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La sortie ciné de la semaine : Après Béjart le coeur et le courage

En 2008, la réalisatrice espagnole Arantxa Aguirre a pris sa caméra pour filmer les coulisses du Béjart Ballet Lausanne. Pendant plusieurs mois, elle a suivi la troupe, qui essaye tant bien que mal de se remettre de la mort de son créateur : Maurice Béjart. Le résultat, un documentaire d’1h20, intitulé Après Béjart le cœur et le courage, et sorti dans les salles françaises ce mercredi.

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Disons-le tout net : ce film est un véritable coup de cœur. Non pas parce qu’il parle de la danse dans l’absolu, j’arrive tout de même malgré ma fan-attitude à garder (un peu) une part d’objectivité, mais parce qu’il traite, et d’une belle façon, d’un sujet peu souvent évoqué : la transmission.

Les documentaires sur la danse traitent en général tous du même sujet : une compagnie, un-e artiste. La caméra suit les protagonistes pour aller à la découverte des coulisses, du travail, du quotidien. S’ils sont différents les uns des autres, c’est plus sur la façon de filmer la danse, et la forme. La question de la transmission est régulièrement évoquée, mais en général bien vite : il y a la codification, la paroles, et maintenant la vidéo.

Cela semble presque facile. En décembre dernier, le public s’est précipité pour voir Le Lac des Cygnes. S’il s’agit de la version de Noureev, l’acte II est par contre le même que celui créé par Marius Petipa, à la fin du XIXe siècle. Cet acte a plus de 100 ans, et finalement, tout le monde trouve ça normal qui ait réussi à perdurer toutes ces années. 

Arantxa Aguirre montre justement que la transmission, c’est bien autre chose. Béjart est mort. Béjart était humain, ça devait bien arriver un jour. Mais la nouvelle semble être tombée comme un coup de massue sur la compagnie. Comment vivre quand celui qui vous a créé est parti ? Comment danser ces ballets au plus juste quand celui qui les a inventés n’est plus là pour donner des directives ? Le Béjart Ballet Lausanne doit continuer, les ballet de Béjart doivent continuer à être donné, ce sont des évidences. La question est plutôt : et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

La première partie du film s’attache plutôt à l’empreinte de Maurice Béjart sur ses danseur-se-s. J’avais un peu peur, en voyant la bande-annonce, d’être devant une vaste campagne de communication en faveur de Gil Roman. A l’époque, celui-ci vient de prendre la suite de Béjart. Il dirige la compagnie, et connait quelques problèmes de confiance. Heureusement, même si on n’échappe pas aux florilèges de compliments, l’écueil est évité. Surtout devant la modestie de Roman, qui semble plus écrasé par sa tâche que dominateur.

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Arantxa Aguirre laisse parler les connaissances du chorégraphe. Plus qu’un témoignage sur le souvenir Béjart, ces paroles montrent bien l’état d’esprit de la compagnie, avec sa quantité d’accents, de langues, de corps différents. Pour une habituée de l’uniformité du corps de ballet de l’Opéra de Paris, cela reste toujours un peu surprenant. Les images d’archives se mélangent aux interprètes d’aujourd’hui. La plupart d’entre eux ont travaillé avec le maître, c’est lui qui les a recruté-e-s, formé-e-s. Mais ils/elles n’arrivent pas vraiment à en parler. Que leur a-t-il apporté ? Comment était-il en répétition ? Les réponses restent vagues, dans un sourire. Comme si, quelque part, ils/elles voulaient garder ça secret. Et puis ce sont des danseur-se-s, par des parleurs. “Je lui rend hommage à chaque fois que je danse“, conclue ainsi une soliste. 

Il y a eu l’avant, Béjart. Il y a l’après, la survie du Béjart Ballet Lausanne. Selon sa volonté, la compagnie doit non seulement faire vivre ses ballets, mais aussi s‘ouvrir à d’autres chorégraphes. Gil Roman sera le premier, quoi de plus normal. La caméra suit à présent les répétitions du spectacle Aria et Dionysos, créé un an après la mort de Béjart. Les images sont classiques : les cours de danse et ces gestes répétés inlassablement, les répétitions, les moments de doutes, les moments de terribles doutes. Mais il y a quelque chose en plus. Le chorégraphe et les artistes n’ont pas juste la pression du “Est-ce cela va être prêt ? Est-ce que cela va plaire au public ?”. Ils/elles sont face au beaucoup plus terrible “Est-ce que sera à SA hauteur ?“. Car Béjart est partout : dans la chorégraphie, dans la mémoire des danseur-se-s, sur l’affiche du programme, dans le studio de danse… Toujours ce regard, qui semble veiller sur ses troupes.

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La tâche, évidemment, sera relevée. Trois ans après sa mort, le BBL a trouvé sa seconde vie. Si cela semble aujourd’hui évident, ou simple, la caméra d’Arantxa Aguirre est là pour rappeler que ce ne fut pas aussi facile. Et d’imaginer que cette compagnie est loin d’être la seule à se poser ce genre de question.

Niveau danse pure, la réalisatrice n’a pas forcément une façon très novatrice de filmer la danse, mais j’aime ses images : un point de vue très proche des danseur-se-s, d’où l’on distingue l’effort musculaire, l’essoufflement, la transpiration… mais aussi le regard investi, la peur, la joie. Parmi les passages de danse marquants, le début, un long et très bel extrait de l’Adagietto par Gil Roman, lors de la soirée Hommage à Béjart de l’Opéra de Paris. Il est toujours curieux de confronter ses souvenirs de spectatrice avec le point de vue des coulisses d’Arantxa Aguirre. Les deux sont aussi beaux.

Photos © Eurozoom

Commentaires (2)

  • J’espère vraiment pouvoir trouver une petite place dans mon emploi du temps pour aller le voir!
    Ca a l’air d’être un très beau film. Le sujet est évidemment très intéressant.
    Espérons qu’il reste un peu à l’affiche!

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  • @Cams:Vu le peu de salles dans lequel il est diffusé, j’ai peur qu’il s’en aille très vite des cinémas…

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