constate tout au long du parcours, les mannequins sont posés sur de délicats podiums ronds pour les surélever subtilement.

Couturiers de la danse, le nom fait écho au titre du bel ouvrage de Philippe Noisette sorti en 2003. L’idée de cette exposition a jailli de ces pages et leur auteur en est devenu le commissaire. Explorer une siècle de relations entre les couturiers et les chorégraphes, la gageure était passionnante, mais périlleuse tant il fallait parvenir à sélectionner parmi tant de pièces iconiques… Un travail aussi de détective pour remonter à la source et découvrir le manque de souci patrimonial de certaines compagnies assujetties à d’autres contraintes. De Gabrielle Chanel (incontournable à plus d’un titre à Moulins, ville où elle vécut six ans et qui fit éclore Coco) à Karl Lagerfeld en passant par Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier, Issey Missaye, Olivier Rousteing et même le tandem d’On Aura Tout Vu, la liste des grands noms de la haute-couture se révèle impressionnante. Le voyage entre les étoffes, les matières et les formes en est étourdissant.

Les salles ont été aménagées en fonction de quatre thèmes : la réinvention des formes, le costume comme seconde peau du danseur/de la danseuse, la revisite des incontournables tutu, cette “chose insensée” selon Christian Lacroix et pourpoint de princes, l’éloge des matières. En clôture de ce beau pas de deux entre couture et danse, la mise en scène de la relation fructueuse entre Gianni Versace et Maurice Béjart (une dizaine de ballets) avec des pièces d’anthologie comme la robe en satin noir, lycra et strass imaginée pour le comédien Patrice Chéreau (voir photo ci-dessous) ou la somptueuse robe crinoline en dentelle écru  pour le ballet Sissi, l’impératrice anarchiste portée par Sylvie Guillem.

Costume de Gianni Versace pour Patrice Chéreau (devenu danseur) de Maurice Béjart.

Dans chaque salle, des cartels très didactiques et très précis reproduisent les dessins de chaque costume réalisé par Philippe Dubessay. Un travail minutieux qui comblera tous ceux et celles qui voudront aller plus loin que la rencontre avec ces pièces de collection. Des costumes qui portent encore, de manière très discrète, les stigmates du spectacle. Car tous ont été portés, habités, déformés, malmenés parfois par le contact, les frottements, les chutes au sol. Malgré leur beauté, leur finalité restait d’être des outils de travail. Parfois, il faut faire des concessions. Priorité au mouvement ! Comme l’explique Olivier Rousteing cité dans le catalogue pour sa collaboration avec Sébastien Bertaud pour le ballet Renaissance de 2017 : “Je ne voulais pas, au début, compromettre la beauté de la maison Balmain pour la beauté du mouvement (…) Confronté à la pratique je me suis rendu compte que les danseurs s’accrochaient aux broderies, certaines perles tombaient au cours de la chorégraphie, cela mettait les artistes en danger. Alors j’ai revu ma position. Et ces réflexions nous ont amenés à innover.

Assurément, les couturiers se sont servis de la danse comme d’un laboratoire d’innovation, un terrain d’expérimentation, de jeu et un espace de liberté.  Les costumes présentés qui couvrent plus d’un siècle de 1924 à 2019, en sont la preuve quasi “vivantes”. Des combishorts en jersey de Chanel pour les Ballets Russes, aux tutus carrés imaginés par Viktor Rolf pour le Dutch National ballet ou en polyuréthane découpé au laser par Iris Van Herpen pour une pièce Clear, Loud, Bright, Forward de Benjamin Millepied, du plissé Pleats please d’Issey Miyake pour les ballets de William Forsythe (dont le couturier se resservira abondamment et dont il fera sa marque de fabrique) à l’iconique marinière body de Jean Paul Gaultier pour les danseur.euses de Régine Chopinot, on se laisse emporter par ce tourbillon d’inventivité et de danse.

 

Couturiers de la danse – Exposition au Centre national du costume de scène de Moulins (03). À découvrir jusqu’au 1er novembre 2020. Le très beau catalogue est édité chez SilvanaEditoriale.





 

Commentaires (2)

  • Pascale Maret

    Merci pour cet article qui me donne très envie d’aller voir l’expo !

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    • Amélie Bertrand

      @ Pascale : et n’hésitez pas à venir nous en faire un retour une fois que vous l’aurez vue 😉

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