[Programme TV] « Relève », Benjamin Millepied à L’opéra de Paris, sur Canal + le 23 décembre
Ecrit par : Amélie Bertrand
Voilà un an que Benjamin Millepied a pris les rênes du Ballet de l'Opéra de Paris. En septembre dernier, il ouvrait la première saison entièrement conçu par lui. Le programme démarrait d'ailleurs par une de ses créations : Clear, Loud, Bright, Forward, pour les jeunes solistes de la compagnie. Thierry Demaizière et Alban Teurlai l'ont suivi pendant tout ce travail de création. Le résultat donne Relève, documentaire diffusé sur Canal + le 23 décembre à 20h50. Une plongée dans les coulisses d'une grosse machine, pour un directeur qui casse parfois sa surface lisse pour un regard cru sur la troupe, parfois étrange, qu'il dirige.
Les premières minutes de Relève paraissent presque téléguidées. Benjamin Millepied est dans sa parfaite attitude du hipster new-yorkais. La barbe soigneusement pas rasée, le t-shirt qu'il faut, l'allure cool, le smartphone à portée de main, presque un acteur face à la caméra. Tout est amazing (les anti-Millepied vont se régaler). Et puis au fur et à mesure, la caméra arrive à se faire oublier. Les cernes apparaissent, les angoisses, le travail tout simplement. La caméra se glisse au plus près de la création et des coulisses, comme peut-être jamais auparavant. Elle fixe l'instant où le mouvement naît, où il n'y a rien et puis tout à coup il y a quelque chose. Il est impossible d'expliquer comment le mouvement naît. Mais le voir naître, voir l'oeil de Benjamin Millepied s'allumer au son de la musique, le voir noter des dessins sur son petit carnet, le voir esquisser un mouvement, en refaire un autre, a quelque chose de fascinant. Voir une création d'aussi près est toujours fascinant.
Mais la création de Clear, Loud, Bright, Forward passe vite au second plan. L'enjeu principal du documentaire est plus un danseur qui s'installe dans une maison qui est d'une toute autre culture que la sienne. Et qu'il n'avait peut-être pas anticipé les difficultés. C'est une lourdeur administrative (assez marrant, quand son assistante arrive avec de la paperasse, de le voir beaucoup plus concentré sur la musique de son ballet ou sur une vidéo de danse). C'est toute une épopée pour construire un banc. C'est une culture de la peur qui l'insupporte. Entre de nombreuses phrases un peu plates et très communication, Benjamin Millepied lâche ainsi quelques confessions qui percutent. Pour lui, la danse, c'est toujours du plaisir, c'est comme ça qu'il l'a apprise. Il ne comprend donc pas comment un maître de ballet peut lancer un "Vous vous foutez de ma gueule" en répétition, ou le système du Concours de promotion "qui les mets en doute tout le temps". Et de se souvenir de certains artistes qui tremblent de devoir lui parler.
Le choc des cultures, c'est aussi lutter contre une maison restée parfois au XIX siècle, qui pense encore qu'une danseuse noire ne peut pas être au milieu des 32 Cygnes, qui cultive de se taire lorsque l'on est blessé (la méconnaissance de la médecine du sport chez les danseur.se.s apparait parfois de façon assez impressionnante). Et puis au milieu du documentaire, la phrase est lâchée. "Je ne suis pas encore satisfait de ce que je vois sur scène. Ils sont tellement dans leur bulle de 'Nous sommes la meilleure compagnie du monde'. Mais il faut qu'ils aillent voir ce qui se passe ailleurs". Et de regretter aussi que les danseur.se.s soient aujourd'hui beaucoup plus libérés dans le contemporain que dans le classique (quelque chose sur lequel Benjamin Millepied insiste beaucoup).
On le sait, Benjamin Millepied n'a pas forcément toute la compagnie derrière lui. Si cela n'est pas dit dans le documentaire, cela se sent par ce que la caméra ne montre pas. Aucune Étoile actuelle n'est montrée ou évoquée. Les maîtres de ballet ou professeurs passent inaperçus. Et si l'on parle de relève, l'absence de François Alu ou d'Héloïse Bourdon, qui ont récemment enflammé Bastille, paraît complètement décalée. Relève montre aussi Benjamin Millepied en super-directeur, en directeur-star. Le documentaire veut évoquer les jeunes danseur.se.s e la compagnie, mais la parole ne leur ait presque pas laissés. C'est lui seul qui s'exprime. Quant à Clear, Loud, Bright, Forward, pas un mot sur son sens, sur le pourquoi des choses. Sur scène, il y avait comme l'impression de voir de jeunes gens très beaux danser sur scène sans que l'on sache vraiment pourquoi. Le film n'apporte pas franchement de réponse.
Relève paraît souvent bien sage, multipliant les beaux cadres, les scènes parfois un peu téléguidées, les personnages tellement clichés du branché (la styliste ou le compositeur du ballet, tout un art). Mais au détour d'un couloir, il y a des réflexions très justes sur l'état de la compagnie aujourd'hui, avec ses forces et ses faiblesses. Sans compter ce plaisir toujours intact de se glisser derrière le rideau. Le travail de Benjamin Millepied, et surtout sa véritable intégration, n'en paraît toutefois qu'à ses débuts.
Laisser un commentaire