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Brigitte Lefèvre – Festival de Danse de Cannes : “Je veux montrer pourquoi on danse”

Cannes se fait tous les deux ans capitale de la danse avec un festival dirigé depuis 2015 par Brigitte Lefèvre. L’ancienne Directrice de la Danse à l’Opéra de Paris a apporté à cette manifestation tout son savoir-faire en matière de programmation et sa connaissance encyclopédique de la danse sous toutes ses formes. Loin de se cantonner à un style, le Festival de Danse de Cannes offre une ouverture sur tous les univers allant du ballet académique aux recherches les plus contemporaines, entre reprises et créations mondiales. Ainsi cette édition 2019 affiche le Béjart Ballet Lausanne, Noé Soulier, Giselle par le Ballet Stanislavski ou une rencontre au sommet entre Marie-Agnès Gillot, Étoile de l’Opéra de Paris et Andres Marin, star du flamenco. À quelques jours de l’ouverture, Brigitte Lefèvre a expliqué à DALP ses choix artistiques et ce qui les motive.

 

Cette édition 2019 du Festival de Danse de Cannes sera la troisième sous votre direction. Qu’est ce qui vous a attiré dans cette aventure ?

Je n’ai pas vraiment décidé de prendre la direction du festival mais j’ai été très touchée d’être sollicitée. Et ce qui m’a vraiment décidé, c’est une raison sentimentale. J’avais une grande admiration pour Rosella Hightower : je l’avais vue danser, je la connaissais, j’avais même pris des classes avec elle. J’avais beaucoup admiré son investissement, sa décision d’ouvrir une école de très grand niveau. Et c’était important pour moi de diriger un festival dans une ville où il y a une école de danse très ouverte et que j’apprécie énormément. Cela m’a guidé et à partir de là, j’ai souhaité faire un festival qui avait cette ouverture. C’est quelque chose auquel je crois profondément. Il ne s’agit pas de tout faire, on ne peut jamais tout faire, mais de montrer la danse sous ses différents aspects quand elle est toujours liée à un savoir, un travail sur le corps et sur l’esprit. C’est dans cette perspective que je me suis lancée dans cette aventure entourée d’une belle équipe. Au départ, je ne devais faire que la programmation de l’édition 2015. Et finalement, Il s’agit cette année de mon troisième festival, l’avant-dernier puisque je me suis engagée, à la demande du maire de Cannes, pour celui de 2021. Nous aurons cette année 21 spectacles et je pense qu’il y a là un panorama de la danse d’aujourd’hui et même d’hier. Et aussi de ce qu’elle peut devenir.

 

C’est le Béjart Ballet Lausanne qui ouvrira ce festival 2019 avec la dernière création de Gil Roman et un best-of des œuvres  de Maurice Béjart. C’était important pour vous cette fidélité à la compagnie de Maurice Béjart ?

J’ai beaucoup appris grâce à Maurice Béjart. Voir sa compagnie fit partie de mes grandes émotions de jeune danseuse. J’ai eu la chance de danser le rôle de l’Élue dans Le Sacre du Printemps et cela m’a beaucoup marquée. Il compte pour moi énormément. Il y en a d’autres comme Roland Petit ou Merce Cunningham dont j’ai pu présenter les œuvres à Cannes. Je n’avais pas encore montré Maurice Béjart et je regrettais en particulier de ne pas avoir pu participer en 2017 au dixième anniversaire de sa disparition. Cette année, nous allons donc montrer le travail de cette compagnie à la fois avec le répertoire de Maurice Béjart dans un patchwork de ses pièces, mais aussi la dernière création de Gil Roman qui fait un travail formidable pour faire vivre le répertoire du chorégraphe tout en continuant à créer, car c’est sa vitamine. C’est donc une façon de montrer une compagnie dans son histoire et dans son actualité.

Brigitte Lefèvre

Tout de suite après viendra la jeune garde avec Noé Soulier qui vient d’être nommé à Angers et qui fait un travail passionnant. Puis un joli cadeau avec la venue du Théâtre musical Stanislavski de Moscou dirigé par Laurent Hilaire qui viendra pour Giselle... Comment ces deux spectacles se parlent entre eux ? 

Noé Soulier fait un travail où la pensée et l’action se conjuguent avec la notion du temps : il est très inspiré par les ballets classiques, par des structures et il les analyse avec le  regard d’aujourd’hui sans que ce soit désossé. Quant à Giselle, ce sera une soirée unique et je remercie la compagnie de venir pour nous montrer cette version. J’y tenais car c’est mon ballet préféré. Il ne peut être dansé que par de très grandes compagnies. Ce sera une année Giselle puisqu’il y a la reprise ce printemps à l’Opéra de Paris, puis celle d’Akram Khan au Théâtre du Châtelet lors des Étés de la Danse. Et j’aime dans la danse classique, cette nécessité de raviver les braises pour continuer à porter ce répertoire alors que les danseurs et danseuses et le public ne sont plus les mêmes. Et je trouve que c’est très important de montrer cela à Cannes et au-delà. Car nous avons aussi voulu élargir le festival, le faire vivre au-delà des murs de la ville. Nous serons donc aussi à Mougins, Antibes, Nice, Grasse, Carros, Draguignan. Cette édition 2019 va se disperser dans six villes différentes. Pour ce qui est des pièces qui sont programmées, je souhaitais montrer un travail qui s’appuie sur le rituel et une forme d’archaïsme. Il y a Olivia Grandville, Frank Micheletti ou Chantal Loïal  qui s’inspirent de ces danses venues de loin. La danse hip hop sera là mais on n’en est plus au temps des “battles” avec Amala Dianor qui va retravailler The Falling Stardust à la faveur du festival, et j’aime beaucoup cette notion de donner la possibilité à un chorégraphe de revenir sur sa pièce. Il y aura une création mondiale comme on dit, Butterfly par la Compagnie S’Poart de Mickaël Le Mer qui est un artiste que j’apprécie énormément.    

   

Un autre moment très attendu, c’est la rencontre de trois personnalités de la danse : Christian Rizzo, Andres Marin et Marie-Agnès Gillot. Comment ce projet s’est-il monté ? 

Je me suis fait un très grand plaisir. Marie-Agnès Gillot est une ovni, une personnalité avec une capacité d’ouverture sur tous les univers, et Andres Marin est un danseur flamenco très singulier qui n’avait jamais dansé avec qui que ce soit. J’avais envie qu’ils se rencontrent et une fois que l’on avait posé cela, j’ai demandé à Christian Rizzo s’il acceptait d’être dramaturge et scénographe sur ce projet. Il a accepté et on peut parler aujourd’hui de direction artistique. Il y a de belles lignes qui circulent entre eux trois. Cela s’appelle MAGMA comme Marie Agnès Gillot et Marin Andres !  Ce sera la clôture du festival.

 

En trois semaines, il y aura le ballet académique, la danse contemporaine, du flamenco, des danses d’inspiration ethnique, le hip hop. Quel serait à vous yeux la trame, le fil rouge de votre programmation ?

C’est la question : pourquoi on danse ? Comment le corps s’anime par la danse ? Est-ce que l’animation du corps  et de l’âme par la danse ne crée qu’un certain type de danse ? Ma première émotion de danse, ce fut Isadora Duncan, puis le flamenco. Et puis après ce fut un autre univers qui m’a bouleversé : Yvette Chauviré. J’étais en haut dans la salle et j’ai vu cette toute petite silhouette, si petite et si grande. Quel est ce mystère ? Plus tard, j’ai adoré les comédies musicales, j’aurais aimé avoir cette pétulance. J’aime profondément la danse classique mais je n’aime pas quand elle s’installe. Il faut qu’elle soit stimulée par d’autres types de danse. Et c’est ce stimulus qui permet de montrer pourquoi on danse.





 

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