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[Livre] Pina Bausch ou l’Art de dresser un poisson rouge de Norbert Servos

Norbert Servos est un fin connaisseur de Pina Bausch et de son Tanztheater. Journaliste co-fondateur du magazine Ballett International, chorégraphe, professeur de danse, il fut proche de la grande dame de Wuppertal et a publié, depuis plus de trente ans, de nombreux textes à son sujet. Avec son ambitieuse monographie : Pina Bausch ou l’Art de dresser un poisson rouge, qui ressort en version augmentée aux Editions de L’Arche, il se propose, du Sacre du Printemps à …como el musguito en la piedra, ay si, si, si…, de décrire et analyser l’ensemble de son œuvre. Un livre qui ne pourra que passionner tout.e amoureux.se du théâtre dansé.

Pina Bausch ou l'Art de dresser un poisson rouge de Norbert Servos

Pina Bausch ou l’Art de dresser un poisson rouge de Norbert Servos

Pina Bausch ou l’Art de dresser un poisson rouge est paru une première fois en 2001. Pour rédiger cet ouvrage, Norbert Servos s’est appuyé sur les nombreuses conversations, informelles ou à l’occasion d’interviews, qu’il a pu avoir avec Pina Bausch, sur ses multiples échanges avec les membres de la compagnie, mais aussi sur les vidéos des archives du Tanztheater de Wuppertal. Alors que la première version était épuisée, une nouvelle édition permet de le compléter des dernières pièces produites.

Si l’essentiel du livre est consacré à la description fine de chaque œuvre, telle qu’elle était jouée à sa création, il s’ouvre sur une analyse approfondie des méthodes et objets du théâtre dansé, sur un bref récit de sa genèse, sur une mise en perspective artistique dans les quelles sont convoqués le théâtre de Brecht ou les surréalistes. Robert Servos y explique avec clarté comment le Tanztheater de Wuppertal, par son travail interdisciplinaire, la liberté de sa recherche, sa façon de fonder sa créativité sur le vaste répertoire des contes, des mythes et des archétypes, tout en étant en prise directe avec la réalité, a révolutionné le monde de la danse et du spectacle vivant. Comment son approche dépourvue de préjugés, fonctionnant sur des associations d’idées, de scènes, plutôt que sur une narration, vise à provoquer une expérience cathartique dans le public, à lui donner “ce courage de prendre la vie à bras le corps” dont parle si souvent Pina Bausch. Il y évoque ses thèmes de prédilection : les rapports entre les hommes et les femmes, leur recherche tragi-comique du bonheur, la tension entre désirs inassouvis et conventions sociales.

Dans le fond, dit-elle, il s’agit toujours de thèmes sur l’homme et la femme, de leurs rapports, c’est-à-dire de nos comportements, de nos désirs, de nos incapacités et de notre impuissance ; seule la couleur change parfois.

Grâce à chacune des 38 pièces (dont un film) décrites ensuite avec grande précision, l’auteur étaye son propos. Le Sacre du Printemps qui met, selon lui, “un point final à une période strictement chorégraphique“, ouvre logiquement le bal, puisqu’il contient en germe le théâtre dansé que Pina Bausch ne cessera plus de développer, et dont les formes d’expression, mêlant danse, opéra, théâtre, pantomime et cinéma, arriveront à maturité dès Barbe-Bleue. On suit avec grand plaisir le cheminement du Tanztheater de Wuppertal d’œuvre en œuvre, se surprenant à distribuer les rôles dans les opus que l’on n’a pas vus, scrutant ses différentes évolutions. L’éclatement des conventions théâtrales avec Il la prend par la main et l’emmène au château, les autres suivent, la création d’une pièce par saison au lieu de deux et la reconstruction de son répertoire à partir de Dans la montagne on a entendu des hurlements, une certaine sérénité, un humour de plus en plus présent qui font place aux rudes tourments émotionnels à partir du Laveur de vitres.

L’ouvrage, enfin, se clôt par de précieuses interviews, de Pina Bausch bien sûr, qui évoque son parcours, sa vision de la danse, ses méthodes de travail. Mais aussi de Marion Cito, sa fidèle costumière, mère de toutes les divines robes qui fleurissent au Tanztheater de Wuppertal et de Peter Pabst, son indissociable scénographe, créateur de tant de décors prodigieux qui, du parquet de Nefès immergé par intermittence aux pluies torrentielles de Vollmond, sont autant de prouesses techniques.

Il serait faux de penser que c’est parce que je suis chorégraphe, que j’ai besoin de faire danser les autres : ce n’est vraiment pas une raison. La danse, c’est bien trop important. Seulement je considère aussi beaucoup de choses comme étant de la danse.

Illustré de nombreuses et superbes photos, Pina Bausch ou l’Art de dresser un poisson rouge est une sorte de bible du théâtre dansé, un indispensable. Je ne peux que conseiller sa lecture à tous les amateurs et amatrices du Tanztheater de Wuppertal. Linéaire, elle permet de mieux appréhender tous les mécanismes qui sont à l’œuvre dans ses créations, ses évolutions. Mais on y plonge aussi avec plaisir, piochant ça et là, au fil des pièces que l’on voit, tout autant pour les pertinentes analyses de Norbert Servos que pour scruter ce qui a pu y évoluer avec le temps.

 

Pina Bausch ou l’Art de dresser un poisson rouge de Norbert Servos – L’Arche Editeur – 29,90 €

 

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