TOP

[En vidéo] Concerto DSCH d’Alexeï Ratmansky – New York City Ballet

Parmi la pléthore d’offres de danse en ligne par les théâtres et les compagnies à travers le monde, la programmation du New York City Ballet se distingue particulièrement. Si la troupe américaine a mis un mois avant de la sortir, le résultat est à la hauteur, avec de très nombreux ballets en ligne pour 72 heures, puisant dans son répertoire de George Balanchine et Jerome Robbins tout comme dans ses récentes créations. C’est ainsi le cas pour la diffusion du 10 mai, consacré au superbe Concerto DSCH d’Alexeï Ratmansky. Ballet faussement abstrait sur la musique de Chostakovitch, il mêle la joie de la jeunesse aux drames qui ne peuvent s’oublier (la partition est écrite dans les années 1950, au lendemain de la guerre et de la mort de Staline). Avec toujours de la part du chorégraphe une musicalité éblouissante et une richesse chorégraphique qui donne toute la complexité de l’oeuvre, portés par cinq Principals virtuoses. 

Concerto DSCH d’Alexeï Ratmansky – Ashley Bouder et Joaquin de Luz

Parmi tous les chorégraphes néo-classiques d’aujourd’hui, qui fournissent pour toutes les compagnies du monde des ballets abstraits en 25 minutes, jupettes et académiques, Alexeï Ratmansky n’est pas forcément le plus connu en France. On l’a surtout vu chez nous  pour ses reconstructions de ballets (La Belle au bois dormant) mais sa création Psyché pour l’Opéra de Paris n’est pas resté dans les mémoires. Pourtant, malgré une forme banale (les fameuses 25 minutes abstraites en jupettes et académiques), le chorégraphe russe fournit un travail d’une grande richesse, à la fois musicale comme dans la complexité chorégraphique, aimant jouer avec toutes les possibilités du vocabulaire académique tout en trouvant le twist qui sait surprendre. Si aujourd’hui Alexeï Ratmansky travaille surtout autour de grands ballets narratifs avec l’ABT, son travail avec le voisin New York City Ballet est tout aussi intéressant. Peut-être parce que la troupe de George Balanchine sait comme personne danser les ballets abstraits, sachant justement y mettre des tensions dramatiques. Et l’on devine ainsi d’où les jeunes chorégraphes issus de cette compagnie (Justin Peck and co) ont puisé une partie de leurs inspirations.

Comme nous l’explique Alexeï Ratmansky au début de la vidéo, le Concerto No. 2 in en fa majeur de Chostakovitch, utilisé pour ce ballet était un cadeau d’anniversaire pour les 18 ans du fils du compositeur. Écrit en 1957, l’on y ressent aussi la joie des terreurs qui ne sont pas oubliées mais qui sont derrière soi, comme celle de la guerre ou celle de Staline, mort quelques années plus tôt. Au milieu du corps de ballet en cercle serré qui ouvre Concerto DSCH, le trio composé d’Ashley Bouder, Gonzalo Garcia et Joaquin De Luz est à cette image : la fraîcheur de la jeunesse, la joie de profiter du moment présent. Ashley Bouder, à la vélocité et à la précision technique toujours étonnante, se joue de la musique comme on joue à 18 ans, à l’instinct, comme si tous les pas se créaient chez elle à l’instant présent. Ses partenaires de jeu Gonzalo Garcia et Joaquin de Luz sont sur la même longueur d’onde : d’une énergie contaminante, portés par la fraîcheur de la jeunesse (même si les trois interprètes ont plus de 30 ans, Joaquin de Luz prenant même sa retraite quelques semaines après la captation) et une technique ébouriffante, toujours dictée par la musicalité de la partition.

Concerto DSCH d’Alexeï Ratmansky – New York City Ballet

En contrepoint, le couple formé par Sara Mearns et Tyler Angle apparaît comme une ombre dans ce premier tableau. Face à la jeunesse, ils sont comme le souvenir des horreurs passées, savourant la joie d’une certaine liberté retrouvée même si les blessures planent toujours un peu dans leurs pas. Le deuxième tableau, plus intimiste, leur fait la part belle. Sara Mearns a toujours ce talent de glisser une trame narrative dans n’importe quelle danse abstraite. Avec son partenaire, Tyler Angle à la danse sensible et au sens du partenariat aiguisé, elle crée comme une histoire douce-amère, celle des souvenirs douloureux qui ressurgissent parfois. Et l’on se prend à rêver – même si ce n’est pas du tout son répertoire – de la superbe Tatiana que pourrait danser Sara Mearns. Le troisième tableau retrouve la note joyeuse et percutante du début, avec cette fois-ci le trio et le duo sur un pied d’égalité. Tout cela sonne comme une grande et formidable coda, où la joie de la danse et de la musique balaye tout sur son passage.

Dans les trois mouvements, le corps de ballet y a une place particulière. Loin d’être purement figuratif, c’est lui qui crée une dynamique chorégraphique, en tournant autour des solistes, en prenant le contrepoint, en créant des ombres en fond de scène. Chacun et chacune apparaît comme un personnage à part entière, participant au jeu ou interrogeant les solistes, donnant vie au simple cyclo de couleurs. Alexeï Ratmansky glisse aussi de nombreuses surprises dans la chorégraphie, comme ces ports de tête légèrement décalés ou ce danseur enchaînant les soubresauts en seconde parallèle. Ce sont tous ces petits détails qui, sur une forme de ballet encore une fois assez attendue, font de Concerto DSCH un ballet riche et surprenant, éveillant l’oeil et l’esprit comme enthousiasmant par sa danse libre et virtuose.

New York City Ballet – Sara Mearns et Tyler Angle

C’est ainsi ces jolies découvertes que permet de faire la saison en ligne du New York City Ballet. Il faut faire vite : les vidéos ne sont visibles que 72 heures. Et la programmation préfère parfois ne montrer que des extraits que le ballet entier – The Four Seasons de Jerome Robbins se regarde ainsi saison par saison – ce qui peut être frustrant. Mais la richesse de la programmation, d’autant plus que les ballets américains sont plutôt rares en captation, rattrape le tout : la compagnie a choisi de montrer ce qu’elle a de meilleur, des oeuvres comme de ses interprètes.

 

Concerto DSCH d’Alexeï Ratmansky par le New York City Ballet au David H. Koch Theater, enregistré le 5 octobre 2018. Avec Ashley Bouder, Gonzalo Garcia, Joaquin de Luz, Sara Mearns et Tyler Angle.

La saison de printemps en vidéo du New York City Ballet continue tout le mois de mai.

 




 

Poster un commentaire