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Paroles de danseuses et danseurs confinés – Éléonore Guérineau, Philippe Solano et Tiphaine Prévost, Olivia Lindon

Danseurs, danseuses, chorégraphes… Les artistes de la danse sont comme tout le monde confinés chez eux. Comment vivent-ils cet éloignement des théâtres et ces spectacles annulés ? Quelles routines ont-ils mis en place dans leur entraînement quotidien ? Comment gèrent-ils les questions matérielles ? Comment voient-ils l’après confinement ? Chaque semaine, DALP laisse la parole à quelques danseurs et danseuses d’horizons différents sur leur confinement. 

Cette semaine, place à Éléonore Guérineau (Sujet au Ballet de l’Opéra de Paris), Philippe Solano et Tiphaine Prévost (Soliste et demi-Soliste au Ballet du Capitole) et Olivia Lindon (danseuse free-lance travaillant sur Mon premier Lac des cygnes). 

 

Éléonore Guérineau – Sujet au Ballet de l’Opéra de Paris

Avant le confinement

Nous sommes partis en tournée avec l’Opéra de Paris au Japon du 27 février au 8 mars, avec Giselle puis Onéguine. Beaucoup d’entre nous avaient été surpris que la tournée soit maintenue, mais à l’époque il n’y avait aucune interdiction de voyager, et pour les organisateurs comme l’Opéra, cela ne remettait pas en cause les spectacles. Quand les représentations de Giselle ont commencé, les écoles du Japon ont fermé tout comme les théâtres nationaux. Mais nous étions au Tokyo Bunka Kaikan, un théâtre privé, et la décision a été prise de continuer les spectacles.

Nous étions plutôt inquiets mais nous nous sommes rendu compte que les Japonais prenaient les choses très au sérieux. Ils ont l’habitude de mettre des masques, de ne pas venir s’ils sont malades, il y a du gel hydroalcoolique dans chaque magasin et tout le monde s’en sert : ils ont une conscience importante de la santé publique. Mais sur scène, nous ne voyions que des gens portant des masques dans la salle, nous dansions devant un mur de carrés blancs ! C’était très bizarre mais le public était très content et la tournée a eu un beau succès, tout s’est très bien passé.

Éléonore Guérineau

Le début du confinement

Quand nous sommes revenus de tournée, nous avons commencé les répétitions de Mayerling le jeudi, et le vendredi la décision était prise de nous renvoyer 15 jours chez nous. Le lendemain, le confinement était annoncé. Personnellement, je me doutais que la situation allait durer plus longtemps. Le lundi, nous avions le droit de revenir au Palais Garnier pour prendre des affaires dans nos loges, ce que je n’ai pas fait. Je m’entraîne avec une paire de chaussettes, des leggings, des t-shirts et ça me va très bien.

Ayant eu une période très chargée entre Giselle et la tournée, j’avais le corps un peu fatigué. Je me suis donc accordé quinze jours de vacances pour récupérer et me détendre, sachant que je sentais que les choses allaient durer et que Mayerling serait donc très compromis. Pendant ces 15 jours, j’ai juste fait des étirements quand je sentais que j’étais un peu tendue, pour décompenser toutes les raideurs de la grande série. Je suis aussi devenue une maman-maîtresse pour ma fille qui est en grande section de maternelle. C’est l’année de l’apprentissage des lettres, des liaisons, savoir compter, une étape importante pour que le CP se passe bien. Mon compagnon est en télétravail et travaille beaucoup, je suis une maman solo toute la journée. On a aussi pas mal de travaux à faire, nous avons déménagé dans notre maison il y a peu de temps.

Son entraînement…

La fille de mes voisins est à l’école au Ballet de Marseille. Elle a 18 ans et revenait tout juste de blessure lorsque le confinement a commencé. En discutant avec elle, j’ai senti qu’elle avait besoin d’aide pour s’organiser, pour être coachée. Elle ne savait pas comment gérer sa reprise de blessure sans kiné, sans école, sans rien. Je lui ai donc proposé de faire des barres et une préparation ensemble par visio, même si nous sommes voisines (rires). Et nous avons mis ça en place dès la troisième semaine de confinement.

Nous faisons une session de deux heures par jour, ce qui est finalement assez intense. Je me suis adaptée à elle et j’ai repris la danse comme ça. On s’auto-encourage et je lui sers de coach. Les premiers jours, nous avons fait du gainage et de la barre au sol, un peu de yoga et de pilates, pour redécouvrir son corps. Au bout d’une semaine, nous avons rajouté une barre, avec toujours du gainage et de la barre au sol. Maintenant, nous ajoutons une barre au milieu. Dans quelques jours, nous allons intégrer le milieu jusqu’aux petits sauts. L’Opéra de Paris va nous fournir un tapis de danse le week-end de Pâques, mais cela limite forcément les choses pour les grands sauts, surtout que ma voisine a peu d’espace. Ensuite nous recommencerons les pointes avec là encore une vraie progression, c’est possible de le faire sans avoir trop d’espace.

Je n’ai pas envie de me donner des mauvaises habitudes comme de danser petit parce que j’ai peu d’espace ou que j’ai peur de casser quelque chose. Je préfère donc ne pas tout faire, mais de faire très bien ce que je fais, et de façon très concentrée sur les points à corriger.

Notre travail est une façon de revoir sa danse et de reprendre le temps de l’approfondir, de revoir sa manière de la faire fonctionner.

… Et son travail de coach

Avec ma voisine, nous avons beaucoup parlé de ce qu’elle n’arrive pas à corriger. J’adore faire ce travail de coaching, je le fais depuis longtemps à l’Opéra ou ailleurs, même pendant le Concours de promotion alors que je le prépare de mon côté (rire). J’aime aider les plus jeunes, ceux qui ont besoin d’aide pour trouver leur voie et leur personnalité, corriger la technique et l’artistique. J’ai donc allié les deux : me réentraîner et coacher. Et me sentir ainsi utile pour quelqu’un. Notre travail est une façon de revoir sa danse et de reprendre le temps de l’approfondir, de revoir sa manière de la faire fonctionner. De mon côté, j’approfondis mon coaching. On n’a jamais fini d’apprendre, en tant que danseuses ou en tant que professeure. J’ai mon D.E. depuis bientôt dix ans, je coache depuis longtemps, mais je n’ai jamais fini d’évoluer.

Je ne veux pas en tout cas avoir une routine redondante qui au bout d’un moment ne donne plus de peps. On ne sait pas pour combien de temps va durer le confinement, il ne faut pas lâcher l’affaire. Et c’est l’occasion de reprendre les bases, les défauts pour pouvoir les corriger de manière intelligente. On a le temps pour ça, ce qui est différent d’un cours qui sert surtout à se chauffer. L’Opéra propose désormais des cours le matin avec nos professeurs habituels en visio. Je trouve ça super. J’ai mon programme et il me convient, mais je vais venir progressivement à ces cours en visio.

Ses rôles qui devront attendre

Mayerling a été annulé et ce spectacle était important pour moi, c’était un des ballets que j’attendais avec impatience. J’avais de belles opportunités de soliste, je devais danser Princesse Stéphanie et Mitzi Caspar. Mais c’est la vie, on ne va pas forcer les choses, tout le monde est dans la même situation. La déception est là mais on passe dessus. Je perds un rôle, mais certains vont perdre leur entreprise, d’autres vont perdre un proche… Il y a des choses beaucoup plus graves. La seule chose que j’espère est d’avoir les mêmes opportunités de rôle lorsque ce ballet sera repris.

Un temps de réflexion

Après mon année à Zurich, je me suis projetée sur mon avenir après la scène. Il me reste un peu plus de dix ans de carrière à l’Opéra. En CDI dans cette institution, on a la tête dans le guidon, on se pose réellement la question quelques années avant la retraite. À Zurich, ils y réfléchissent de façon très précoce, il est plus facile d’en parler. Le projet de la réforme des retraites a accentué cette idée. Je suis très prévoyante et je me disais que l’on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve quant à ce statut.

Alors j’ai entamé des démarches personnelles de prospection. Qu’est-ce que je pourrais faire plus tard ? Qu’est-ce que j’aimerais faire ? Quels sont mes domaines de compétence ? Qu’est-ce qui au contraire ne m’attire pas du tout ? J’avais pris quelques rendez-vous qui étaient programmés juste pendant ce moment de confinement, ce qui tombe bien : j’ai du temps en dehors de la danse. Je suis aidée par un spécialiste de reconversion de carrière, en visio. J’ai dix ans avant ma retraite, mais si je dois recommencer des études d’ici 2-3 ans pour une nouvelle carrière, dans un autre domaine, il faut y penser maintenant. J’adore le coaching personnel, surtout pour les plus jeunes, les pré-pros et jeunes pros. Mais c’est très compliqué de se faire une place dans le milieu de la danse après sa carrière de danseuse quand on n’est pas Étoile ou Première danseuses, et l’étiquette Opéra de Paris n’ouvre pas forcément les portes. Je ne ferme aucune perspective en tout cas. Je veux surtout savoir ce qui pourrait m’aller en dehors de la danse. Cette prospection avance pas à pas et c’est très intéressant.

Physiquement, s’entraîner deux-trois heures par jour n’a rien à voir avec une journée de travail avec un cours et deux ou trois services de répétition.

Et après le confinement ?

Pourquoi ne pas revenir mieux qu’avant ? Je travaille sur mes défauts, sur mes bases, je reprends les choses à zéro. J’espère avoir mis à profit ce temps pour m’améliorer, approfondir, progresser. Il n’y aura pas de raison pour revenir mieux qu’avant, sachant que l’on se prépare au mieux. Faire six semaines de barre au sol et barre au milieu, cela remet bien les choses en place. Le souffle se travaille en cardio avec de la corde à sauter et des exercices spécifiques. La chose la plus difficile à reprendre sera les sauts, il faudra être vigilant. Mais on peut préparer ses chevilles pour éviter les entorses à la reprise.

J’espère que l’on pourra reprendre le travail en studio avant le début des vacances d’été, pour ne pas enchaîner quatre mois comme ça. Même si nous sommes consciencieux, on ne va pas au théâtre, ce n’est pas pareil. Et physiquement, s’entraîner deux-trois heures par jour n’a rien à voir avec une journée de travail avec un cours et deux ou trois services de répétition. Personnellement, je ne me projette pas sur scène avant septembre. Mais j’espère que le retour en studio aura lieu avant. Si l’on ne reprend qu’à la rentrée, cela va être très dur, on aura perdu le rythme.

 

 

Philippe Solano et Tiphaine Prévost – Solistes et demi-Soliste au Ballet du Capitole

Le confinement

Nous étions en tournée en région avec un programme contemporain de trois pièces de Kader Belarbi. Nous avons commencé à nous échauffer quand l’annonce de l’annulation est tombée. Nous devions faire notre prise de rôle dans À nos amours, on avait bien répété, on avait vraiment envie de le faire, Il y avait l’excitation de notre première… Sur le moment, ça a été dur de l’accepter. Mais il faut faire avec.

Tiphaine Prévost et Philippe Solano en répétition

Leur entraînement quotidien

On s’y est mis tout de suite, on n’a rien lâché ! (rire). Philippe : pour ma part, j’ai eu un moment d’angoisse : mais comment va-t-on faire ?

Nous avons mis en place notre routine. On démarre le matin en s’étirant pendant pas mal de temps pour dérouiller les muscles. Puis on fait une série de gainages qui permet de renforcer la musculature dans tout le corps, donnée par Thomas Menet-Haure, un kiné du sport à Toulouse que l’on connaît bien. On enchaîne avec la barre à terre géniale de Stéphane Dalle, notre maître de ballet. En temps normal, on l’a fait une fois par semaine dans la compagnie, avec des sessions plus longues en rentrant de vacances. Elle nous sauve la vie ! On ne peut pas danser comme on veut dans un appartement, cette barre à terre fait travailler tout le corps et est très complète. Puis on fait notre barre classique. Laure Muret nous a donné une petite barre en vidéo. On s’inspire aussi des barres que l’on voit un peu partout, notamment celle d’Andrey Klemm. Kader Belarbi a mis en place il y a une semaine un cours par Zoom avec les maîtres de ballet de la compagnie, ce qui est très motivant. On retrouve ainsi un peu cette ambiance de collectivité qui nous manque, en prenant ce cours tous ensemble. Nous sommes un groupe, un peu comme une famille, et ça fait plaisir de voir tout le monde, de voir que tout le monde va bien…. En espérant vite se retrouver.

Nous diffusons parfois notre barre en direct sur les réseaux sociaux, cela nous aide à garder le moral et à nous motiver. Les élèves des écoles de danse fermées peuvent nous suivre, on reçoit beaucoup de messages, c’est encourageant. Mais c’est étonnant qu’il ait fallu attendre le confinement pour se rendre compte de la difficulté de la préparation du danseur/de la danseuse. On nous voit sur scène, bien préparé : maintenant, on nous voit dans le travail.

Nous nous lançons aussi des petits challenges en apprenant et travaillant des pas de deux. Pour rester dynamique mentalement, pour la mémoire, pour se donner un but aussi. Et c’est bien d’avoir le temps pour ça, on ne l’a pas toujours au cours de la saison alors qu’il faut toujours évoluer. Nous avons travaillé Le Lac des cygnes, Giselle, Casse-Noisette ou La Bayadère. Notre devoir de danseur est de rester en forme. Si en juillet nous montons sur scène, nous devons être au top et montrer un beau spectacle. La condition physique est notre base, pour nous danseurs. On n’est pas en vacances, on sait que ça va reprendre, à un moment. Et nous n n’avons pas envie de nous arrêter et de ne rien faire. La difficulté serait bien trop grande à la reprise. C’est en fait inconcevable d’arrêter.


 

Les questions matérielles

Nous sommes a priori payé à 100 % de notre salaire.Nous sommes contractuels, employé par la mairie, nous ne risquons pas de perdre notre contrat.

Question pratique, le sol de notre appartement glisse beaucoup, il faut faire attention pendant nos entraînements. On a mis un tapis de jardin pour améliorer les choses en y rajoutant de la colophane. Mais le Ballet du Capitole vient de nous fournir un lino de danse, ça améliore beaucoup les choses.

Leur état d’esprit

Nous avons peur maintenant que le confinement s’enchaîne avec les vacances et que l’on arrive ainsi à quatre-cinq mois d’arrêt. C’est assez angoissant et difficile d’être inactif si longtemps et d’être seuls. On ne ressent plus cette ambiance de collectivité que l’on a dans un ballet, on n’a plus cette adrénaline de la scène, ce stress aussi… Tout ce qu’il y a autour du spectacle manque vite. Nous étions tous les deux sur une pente ascendante, avec de plus en plus d’opportunités, des rôles… Quand on va revenir, nous voulons reprendre cette dynamique et ne pas repartir à zéro. Philippe : tous les danseurs se doivent de rester en forme, mais depuis que j’ai été nommé Soliste, je le ressens encore plus.

Les projets repoussés

La création Toulouse-Lautrec de Kader Belarbi a été reportée à la saison prochaine. Les répétitions avaient démarré, nous étions dans une bonne ambiance de travail, et d’un coup on se retrouve à la maison, c’est un peu compliqué et décevant. Mais le ballet est juste reporté, cela va se faire. Tiphaine : Le travail sur ce ballet est en plus vraiment très intéressant. Pour les filles, nous faisons du vrai french cancan et ça a été la révélation (rire). C’est super énergique, avec des splits, des grands écarts. Nous avons la chance en plus de le travailler avec Laurence Fanon. Mais aujourd’hui, je me projette dans l’instant présent, dans la fin de saison. On attend de savoir comment vont évoluer les choses. Mais tant que les derniers spectacles de juillet ne seront pas annulés, je ne pourrais pas me projeter dans la saison prochaine.

Tant que les derniers spectacles de juillet ne seront pas annulés, il est difficile de se projeter dans une nouvelle saison

Et après ?

Nous nous attendons à ne pas danser avant septembre, mais il y a toujours un point d’interrogation. On espère secrètement pouvoir faire quelques projets de fin de saison, même si c’est difficile de se projeter, notamment pour les spectacles au Théâtre de Paris fin juin. Le programme est passionnant et il nous tient à coeur. On y danse David Dawson, Kader Belarbi et Cayetano Soto, trois chorégraphes qui sont peu donnés en France, et c’est un honneur de les présenter au public parisien, il y a une vraie excitation. Et c’était important pour nous de montrer une autre pièce de Kader Belarbi, plus intimiste, au public parisien. C’est de plus important de montrer une autre facette de ses chorégraphies après Le Corsaire ou Giselle. Mais ces ballets sont durs, ils demandent beaucoup de rigueur, cela demande de travailler.

 

 

Olivia Lindon – Danseuse free-lance

Le confinement

J’étais sur le projet Mon premier Lac des cygnes. Nous avions terminé les représentations fin-février, nous étions en pause avant la reprise des spectacles au Théâtre Mogador mi-mars suivis d’une tournée en France. On avait prévu de se retrouver quelques jours avant pour des répétitions. Tout s’est arrêté avec le confinement et les spectacles ont été annulés très rapidement. Je suis restée chez moi, aux Abbesses à Paris, où j’habite avec mon compagnon.

Olivia Lindon (en répétition de Aura de J.Gondani)

Son entraînement

Je n’ai pas de routine, j’ai peur de tomber dans l’automatisme. Les danseurs et danseuses ont mis en place des démarches formidables en mettant en ligne leur travail et leur savoir, disponibles pour toute la planète. On se retrouve à voyager comme jamais : on fait un cours de danse à New York, un cours de Gaga à Tel-Aviv, un cours de Gyrokinesis en Italie… Je change tous les jours, en rajoutant mes exercices personnels pour renforcer mes parties du corps un peu plus faibles, qui perdront leurs musculatures plus rapidement. Je cuisine aussi sur pointes pour ne pas perdre l’épaisseur de la peau. Je fais ainsi certaines choses plutôt par prudence que par sensation de besoin.

Je ne sens pas ainsi la nécessité de suivre un cours classique tous les jours, je suis plus à la recherche de découvrir d’autres pratiques et profiter de ce confinement pour m’enrichir. J’ai ainsi pris un cours de Gaga people avec Hillel Kogan, que je connaissais pour avoir fait une création avec lui au Ballet du Capitole. En ce moment, je prends un cours de Gaga sur le site de la Batsheva, ils proposent des choses quotidiennement. Avec le Gaga, on acquiert une liberté et un éveil de toutes les parties du corps. On se sent incroyablement délié, plus souple, à la fois dans un allongement et dans une vraie sensation de poids dans le sol. C’est très complet et ça correspond à tout le monde : danseur ou non, chanteur, comédien… Je fais aussi des cours de Feldenkrais qui ne nécessitent aucun équipement et apporte une conscience du corps permanente. Pour le classique, comme j’aime beaucoup la technique américaine, je prends de temps en temps le cours de Tiler Peck, assez complet et fait pour ceux et celles qui pratiquent chez elles sans aucun équipement. J’ai du parquet, ça glisse beaucoup ce n’est pas le moment de se faire mal. Ce n’est pas très pratique mais on fait ce qu’on peut et on pousse les meubles !

Je m’entraîne une heure par jour, parfois trois heures, parfois plus. J’estime que si je me sens bien dans mon corps, je n’ai pas besoin de multiplier les séances. Je n’ai pas l’impression en tout cas que l’on va perdre pendant le confinement. On est tellement conscient que ce que l’on vit n’est pas normal… Nous ne sommes pas en vacances, notre corps est constamment éveillé. Je pense qu’en une semaine de cours, au moment de la reprise, on aura tout retrouvé.

Je n’ai pas l’impression en tout cas que l’on va perdre pendant le confinement. Nous ne sommes pas en vacances, notre corps est constamment éveillé.

Son envie de créativité et ses vidéos hommage au cinéma

Avec mon compagnon Pierre de Cintaz, qui est ingénieur du son au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, on a tout de suite voulu faire quelque chose de créatif et de stimulant pendant ce confinement. Chaque jour, nous publions sur mon compte Instagram une vidéo hommage à un film que j’ai beaucoup aimé et que je connais très bien, par une reprise d’une scène dansée ou non. Je suis passionnée de cinéma, depuis toujours, cela me fait plaisir de mélanger le 7e art et la danse.

Je ne voulais pas perdre cette exigence de créer. On ne peut plus monter sur scène ou aller voir des spectacles, alors il faut faire ce que l’on peut avec ce que l’on a, pour les autres et pour soi. Il faut être conscient de la gravité du moment, mais ça n’empêche pas d’y apporter une petite parenthèse agréable et quotidienne. Et pour moi, cela me fait du bien de réfléchir et de faire ces vidéos, de voir que la journée passe sans que l’on s’en rende compte, et donc de ne pas avoir peur des jours suivants. Pour l’instant, nous avons une dizaine de jours d’avance pour nos projets, même si nous tournons la veille de la mise en ligne. Les idées sont venues très vite, maintenant on travaille un peu plus. On écrit tout sur un papier, même ce qui n’est pas faisable pour l’instant, en se disant que l’on va trouver une solution. On peut tenir un mois de plus sans problème !

Certaines vidéos ont été tournées et montées très rapidement, d’autres ont pris bien plus de temps et n’ont été terminées que dix minutes avant la mise en ligne. The Rocky Horror Picture Show a été très compliqué pour le montage. Quant au tournage, c’est celle de West Side Story qui a pris le plus de temps : j’étais très exigeante, j’aime tellement ce film, je voulais lui rendre hommage le mieux possible.


 

Ses projets en suspens

Avant le confinement, je travaillais sur un film autour de Wilfride Piollet. Elle a été ma professeure et tous mes cours particuliers avec elle ont été filmés. J’ai ainsi une centaine d’heures de rush sur plusieurs années. Je souhaite en faire un film pour montrer qui elle était, au-delà de sa technique qui est connue, ce qu’elle avait à apporter. C’est ainsi une manière de rendre hommage à quelqu’un qui a beaucoup marqué ma vie de danseuse. Mais j’ai du mal à le faire pendant le confinement. Chez moi, j’ai plus de difficulté à me discipliner, je préfère aller travailler dans un café. Alors je mets ce projet entre parenthèses. Et les vidéos de cinéma sont tellement divertissantes que je n’ai pas envie de faire autre chose.

Son état d’esprit

Je suis donc dans une routine très différente. J’ai l’impression que, sans le confinement, je n’avais pas la liberté d’être aussi créative. Comme on s’est coupé de plein de choses, j’ai eu besoin de monter un projet en lien avec le corps et l’esprit. Et j’ai l’impression que ça été le cas pour plein de gens, qu’on avait besoin de ça dans nos vies. C’est toujours important de pouvoir être créatif. Avec Mon premier lac des cygnes, nous avons fait 40 spectacles en deux mois, je n’avais pas le temps de faire autre chose. Avec le confinement, je suis contrainte d’exprimer ma créativité et de faire ces vidéos.

Avec le confinement, je suis contrainte d’exprimer ma créativité

 

 

 

Et après ?

Je suis intermittente, statut que j’ai obtenu juste à la fin des spectacles du Premier Lac des cygnes. C’est un poids en moins, j’ai pour l’instant mon intermittence à la fin du mois. Mais comme tous les intermittents, nous sommes dans l’attente des maisons de production : serons-nous payés malgré l’annulation des spectacles ? Cela fera une énorme différence pour notre futur. Si ces spectacles annulés ne sont pas comptabilisés dans notre intermittence, nous devrons partir à la chasse aux contrats, tout en sachant qu’on ne sait pas ce qui va se passer à la fin du confinement. Dans mon cas, les spectacles sont annulés et non pas reportés. Nous avons le projet d’un nouveau spectacle en septembre, Mon premier Casse-Noisette. Verra-t-il le jour ? On ne peut qu’espérer.

Pour ma part, les spectacles annulés représentent plus de 150 heures d’intermittence. Nous devons en faire 507 chaque année pour conserver notre statut.

 




 

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