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Parade au Théâtre du Châtelet – Cinq questions à Elizabeth Streb

C’est dans la rue avec les marionnettes  du Mozambique, puis dans les parties publiques du théâtre et enfin dans la salle  rénovée, que sera lancée ce vendredi 13 septembre 2019 la réouverture officielle du Théâtre du Châtelet. Pour le coup d’envoi de cette saison, Ruth Mackenzie et Thomas Lauriot dit Prévot ont imaginé un spectacle à quatre mains sur la partition de Parade d’Erik Satie. Ce show très circassien a été confié à Stéphane Ricordel, fondateur des Arts Sauts et co-directeur du Théâtre Monfort, et à Elizabeth Streb. L’américaine, 68 ans, nourrie à la post-modern dance, a pour ainsi dire renié cet héritage au profit de ce qu’elle a baptisé l'”action extrême“, où il ne s’agit pas de défier la gravité mais de l’utiliser et de l’apprivoiser pour s’interroger sur la chute et le choc des corps. En pleine répétition, elle évoque sa philosophie du mouvement et nous parle de sa technique unique de l’action extrême.

Elizabeth Streb

Vous prenez part au spectacle de réouverture du Théâtre du Châtelet avec cette nouvelle version de Parade. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce projet ?

Je dois dire que mon espace de création n’est pas celui de la danse, c’est originellement le cirque qui est mon univers. Je ne suis pas un enfant du théâtre  mais du chapiteau. Mais j’ai la conviction que mon travail avait sa place dans ce projet. J’explore depuis des années le mouvement et son lien à la gravité, sans renier la part du hasard dans le spectacle. J’étais donc très enthousiaste à l’idée de réinventer Parade, d’en faire autre chose.

 

Parade, c’est l’essence des Ballets Russes avec cette collaboration entre artistes et créateurs. Parmi eux, il y avait Picasso qui avait dessiné le rideau de scène et conçu les décors. À l’automne dernier, les parisien.ne.s vous ont découvert au Musée d’Orsay lors de l’exposition sur les périodes bleues et roses de Picasso. Quelle a été votre expérience avec ce peintre révolutionnaire ?

Je suis beaucoup plus influencée par les arts plastiques et visuels en général que par la danse, bien que j’aie appris la danse lorsque j’avais 17 ans. Mais je voulais être touchée d’un point de vue philosophique plus qu’esthétique. Je me suis vite rendu compte que la danse ne m’offrirait rien de cela. Avec Picasso, j’ai appréhendé le monde de manière très différente, en particulier dans la conception même de l’espace. Quand Picasso se lance dans le cubisme avec Braque, il déconstruit l’espace pour créer une expérience visuelle nouvelle et inédite. C’est essentiel pour moi car c’est ce que j’essaye de faire dans mon travail : expérimenter le mouvement comme la combinaison des forces du corps humain et de la temporalité. C’est dans cet axe-là que je me situe. Raconter encore et encore une histoire ne m’intéresse pas, je veux que le spectacle soit une expérience sensorielle unique qui se réinvente à chaque fois avec le public.

 

Comment vous définiriez votre travail que vous qualifiez  d'”action extrême” ?

Notre première règle est très simple. C’est le rapport au temps. Tous les mouvements se font avec le temps nécessaire au corps pour le faire, ni plus, ni moins en accord avec les compétences de l’artiste qui le réalise et ses capacités physiques. L’autre axe, c’est l’impact des corps en raison de la gravité, comment nous atterrissons au sol et nous travaillons constamment sur ce moment de l’impact au sol. Et pour moi, cela devient petit à petit l’essence du drame. En fait, comme je le disais, je ne suis pas un grand fan de la danse, j’ai le sentiment qu’elle me ment à quelques exceptions près. Comme Merce Cunningham bien sûr, parce qu’il est un théoricien, il défie la temporalité parce qu’il ne chorégraphie pas sur une musique.

Parade de Stéphane Ricordel et Elizabeth Streb – En répétition

Mais vous concevez des mouvements dans vos spectacles. Et d’une certaine manière, cela vous relie aussi au monde la danse car quand il y a mouvement, il y a danse.

Je préfère toujours utiliser le terme “action extrême” et j’ai la conviction que mon travail aujourd’hui a très peu de similarités avec celui de la danse. J’en reviens toujours à la même question : comment atterrir et atteindre le sol ? Nous refusons d’explorer ce moment parce que c’est très inconfortable et même douloureux. Mais il me semble que la danse au XXe siècle s’est contentée finalement de transférer le poids du corps d’une jambe sur l’autre. Résultat : vous ne pouvez jamais aller vite, vous ne pouvez jamais arriver avant le moment qui a été fixé. Jamais vous ne surprenez le public avec la temporalité. Et de plus, il y a cette question du genre et du sexisme qui me gêne énormément dans la danse. Pour moi, la scène n’a rien à voir avec qui je suis, de qui je suis amoureux, qui va briser mon cœur. C’est l’action elle-même qui m’intéresse pour ce qu’elle est et l’action ce n’est pas une histoire.

 

Pensez-vous vraiment que tout le monde peut voler ?

Évidemment ! Voler est un rêve que partagent tous les êtres humains et c’est un rêve que j’essaye de transformer en réalité dans mon travail. Mais on en revient toujours au même point : pour voler, il faut être prêt à atterrir…

 

Parade – du 13 au 15 septembre au Théâtre du Châtelet – Conception et mise en scène : Stéphane Ricordel et Elizabeth Streb avec la participation des marionnettes du Mozambique. Entrée libre dans les espaces publics du théâtre.




 

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