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Fanny Fiat : “Les aides actuelles ne suffisent pas pour des lieux de culture comme Éléphant Paname”.

Le centre de danse et d’art Éléphant Paname, qui a ouvert il y a huit ans dans la capitale, ferme définitivement ses portes suite à la crise sanitaire. En quelques années, ce lieu unique était devenu un endroit apprécié des amateurs et amatrices de danse, pour ses magnifiques locaux et beaux studios de danse, ses stages, ses expositions, ses événements culturels, ses spectacles. C’est aussi à Éléphant Paname que DALP avait organisé sa rencontre avec Marie-Claude Pietragalla. Fanny Fiat, ancienne danseuse du Ballet de l’Opéra de Paris, avait fondé Éléphant Paname il y a huit ans avec son frère Laurent. Elle revient sur cette difficile décision de fermer le centre et ses souvenirs d’Éléphant Paname.

Fanny Fiat, directrice générale et artistique d’Éléphant Paname

 

Pourquoi avez-vous pris la décision de fermer Éléphant Paname ?

Avec mon frère Laurent, nous avons longtemps réfléchi. On a cherché toutes les solutions possibles. Le premier confinement nous avait déjà bien abîmés, mais on avait de quoi tenir, avec les aides et le chômage partiel. Nous sommes un lieu entièrement privé, sans subvention. Quand il n’y a aucune rentrée d’argent, rien ne vient pallier ce manque et nous continuons à payer des charges assez lourdes. À un moment donné, ce n’était plus possible, surtout qu’on ne savait pas quand nous pourrions rouvrir. Nous avons toujours fonctionné comme une grande famille et on ne voulait pas mettre à mal les gens avec qui on travaille. Si l’on fermait, il fallait le faire de la bonne manière pour nos salariés. Il y aura en tout 13 licenciements. Notre équipe a été la priorité, nous sommes responsables des gens avec qui l’on travaille.

 

Comment s’était passés la reprise début septembre ?

Nous étions très motivés. Nous avons respecté toutes les réductions de jauge, ce qui nous a beaucoup impacté pour nos événements, nous ne sommes pas une grande salle. Idem pour les cours de danse. Les professeur.e.s étaient motivé.e.s aussi, même s’ils avaient beaucoup moins d’élèves dans leurs cours, certains avaient du mal et ont dû partir. Chaque professeur.e nous louait les salles, certains n’avaient plus assez de personnes en cours pour couvrir la location. Nous avons eu quelques shootings. Surtout, nous ne pouvions plus faire d’événement privé et d’événementiel. Malgré tout, nous pouvions tout de même reprendre une activité, rentrer un peu d’argent, même si c’était moins que d’habitude. Mais le deuxième confinement a signé notre fin.

 

Les cours de danse avaient du mal à remplir en septembre ?

C’était très compliqué. Les élèves avaient très envie de revenir, à un moment ça suffit les cours par Zoom, ce n’est pas la base de notre métier. Nous avons rendu le masque obligatoire pendant les cours en octobre, quand les salles de sport ont dû fermer mais que les studios de danse, en tant que lieu culturel, pouvaient rester ouverts. Si l’on voulait tenir le plus longtemps possible, il fallait mettre en place le maximum de gestes barrière. Et le masque pendant le cours de danse, c’est quelque chose de très compliqué à faire accepter, même si tous ceux et celles qui venaient le mettaient. Mais certains élèves ne pouvaient pas danser avec un masque, ils ont donc souhaité arrêter leur cours de danse tant qu’il était obligatoire. Et c’est normal, c’est très difficile de danser avec un masque. Je ne sais pas comment font les artistes du Ballet de l’Opéra de Paris font pour répéter La Bayadère avec.

Le foyer d’Éléphant Paname

Malgré les aides mises en place par l’État, vous êtes donc obligé de fermer vos portes pour de bon ?

On réunissait tout ce qu’il ne fallait pas : la restauration, les salles de sport et de danse, l’événementiel et le spectacle. Pour un lieu de culture, vivre comme nous sans subvention, pendant cette crise, ce n’est pas possible. Les aides actuelles ne suffisent pas pour des lieux privés comme le nôtre. Nous avons étudié toutes les possibilités, mais on ne pouvait pas se remettre un prêt sur le dos, surtout que l’on ne savait pas quand nous pourrions retrouver des jauges normales, sûrement pas avant longtemps.

 

Comment ont réagi les professeur.e.s de danse à cette annonce de fermeture ?

Quasiment tous ont pleuré ! On a eu des mails magnifiques. Les professeur.e.s de danse sont venus ces derniers jours pour nous dire au revoir et récupérer leurs affaires. Ils nous ont dit que nous avions fait un lieu pour la danse qui n’existait pas à Paris, où la danse et l’art étaient valorisés, où l’on pouvait s’exprimer, où les studios étaient beaux. Ce qui fait plaisir ! Les professeur.e.s étaient heureux de venir et de donner des cours chez nous. Il y a très peu de studios de danse dans Paris, des petites salles indépendantes ferment aussi sans bruit, cela pourrait devenir compliqué pour les professeur.e.s de trouver un lieu.

Pour un lieu de culture, vivre comme nous sans subvention, pendant cette crise, ce n’est pas possible. Les aides actuelles ne suffisent pas pour des lieux privés comme le nôtre.

Que va devenir Éléphant Paname ?

Le lieu va être revendu et je ne sais pas du tout ce qu’il va devenir. Cela m’étonnerait qu’il reste un lieu d’art.

 

Quels souvenirs gardez-vous de ces huit ans d’aventure Éléphant Paname ?

Personnellement, ce fut l’exposition sur Noëlla Pontois, l’une de mes grandes professeures de danse. La rencontre aussi avec beaucoup de monde, beaucoup d’artistes, comme Elliott Erwitt qui est venu pour le vernissage de son exposition. C’est extraordinaire de rencontrer des gens comme ça. Et puis la rencontre avec tous ceux et celles avec qui nous avons travaillé. Ce n’était que des gens bienveillants, qui avaient envie de donner le meilleur d’eux même, parce qu’ils aimaient le lieu Éléphant Paname, qu’ils aimaient l’ambiance que l’on y avait créée. C’est aussi à Éléphant Paname que j’ai dansé pour la dernière fois, ce qui n’est pas rien. On a fait pas mal de choses ! On aurait encore eu beaucoup de choses à faire…

Le studio de danse Juliette d’Éléphant Paname

Créer Éléphant Paname marquait votre reconversion après votre carrière de danseuse. Qu’avez-vous appris pendant ces huit ans ?

À diriger une équipe. La rigueur et tout ce que j’ai appris à l’Opéra m’ont aussi énormément servi pour monter des projets professionnels, pour aller toujours sur des choses pointues, ma formation n’y est pas pour rien. J’ai aussi appris qu’il fallait profiter et se faire plaisir, parce que nous offrons des moments éphémères. Je le vois dans de nombreux messages du public, des gens qui ne prenaient pas forcément des cours de danse chez nous, mais qui sont venus à Éléphant Paname pour une répétition, une exposition, un café… Ils se souviennent qu’on leur a offert un moment de bonheur et c’est ce que je retiens aujourd’hui.

 

Quel est votre état d’esprit, alors qu’une page se tourne pour vous ?

Je suis dans l’action, je n’ai pas trop le choix. Si je m’arrête, je vais réaliser ce qui se passe vraiment. Il a aussi fallu parler à beaucoup de gens. On a essayé de faire les choses le mieux possible. On a appelé tous nos professeur.e.s de danse et nos partenaires pour leur annoncer la nouvelle de la fermeture avant d’envoyer la newsletter au public. On a eu beaucoup d’émotion dans les réactions. Et pour moi, c’est une grosse page qui se tourne, même si j’espère que c’est pour en ouvrir une nouvelle. Je n’ai pas encore de nouveaux projets en tête, c’est trop tôt et on a essayé de se battre jusqu’au bout, on ne pensait donc pas à autre chose. Je pense qu’avec mon frère Laurent, on aimerait bien, dans l’idéal, remonter un autre centre. Mais c’est très compliqué aujourd’hui à Paris de trouver des locaux et faire fonctionner un centre d’art. Aujourd’hui, le monde de la culture est la dernière roue du carrosse. C’est dommage parce que les gens en ont besoin. On a besoin de prendre des cours de danse, d’aller voir des spectacles, de s’aérer la tête. La culture, ça fait partie de nous.

 



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