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[Sortie ciné] Relève : histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai

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7 septembre 2016

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Plus de six mois après le départ fracassant de Benjamin Millepied à la tête du Ballet de l'Opéra de Paris, le film Relève : histoire d'une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai sort au cinéma le 7 septembre. Le documentaire suit pas à pas la création du chorégraphe Clear, Loud, Bright, Forward, alors qu'il vient de prendre la tête de la compagnie. Plus qu'un film sur le montage d'un ballet comme le prétend le sous-titre du film ("Histoire d'une création"), voilà plutôt la chronique d'une rupture annoncée. Au coeur de deux mondes qui n'arrivent pas à se parler, la danse est là cependant. Belle, vivante et palpitante.

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Relève : histoire d'une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai

D'abord diffusé sur Canal+, le documentaire a donc droit à une sortie en salles, en version rallongée. Les quelques plans un peu plus longs et les deux ou trois scènes supplémentaires ne changent pas la face du film. Mais le (re)voir après coup permet de poser un tout autre regard sur cette claire erreur de casting. Car dès les premiers plans, l'affaire est pliée : Benjamin Millepied et l'Opéra de Paris ne se comprennent pas. "J'ai choisi les gens du corps de ballet parce qu'ils ont envie de travailler avec moi" est la première phrase du chorégraphe. Sous-entendu : avec les Étoiles, ça n'est pas passé. Il y a dans le ton, déjà, comme une pointe d'amertume. Peut-être, au fond, Benjamin Millepied n'aurait-il pas eu envie de faire ce ballet avec les Étoiles, mais qu'il n'a pas rencontré chez eux.elles une envie folle de travailler avec lui.

Relève veut raconter un ballet qui se crée, mais narre en fait le chemin vers un point de rupture. Que l'on ne voit pas, le film s'arrêtant à la première de Clear, Loud, Bright, Forward, mais que l'on devine. Ce sont d'abord les contraintes administratives, les lourdeurs qui prennent les dessus. Le fait que rien ne soit simple, même construire un banc de scène (un running-gag assez symptomatique). Puis la grandeur de la maison ("Il est où Benjamin ?" est la phrase préférée de son assistante Virginia Gris). Puis aussi, un certain choc des générations. L'une des scènes rajoutée qui a vraiment un intérêt se déroule chez l'un des jeunes danseur.se., pour un apéro informel. Le groupe parle, évoque l'ancienne direction avec qui il était difficile de dialoguer et qu'ils ne comprenaient plus. La difficulté de se faire une place, l'incompréhension face aux préjugés racistes inconscients encore chevillés au corps de certain dans la direction (car oui, considérer qu'une couleur de peau foncée est un problème pour danser un ballet classique, que ce soit dans le corps de ballet ou pour le rôle principal, est raciste), ou la perplexité face à d'autres qui ne leur demandent que d'être de bons petits soldats.

Le langage de Benjamin Millepied est parfois cru dans sa vision du niveau de l'Opéra. Les choses sont dites sans ambages. Oui, le niveau de la compagnie pose problème. Après des années à marteler "Nous sommes la meilleure compagnie du monde" (un tic de langage qui commence à revenir avec Aurélie Dupont), ses paroles ont de quoi froisser les esprits enfermés. Manque de diplomatie ? Benjamin Millepied voit juste en tout cas, et a tout compris les problèmes de l'Opéra : la façon d'infantiliser les danseur.se.s, de fonctionner au 'Tais-toi et danse", de ne penser qu'à être en ligne sous peine de se faire humilier une fois le rideau fermé. La compagnie a toujours vu loin dans son répertoire, mais est restée bloquée au siècle dernier - voire au siècle d'avant - dans sa façon de percevoir ses danseur.se.s et de gérer un groupe.

Relève ne va pas néanmoins au bout de son analyse, car ses réalisateurs Thierry Demaizière et Alban Teurlai sont bien trop dans l'admiration du personnage pour donner à voir une réalité plus juste. Tout n'est pas montré dans ce documentaire. On ne voit pas Benjamin Millepied souvent absent car pris par ses projets extérieurs, son envie de se mettre très en avant dans la programmation. Exit aussi son certain désintéressement - voire mépris - du répertoire classique européen qu'il ne connaît pas et n'a pas eu visiblement envie de connaître. Le sous-entendu est que ceux et celles qui n'ont pas adhéré à son projet sont forcément de grands réacs, alors que la réalité est bien plus complexe. Le film montre un chorégraphe écrasé par l'institution - ce qui est en partie vrai. Mais n'évoque pas le fait que Benjamin Millepied n'ait pas forcément cherché à comprendre ce qui fait l'ADN de l'Opéra de Paris. Sa saison 2016-2017, la seule qu'il ait composée et qui paraît une semaine après sa démission, est cruelle sur ce point. Benjamin Millepied a vu juste dans les problèmes de l'Opéra. Mais il n'a jamais vraiment voulu - pu - comprendre ce répertoire si spécifique, comprendre ce qu'était l'Opéra dans sa danse. Relève se pose sur un ton finalement assez manichéen, pénible pour qui connaît un minimum le monde du ballet.

Clear, Loud, Bright, Forward de Benjamin Millepied -

Clear, Loud, Bright, Forward de Benjamin Millepied -

Au milieu de tout ce mélodrame, la danse arrive néanmoins à se faire une jolie place. Pas forcément en ce qui concerne le ballet Clear, Loud, Bright, Forward. À l'écran comme à la scène, le résultat est anecdotique. Mais la caméra sait capter le mouvement dansé, le rendre vivant. Elle sait attraper la luminosité des interprètes, leur engagement constant, leur beauté d'artiste. Relève est ainsi le portrait d'une jeune génération qui a soif de danser, et qui a vu en Benjamin Millepied, malgré tous ses défauts, la possibilité de montrer qui ils étaient vraiment.

 

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Amélie Bertrand

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