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[Exposition] Dancing Machines au Frac Franche-Comté

Les lieux d’expositions rouvrent leurs portes ! L’occasion d’aller faire un tour au Frac (Fond régional d’art contemporain) Franche-Comté, qui consacre sa programmation 2020 aux liens étroits entre la danse et les arts plastiques. L’exposition Dancing Machines fait partie du programme, prolongé jusqu’au 16 août alors que l’institution accueille de nouveau le public dès le 29 mai. Une exposition qui s’interroge plus particulièrement sur ce que dit de leur temps le regard des artistes et chorégraphes sur les corps. Et comment ces mêmes artistes essayent de modifier les contraintes des corps pour ouvrir le champ des possibles. Une exposition où l’on regarde comme l’on manipule et expérimente.

Exposition Dancing Machines

Après avoir franchi le hall lumineux du Frac Franche-Comté, posé au bord du Doubs à côté du Conservatoire, et monté quelques marches, c’est une vidéo venue des années 1930 de Gerhard Bohner qui nous accueille et ouvre l’exposition Dancing Machines. Créée en 1927 au Bauhaus, inspirée par l’oeuvre de Loïe Fuller, la Danse des bâtons d’Oskar Schlemmer montre un danseur évoluant avec de longs bâtons attachés à ses membres. Comme voulant étendre les possibilités de son corps, créer de nouveaux espaces et perspectives avec cette sorte d’exosquelette, inventer des diagonales en essayant d’abolir la contrainte d’un corps humain aux dimensions normales. Quelques salles plus loin, les étonnantes Lectures from Improvisation Technologies de William Forsythe continuent le travail : le chorégraphe crée des lignes et formes géométriques virtuelles… qui deviennent à leur tour des éléments de la chorégraphie, guidant la danse en engendrant de nouvelles contraintes, dans une étonnante improvisation. Même fascination pour le corps technologique à presque un siècle d’écart, de la part des chorégraphes comme des arts plastiques ou vidéastes qui ne cessent de dialoguer avec la danse.


Dancing Machines mêle ainsi différents médiums artistiques : photographes, sculptures, vidéos ou installation pour évoquer le regard des artistes sur les corps et leurs contraintes, comme ce que dit la représentation des corps sur leur monde. Avant de vouloir le transformer, il y a d’abord la fascination pour le squelette et comment il peut se manipuler, comme mis en scène par les Frères Lumière en 1897 ou par les poupées de Hans Bellmer, composées de rotules et semblant pouvoir faire d’infinies contorsions. Plus près de nous, Laurent Goldring dessine des corps en mouvement avec son impressionnante installation Cesser d’être un : des kilomètres de cordes attachées à un gigantesque cube et tissées entre elles par les passages de la danseuse, prenant la scène dans cet espace. Et l’on devine ainsi les passages des corps, presque la chorégraphie, au milieu de cette sorte de toile d’araignée.

Le corps à voir, le corps à expérimenter aussi. Avec Walk the chair, La Ribot éparpille 50 chaises pliantes, sur lesquelles sont inscrites des citations d’artistes autour de la danse. Au public de manipuler ses chaises pour lire les réflexions, de les disposer pour créer des réflexion, de créer quelque part sa propre danse. Une sorte de jeu pour le public, mais un message aussi politique pour La Ribot, artiste toujours engagée, qui considère la chaise un “support matériel, un moyen métaphorique d’évoquer une absence, une présence, un autre corps même, mais c’est aussi un instrument potentiellement destructeur. La chaise représente en effet la machine sociale qui conduit à toutes formes d’exploitation des corps, qu’il s’agisse de l’esclavage ou de la prostitution“. La façon dont est perçu et montré le corps par les artistes en dit ainsi parfois long sur notre temps. Sur les plusieurs oeuvres autour de la chaise de l’exposition, on ne peut détourner ses yeux de la vidéo Le Repos du Fakir de Gilles Paté et Stéphane Argillet, qui en 2003 ont testé la sieste sur les mobiliers urbains “anti-SDF” qui ne disent pas leur nom, mais dont le surnom saute aux yeux par l’utilisation qu’en font les performers.

Walk the chair de La Ribot – Exposition Dancing Machines

Si l’on parle de la représentation des corps caractérisant notre époque, difficile de passer à côté des corps augmentés et de la fascination sur la façon dont la technologique peut bousculer les contraintes des corps, comme les montraient les vidéos de William Forsythe évoquées plus haut. Plusieurs installations questionnent aussi la problématique, dont le film Totempol qui mêle corps immatériels et danseurs et danseuses en chair et en os. Et le corps politique ? Comme pour l’installation de La Ribot, il peut être là sans que l’on sen rende forcément compte. Lors du vernissage, le danseur brésilien Wagner Schwartz a proposé sa performance Bichos (La Bête), qui a été filmée et que l’on peut voir à la fin de l’exposition. Nu, le danseur est immobile, le public autour de lui. Petit à petit, spectateurs et spectatrices comprennent que c’est à elles d’animer ce corps, d’en faire un objet dansant en le manipulant. Les plus téméraires se lancent, font bouger le corps tout doucement, le mettent ainsi en scène. Puis l’on ose tester les limites de ce corps, de s’amuser un peu avec, ou au contraire de laisser passer quelque chose de très tendre dans la façon de le manipuler. La pudeur de jouer avec un corps nu s’en va dès les premières secondes : l’on danse ensemble, elle s’efface et n’a plus sa place. Une performance étonnante et riche en émotions, même vue derrière un écran, mais qui a valu, dans le Brésil de Bolsonaro, des tombereaux d’insultes à Wagner Schwartz.

Allez visiter Dancing Machines était le dernier voyage que j’ai effectué juste avant le confinement. Le soir de la visite, après une performance, l’annonce de la fermeture des écoles étaient annoncée. La plus grande des incertitudes régnait alors sur la fermeture ou non des lieux culturels, et pour combien de temps. Quel plaisir ainsi d’évoquer cette exposition non plus comme un souvenir, mais comme d’une expérience culture ouverte et qui n’attend que son public.

 

Dancing Machines au Frac Franche-Comté, commissaires Florent Maubert (directeur de la Galerie Maubert, Paris) et Sylvie Zavatta (directrice du Frac Franche-Comté). À voir au Frac Franche-Comté jusqu’au 16 août.

 

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