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Didier Deschamps : “Je veux que ce soit la fête à Chaillot et ne pas souligner partout l’anxiété de l’épidémie”

Le Théâtre de Chaillot, le temple de la danse, a dû fermer ses portes à la mi-mars comme tous les théâtres de France et d’une grande partie de la planète, victime de la pandémie de COVID-19. Un tsunami pour toutes les compagnies du monde entier contraintes de s’arrêter en plein vol, réduites comme toutes et tous au confinement avec son lot d’anxiété et de doutes. Alors que la situation sanitaire semble s’améliorer, Chaillot, le Théâtre National de la Danse rouvrira ses portes cet automne pour une saison forte de promesses artistiques passionnantes. On retrouvera dans les salles Jean Vilar et Firmin Gémier les grands noms d’aujourd’hui : Angelin Preljocaj, Carolyn Carlson, Emanuel Gat, Ohad Naharin, Sharon Eyal, Boris Charmatz, Robyn Orlin, Olivier Dubois, François Chaignaud, mais aussi de nouveaux venus avec le souci constant d’ouvrir ce théâtre aux danses du monde entier. Son directeur Didier Deschamps revient pour DALP sur les effets de la crise sanitaire et ses espoirs pour une reprise tant attendue. 

Didier Deschamps – Directeur du Théâtre de Chaillot

Revenons à cette date fatidique du 15 mars et l’annonce brutale de la fermeture des théâtres. Comment avez-vous réagi ?

Essayer de rester calme, parce que dans ces situations, nous avons tous à titre individuel un certain nombre d’inquiétudes par rapport à sa famille, par rapport à ses proches qui peuvent être concernés par ce qui est en train de se passer. Et puis en priorité se mettre en ordre de bataille avec mon équipe au Théâtre de Chaillot pour répondre dans l’urgence à un certain nombre de situations vis-à-vis des artistes que l’on doit rapatrier, vis-à-vis de ceux que l’on doit alerter pour qu’ils restent chez eux, du public que l’on doit prévenir. Et puis une chose a été mobilisatrice, à savoir organiser la continuité de l’activité des personnels du théâtre. Puis très vite, il a fallu regarder comment pouvait s’organiser la suite de la saison, ce à quoi il fallait renoncer et les conséquences économiques. Il fallait aussi être en contact avec les mécènes et ceux qui nous soutiennent. Enfin se projeter sur la saison suivante et les saisons ultérieures. J’ai envie de dire qu’à titre personnel, je n’avais pas le temps de me poser d’autres questions.

 

On imagine qu’il y a une tristesse et une frustration de voir tous ces spectacles annulés…

C’est un vrai désespoir, un désespoir renforcé par les échanges que nous avons eus avec tous les artistes qui ont été plongés dans une forme de désarroi profond, de sidération. Il était important que nous puissions communiquer avec eux et essayer là aussi de maintenir une forme de présence pour qu’ils aient la certitude qu’après ce temps-là, les choses renaîtraient et qu’il ne fallait pas qu’ils se laissent trop affecter par ces événements.

 

Surgit immédiatement la question économique : comment survivre pour des compagnies qui sont parfois fragiles financièrement. Quelle a été votre attitude face à ce problème fondamental pour le spectacle vivant ?

Nous avons tout de suite pris la décision que les contrats seraient honorés, ce qui est extrêmement important aussi bien pour la France – où très vite la situation des intermittents a été prise en compte par le gouvernement – mais aussi pour les artistes étrangers ou celles et ceux qui travaillent occasionnellement dans ce théâtre. Nous avons voulu maintenir les salaires. C’est complexe car nous sommes dans un cadre réglementé qui est très lourd. Il fallait donc s’assurer que ce que nous voulions faire était possible. Cela s’est très bien passé avec toutes les compagnies qui ont compris comment nous voulions gérer avec elles cet accompagnement sur le plan financier comme sur la recherche de solutions, et notamment la possibilité de se retrouver ultérieurement.

Les saisons se préparent longtemps à l’avance. Quand la fermeture est annoncée à la mi-mars, la saison 2020/2021 est donc quasiment bouclée. Quel impact a eu la pandémie sur cette nouvelle saison ?

Nous devions ouvrir la saison en septembre avec une création de Damien Jalet qui est artiste associé et Kohei Nawa (ndlr: la création de Damien Jalet sera montrée à Chaillot la saison prochaine). C’est une production maison qui implique de nombreux partenaires européens et en Asie (Japon, Chine, Corée, Taiwan…). Nous avons donc dû travailler beaucoup par téléconférence avec ces partenaires pour recaler l’ensemble des contributions qui étaient prévues. Cela nous a beaucoup mobilisés car c’était un processus très complexe. Damien Jalet, dans la méthode de travail qu’il met en œuvre avec Kohei Nawa, était vraiment empêché. De surcroît, cette création mobilise des danseurs et danseuses qui sont d’origines différentes avec donc la nécessité de faire le constat que les déplacements n’étaient plus possibles. Cela a donc modifié notre début de saison. Nous avions aussi prévu des spectacles venus d’Afrique et il a fallu les reporter.

 

Vous avez pu malgré tout composer la saison que vous aviez souhaitée ?

Oui globalement, à l’exception de ce début de saison. Mais cela dépendra aussi de ce qui va se passer car nous ne sommes pas à l’abri de modifications selon ce qui va se produire dans telle ou telle partie du monde. Certains spectacles viennent de loin. S’ils étaient empêchés, nous reporterons et ferons d’autres propositions. Il faudra être flexible selon l’évolution de la situation car il n’y a pas d’autres solutions. Mais je pense qu’il faut le prendre calmement avec la volonté, la résolution absolue d’aller jusqu’au bout des choses. Et quand on constate qu’il faut changer, alors à ce moment-là, on change. Mais surtout ne pas anticiper sur les événements et annuler. Non ! Il faut maintenir les choses.

 

La situation de l’épidémie et son évolution font que les protocoles pour accueillir le public changent très vite. Là encore, il faut que vous vous adaptiez pour pouvoir rouvrir le théâtre dans d’excellentes conditions sanitaires.

C’est une nécessité et c’est la moindre des choses. On a travaillé sur un grand nombre d’hypothèses qui prennent en compte des consignes qui n’ont cessé d’évoluer, y compris celle qui serait la plus favorable, à savoir que toutes les restrictions soient levées à la rentrée. On s’y prépare en ayant en tête que nous devons bien légitimement apporter les réponses au public sur  le fait qu’il sera en sécurité au Théâtre de Chaillot. Mais je veux que ce soit toujours la fête et non pas que l’on arrive avec une sorte d’anxiété et qu’il y ait trop de signes de ce risque potentiel. Ce serait quelque chose d’un peu malsain que de claironner les signes de l’épidémie en permanence. C’est un peu comme les mesures contre le terrorisme. On en parle moins et c’est tant mieux mais elles sont toujours là, on n’a pas le nez dessus en permanence et il faut arriver à faire de même avec l’épidémie…

 

La rentrée sera un peu retardée à la mi-octobre. Vous avez donc décidé en septembre d’accueillir des compagnies à travailler au Théâtre de Chaillot et le public sera convié à assister à leurs répétitions. Pourquoi ce choix ?

Les compagnies que nous avons sollicitées ont accepté très volontiers cette proposition et c’est une occasion assez rare pour le public d’assister à la création d’une oeuvre. Quand on aime la danse, c’est passionnant et encore davantage quand on peut ensuite voir le spectacle fini et comprendre comment on est arrivé là, par quoi on est passé, quel chemin il a fallu traverser pour arriver à une forme qui est celle du spectacle.

 

Quels seront les temps forts de cette saison particulière ?

Il n’y a rien qui soit là par hasard ou par obligation ! Mais j’ai envie de mettre en avant des compagnies que l’on n’a jamais vues  ici. Je pense à Mélanie Demers ou à ces artistes italiens, avec la compagnie Aterballetto ou le chorégraphe Salvo Lombardo, le programme Scène d’Inde que l’on va découvrir. Et puis il y a des coups de coeur pour des choses très atypiques comme le duo créé par François Chaignaud et l’incroyable artiste japonais Akaji Maro dont on ne sait pas ce qu’il sera mais que l’on devine inouï et singulier. Même attente avec la création d’Angelin Prelocaj sur Le Lac des Cygnes. Dieu sait que j’en ai vu d’innombrables durant ma vie, je ne pourrais plus faire le compte. Mais j’ai la même impatience vis-à-vis de cette création et j’imagine que le public également.

Il y a une forme de paradoxe dans cette crise. On entend qu’il faut de plus en plus privilégier la proximité, le “consommer français” qui est tout à fait contraire à la politique artistique que vous menez depuis que vous dirigez cette maison que vous souhaitez ouverte suer le monde entier. 

Il ne faut pas faire d’amalgame, ce qui serait terrible : il y a  la nécessité et la légitimité de penser à des modes économiques qui permettent que l’on soit dans des logiques de respect de l’environnement qui imposent une autre manière de consommer. Mais l’art n’est pas une consommation comme les autres. L’art est une pratique et une nécessité  qui nous conduit et nous fait réfléchir, comprendre que l’autre n’est pas une menace mais une richesse dans sa singularité et ses différences. Et il n’y a pas d’autres manières de vivre  le monde sauf à risquer la guerre. Cette curiosité de l’autre est indispensable. Je suis farouchement opposé à tout repli sur soi-même.

La saison 2020-2021 du Théâtre National de la Danse Chaillot est à découvrir en ligne. 

 




 

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