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Budget et ligne artistique : rencontre avec Dominique Hervieu pour la rentrée “Covid” de la Maison de la Danse

Après Didier Deschamps, directeur du Théâtre de Chaillot, continuons de faire un point sur les rentrées des théâtres de la danse en France par une rencontre avec Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la Danse de Lyon. Elle a choisi, comme d’autres directeurs et directrices de théâtre, de commencer sa saison un peu plus tard, en novembre, et de proposer en attendant des sorties de résidence et répétitions publiques. Enjeux financiers, nouvelles relations avec le public mais aussi choix artistique, Dominique Hervieu nous explique la saison 2020-2021 de la Maison de la Danse.

Dominique Hervieu, directrice de la Maison de la Danse et de la Biennale de la Danse

Après plusieurs mois de fermeture, la Maison de la Danse a de nouveau rouvert ses portes au public en septembre. Comment se sont passées ces retrouvailles ?

Nous avons rouvert pour la présentation de la saison 2020-2021 en remplissant la jauge possible aujourd’hui, qui est pour nous de 660 sur nos 1.1000 places (ndlr : une jauge de 1.000 places maximum, réduite par un siège laissé libre entre chaque groupe social). Le public est arrivé stressé… et il est reparti détendu. Stressé par le retour, le protocole sanitaire, le mètre de distance à respecter entre chacun… Mais détendu par Yuval Pick qui l’a fait danser. C’était bien la Maison qu’ils connaissaient, dont ils avaient l’habitude ! Nous sommes aussi heureux de voir l’adhésion de ces sorties de résidence lors de notre Automne de la Danse, qui sont toutes complètes. Le public y est très investi en venant nombreux et en posant des questions intéressantes aux artistes. Cet Automne de la Danse a permis de donner de la visibilité à nos artistes en résidence, ce qui donne envie de le refaire !

 

Et qu’en est-il de la billetterie des spectacles, qui reprennent en novembre ?

On sent que le virus est maintenant vraiment rentré dans la vie quotidienne des spectateurs et spectatrices, que cela peut les toucher, que ce n’est pas un bruit de fond facile à maîtriser. Alors sur les abonnements et le retour en salle, c’est plus compliqué. Beaucoup attendent désormais la dernière minute et où en sera la situation à la Toussaint.

Le message auprès du public a aussi pu être brouillé. Jusqu’au mois d’août, nous ne pouvions vendre que 330 places par représentation, parce que les décrets – que je respecte à la lettre – imposaient 1 mètre de distance entre chaque personne, ce qui pour nous revenait à un rang sur deux. Puis en septembre, les consignes ont changé et nous avons pu aller jusqu’à 660 places. Nous avons donc rouvert nos jauges, rouvert notre billetterie et dit au public “Venez”… alors qu’en même temps la situation sanitaire s’aggravait, ce qui n’est pas simple comme message. Nous prenons le temps de réexpliquer le protocole sanitaire sur lequel nous sommes très scrupuleux. Les fauteuils sont désinfectés à chaque fin de séance, l’air est changé en permanence par notre aération, nous gardons un siège vide entre chaque groupe…

 

Une saison, en tout cas plusieurs mois, à limiter votre salle à 660 place à la place de 1.100, comment cela fonctionne économiquement parlant ?

Avec 660 places chaque soir, nous ne sommes pas du tout dans notre modèle économique. Certains théâtres ont des subventions qui couvrent leur ordre de marche et une partie de leur budget artistique. Ce n’est pas le cas de la Maison de la Danse, nos recettes de billetterie financent une partie de l’ouverture du théâtre et notre projet artistique. Nous devons donc faire entre 500.000 et 600.000 euros de bénéfice pour payer le théâtre en ordre de marche. Avec 660 places que l’on peut vendre chaque soir, c’est infaisable. Nous aurons besoin de l’aide de nos tutelles.

 

Les spectacles de la saison 2020-2021 reprennent le 4 novembre avec Chaplin de Mario Schröder par le Ballet du Rhin. Concrètement, comment construit-on une saison quand les déplacements entre pays restent aléatoires ?

Nous avons fait très attention dans notre programmation de rester sur des pays proches. Nous avons ainsi déprogrammé des troupes brésiliennes, coréennes ou québécoises qui devaient venir au premier trimestre pour privilégier des troupes françaises ainsi que des séries plus longues en prévision de jauges plus petites.

Chaplin de Mario Schröder – Ballet du Rhin

La saison 2020-2021 de la Maison de la Danse répond toutefois aux critères d’une saison habituelle, avec un mélange de grands noms et de jeunes talents, de la danse contemporaine, classique, du hip hop, du cirque… Comment l’avez-vous construite ?

En reportant la Biennale de la Danse en mai prochain, cela me permet d’intégrer certains spectacles du festival dans notre programmation et permet un équilibre programmatique. Nous avons beaucoup de valeurs sûres parce qu’on ne pouvait pas prendre plus de risques financiers, comme Angelin Preljocaj, la Compagnie XY, le Malandain Ballet Biarritz.

Mais nous proposons tout de même 50 % de nouveaux artistes et troupes qui ne sont jamais venues chez nous : le Ballet du Rhin, David Coria, la Companhia Nacional de Bailado, Yuval Pick ou Fouad Boussouf qui est notre artiste associé et qui mêle le hip hop à des danses traditionnelles transes marocaines. Nous aurons aussi l’Ambiguous Dance Company, une compagnie coréenne qui propose un vrai show en jouant avec les codes de la danse. C’est artistiquement et politiquement incorrect et très bien dansé avec une grosse technique. Et tous les artistes du festival Sens Dessus Dessous sont de nouveaux venus, entre Jan Martens qui présentera deux solos, Flora Détraz qui mêle travail corporel et voix, la hip hopeuse Linda Hayford pour un solo plein de rage, Amala Dianor pour un nouveau trio (ndlr : dont on peut voir un avant-goût lors d’une sortie de résidence le 28 octobre), Mickaël Phelippeau et son solo qu’il a créé pour Lou, la fille de Béatrice Massin, qui y explique pourquoi elle est une danseuse d’aujourd’hui qui danse du baroque…

 

La Biennale de la Danse, qui devait avoir lieu en septembre 2020, est reportée à mai et juin 2021. Pour l’instant, comment se porte-t-elle ?

Si la Maison de la Danse a eu peu de défection concernant le mécénat, la Biennale de la Danse en a perdu 250.000 euros, ce qui nous oblige à condenser le programme. La complexité de la Biennale est de mêler les spectacles, des manifestations en extérieur, le défilé qui réunit 250.000 personnes dans les rues, le rendez-vous place Bellecour avec 15.000 personnes… Pour l’instant, tout est maintenu.

 

Des festivals comme Le Temps d’aimer ont bien eu lieu en septembre. Cela ne laisse-t-il pas des regrets pour la Biennale, qui aurait peut-être pu avoir lieu en cette rentrée ?

Nous avons dû reporter très tôt la Biennale de la Danse parce qu’elle programmait beaucoup d’artistes de la saison Africa2020, qui elle a été annulée très tôt, dès mars. Et puis la Biennale de la Danse de Lyon, c’est un concept qui ne peut pas être morcelé. C’est à la fois une programmation de spectacles, le défilé, une forte présence internationale, le focus danse avec 900 professionnel.le.s du monde entier impliquant de grosses institutions, la plateforme européenne, un écosystème entre les amateurs et les créations, un marché de la diffusion et le tout public, l’émergence et les grandes formes… Maintenir la Biennale en septembre aurait signifié se priver de tout cela, elle en perdait tout son sens. Et puis, avec l’arrêt des répétitions pendant le confinement, 70 % des créations n’auraient pu être prêtes en septembre. Il n’y a donc aucun regret sur ce report.

Le Défilé de la Biennale de la Danse 2018

En tant que directrice d’un grand établissement culturel, comment se projette-t-on dans cette saison et les suivantes ?

J’attends de voir quels soutiens nous aurons de nos tutelles, avec un besoin qui change en fonction des jauges qui montent et qui descendent. Il y a une écoute et une bienveillance sur la Maison de la Danse, la seule de France, de la part du ministère de la Culture. Mais pour 2020, je présente un déficit de 250.000 euros, dû aussi au fait que nous avons remboursé 800.000 euros de billetterie suite aux spectacles annulés. Nous avons beaucoup fait appel au chômage partiel pour nos équipes, cela permet de faire baisser la note. Mais aujourd’hui, je n’ai pas d’autre choix que de présenter un budget déficitaire, sinon nous ne pouvons pas ouvrir. Et je ne pourrais pas faire un budget déficitaire pendant trois ans.

 



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