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Rencontre avec Dominique Hervieu, après ses dix ans à la tête de la Maison de la Danse et de la Biennale de la Danse

Après dix ans à la tête de la Maison de la Danse et de la Biennale de la Danse de Lyon, Dominique Hervieu est partie vers les Jeux Olympiques. Quittant ses fonctions dans ces deux institutions lyonnaises fin février, elle est devenue début mars la directrice de la Culture du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. L’occasion pour DALP de revenir avec elle sur son fructueux mandat à Lyon, ses projets mis en chantier, les artistes soutenus, aussi les moments plus compliqués comme la Biennale 2016 en pleine crise terroriste et bien sûr la pandémie de Covid. Rencontre avec une directrice sans cesse en mouvements, les convictions chevillées au corps.

Dominique Hervieu, ancienne directrice de la Maison de la Danse et de la Biennale de la Danse

Vous avez pris la tête de la Maison de la Danse et de la Biennale de la Danse de Lyon en 2011. Qu’est-ce qui a motivé votre départ au bout de plus de dix ans ?

Cette opportunité de prendre la direction de la Culture des JO 2024. Je suis restée dix ans au Théâtre de Chaillot, puis presque dix ans à la Maison de la Danse. Une décennie de travail, c’est un peu mon temps. Je fais partie de ces gens qui pensent que rester trop longtemps à un même poste, ce n’est pas l’idéal. Il faut relancer sans arrêt les impulsions. Et j’ai la chance aussi d’avoir des projets en expansion, de nouveaux challenges où je prends des risques. C’est ça qui me motive.

 

Votre projet des Ateliers de la Danse au Musée Guimet a été annulé en cours de route par la nouvelle mairie. Cette décision a-t-elle joué dans votre envie de partir ?

Le déclencheur, c’est ce rêve olympique ! Je ne pars pas frustrée. Mais oui, mon objectif, quand je suis arrivée à Lyon, c’était de monter ces Ateliers de la Danse. C’était ce que je m’étais fixé et j’ai la tête dure. J’étais certaine que c’est ce qui manquait à Lyon. J’ai fait de la Maison de la danse un lieu de production, avec notamment le pôle européen de création. Mais ce projet ne peut s’épanouir qu’avec un lieu de création. Et on ne peut pas être l’une des capitales de la danse sans lieu de création. Les nouveaux ateliers (ndlr : prévus finalement dans le 8e arrondissement) devraient être inaugurés fin 2025. Je suis confiante sur le fait que ça aille vraiment jusqu’au bout, et tant pis si ce n’est pas moi aux manettes, je n’ai pas d’état d’âme. J’aurais fait le plus dur ! L’objectif n’est pas d’être là ou pas mais que ça se fasse.

 

Vous partez après deux saisons gâchées par le Covid. Il n’y a pas de frustration ?

C’est la vie ! Nous avons eu une pandémie mondiale ! Il faut que chacun-e trouve ses propres forces pour que la vie rejaillisse. Pour moi, cela s’est passé dans la mobilité et dans l’invention d’un nouveau projet. Et sur le coup, j’ai fait comme tout le monde : j’ai serré les dents, j’ai essayé de trouver des solutions, de motiver l’ensemble des équipes pour ne pas baisser les bras et faire tout ce qu’on pouvait faire. Et ça a été le cas avec la Biennale de la Danse 2021, nous avons été le premier festival à avoir eu lieu après la réouverture des théâtres au printemps dernier. Ce qui est important, c’est d’être au rendez-vous à chaque fois, au meilleur de ce que l’on peut apporter. Tout le reste, on ne peut pas le maîtriser. Et d’une certaine façon, nous avons résisté. La Maison de la Danse est en forme, la Biennale 2021 a eu lieu et ça a été une belle édition. Je n’ai pas l’impression de laisser des institutions affaiblies, bien au contraire. J’ai fait le job.

Il n’y a pas de comité de bon goût à la Maison de la Danse

 

 

Comment se porte financièrement l’institution après deux saisons entre parenthèses ?

La Maison est bien tenue, aussi grâce aux équipes administratives. Nous avons eu des aides de la ville de Lyon, que je remercie, de l’État, à la hauteur des difficultés. Il a fallu aussi faire preuve d’habileté dans la programmation : des reports de production, des discussions avec les compagnies, du cas par cas pour resserrer encore plus le lien entre l’institution et les artistes. Face à une crise, il ne faut pas être dans un état d’esprit dogmatique ou idéologique. Il faut être dans une démarche la plus humaine possible, qui tienne compte de chaque situation, pour donner le plus de perspectives à des gens qui sont affaiblis.

 

À la Maison de la Danse, il y a deux choses qui marquent en tant que public : la très grande diversité de la programmation, du classique au hip hop, et un public varié qui répond présent pour chaque proposition. Comment fait-on ?

Il faut d’abord mettre du sens et de la considération pour tous les styles de danse. À la Maison de la Danse, il n’y a pas de petite moue ou un sourcil qui se lève quand nous parlons de danse classique ou de hip hop. Pour moi, un spectateur qui me dit : “Je ne viens voir que Don Quichotte et Benjamin Millepied“, cela ne me choque pas, il n’y a pas de comité de bon goût. Ce qui est important est cette dimension de tolérance esthétique et d’expliquer tout l’arc-en-ciel qui existe entre Don Quichotte et une performeuse comme Nach. Pragmatiquement, nous mettons en place des outils pour que le public ressente cet amour de toutes les danses, en présentation de saison par exemple, ou dans la Minute du spectateur. Nous aimons partager et communiquer cet amour de cette diversité des approches artistiques et chorégraphiques. Et le public sent que dans leur Maison de la danse, les portes sont ouvertes.

Il y a aussi la dimension de la qualité des spectacles proposés, avec des projets intéressants, aboutis, qui ont une forte identité artistique. Pour qu’ainsi le public n’ait pas le regret d’avoir vu un spectacle, même si ça ne lui a pas plu. Il y a cet esprit de curiosité, d’esprit de tolérance et de comprendre la complexité de l’apport de chacun des artistes. Après les liens se font sans nous, le public de danse classique se retrouve ainsi souvent dans le hip hop.

 

Le public vous a parfois surpris ?

Il y a eu des moments où je me suis dit que ça allait avoir du mal à passer… et c’est très bien passé. Je pense par exemple au chorégraphe krum Eddy Mallem et son Éloge du puissant royaume. C’était un peu âpre pour une grande salle comme la nôtre, mais il y a eu une écoute qui m’a bouleversée. Ou encore Betroffenheit de Crystal Pite, une pièce avec beaucoup de paroles, pas facile à aborder. Et l’accueil a été incroyable, les gens ont compris. La qualité d’une pièce, la surprise qu’elle peut engendrer, passe ainsi après son aspect parfois hermétique ou énigmatique du premier abord.

Betroffenheit de Crystal Pite

De quoi êtes-vous la plus fière après ces dix ans de direction ?

Je crois que j’ai tendu l’arc entre le populaire et la création contemporaine. Je travaille avec beaucoup de sincérité et de plaisir cette dimension populaire, fédératrice et généreuse. Une salle ravie, c’est une très grande émotion pour une directrice. J’ai poussé loin cette perspective avec un projet comme Babel 8.3. Avec dix autres chorégraphes de la région, nous avons réussi à montrer la force de la danse comme dimension participative liée à la création. Nous avons rendu visible et sensible la force sociale de la danse, avec cette possibilité pour des gens âgés, des enfants ou des personnes éloignés de la culture de se rapprocher en étant sur scène autour de questions artistiques. Cela a pris beaucoup de temps, d’argent et d‘implication. Mais une institution peut être froide, il faut lui donner une identité, des totems pour dire où on en est. Et nous, notre totem, c’est Babel 8.3, avec cette capacité de faire un projet ensemble, le partager et le faire vivre avec le public. Ce sont des moments d’accélération incroyables.

Une autre fierté est le pôle européen de création. On a vraiment transformé cette maison de diffusion en maison de diffusion et de création. Avec ce pôle européen de création, nous avons créé un réseau de co-producteurs européens très important qui a permis d’accompagner des projets exceptionnels.

 

À quels artistes pensez-vous en particulier ?

Je pense à Dimitris Papaioannou, qui a toujours été parmi les grands artistes que je voulais avoir près de nous. Je pense à Alessandro Sciarroni, Nach ou Flora Détraz, à Jann Gallois aussi. Avec cette idée d’y croire et d’être auprès de ces jeunes artistes dès le début, de les accompagner et d’y mettre les moyens pour qu’ils et elles s’épanouissent dans leur travail de création. Autre exemple, Qudus Onikeku, que j’accompagne depuis 2012 et qui a aujourd’hui une surface très importante en France, la compagnie Dyptik près de nous à chaque moment important et qui sera encore là pour la Biennale 2023. J’aime ces accompagnements de long terme. Ce que j’essaye de faire, et c’est difficile, c’est de créer un parcours de confiance à bonne distance, fait d’allers et de retours et d’écoute. Il s’agit de savoir quand se croiser et quand y aller, accompagner un artiste n’est pas lui donner une carte de fidélité chez nous.

Une salle ravie, c’est une très grande émotion pour une directrice.

 

 


Et y a-t-il eu des regrets pendant ces dix ans, des compagnies que vous n’avez finalement pas pu inviter ?

La Maison de la Danse repose sur un modèle exigeant car peu subventionné. Nous faisons donc très attention. Et parfois, des choses n’ont pas pu se faire pour des raisons économiques. J’aurais ainsi voulu faire venir Enfant de Boris Charmatz, mais c’était hors sujet par rapport au moyen de l’institution. Nous allons néanmoins nous rattraper avec ce chorégraphe en 2023, à la Biennale.

 

L’un de vos temps forts de directrice reste la Biennale de la Danse 2016, et surtout son Défilé. C’est un événement festif de grande ampleur dans les rues de Lyon. En pleine crise terroriste, vous aviez absolument tenu à le maintenir et il avait eu lieu finalement dans un stade, avec des conditions météo peu favorables, mais dans une ambiance incroyable. Quels souvenirs en gardez-vous ?

J’en ai la chair de poule en en parlant ! Ce qui m’intéresse dans la vie, ce sont les actes. Donc les choses que l’on fait, concrètement. C’est aussi simple et brutal que ça. Nous avions travaillé pendant un an pour ce Défilé, pour que les gens s’expriment. Et il aurait fallu le supprimer ? Et qu’aurions-nous fait à l’édition suivante en 2018 ? Le Défilé, c’est notre emblème, notre outil pour rester en contact avec la population. Il représente ce qui est mis en cause par le terrorisme : cette acceptation de toutes les religions, la diversité, une forte dimension festive… C’est pour ça qu’il était si important de le maintenir, c’était une façon pour nous de résister. J’ai eu la chance d’avoir le soutien du maire de l’époque Gérard Collomb et du préfet Stéphane Bouillon. J’ai dit aux équipes : “Vous serez dix minutes dans un stade au lieu de 1h30 dans les rues de Lyon“… Et il y a eu un grand moment de solidarité, nous nous sommes serré les coudes. Nous étions tous d’accord sur pourquoi nous le faisions, nous étions sur la même longueur d’onde. À partir de là, d’une certaine façon, c’est facile.

Le Défilé de la Biennale de la Danse en 2016

Vous resterez la directrice artistique de la saison 2022-2023 de la Maison de la Danse, vous avez en grande partie mis en place la prochaine Biennale de la Danse en 2023. Quelles seront leurs tonalités artistiques ?

On revient à des compagnies plus internationales, même si nous en avons tout de même eu cette année, en serrant parfois les dents. Je n’ai pas voulu faire “La dernière saison de Dominique Hervieu”, en réinvitant les spectacles qui ont marqué mes dix ans de direction. Cette prochaine saison sera dans des équilibres que l’on connaît, avec des créations, des thématiques, aussi des surprises et des choses que l’on n’a pas encore vues à la Maison de la Danse.

 

Vous occupez depuis le 1er mars (ndlr : l’interview s’est fait courant février) la direction de la Culture du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024. Cela consiste en quoi ?

C’est l’olympiade culturelle. L’idée est d’augmenter l’émotion sportive par l’émotion artistique. Et de proposer, d’intégrer et de faire cohabiter sport et culture le plus possible. Le grand temps fort commence à l’arrivée de la flamme olympique en France, en avril 2024, et dure jusqu’à la fin des Jeux paralympiques en septembre 2024. Avec bien sûr la quinzaine à Paris en été, avec 12 millions de personnes attendues. L’idée est, qu’en plus de l’expérience des stades, iels aient une offre culturelle teintée par un état d’esprit français. Nous voulons leur montrer l’excellence de la culture française et son ADN, une culture dans un rapport au sport et aux valeurs de l’olympisme. Les arts et le sport ont beaucoup de valeurs communes, comme l’inclusion ou l’excellence. Cela se passera à Paris, en Seine-Saint-Denis et sur les territoires, dans les douze villes qui vont accueillir des épreuves, dont Lyon.

 

Qu’aimeriez-vous imaginer ?

Il y aura une dimension participative vraiment mise en avant, mais aussi des collaborations très motivantes avec les grands opérateurs de l’Etat, les grandes compagnies, la ville de Paris et les autres villes hôtes. L’idée est d’accompagner par la culture ce grand mouvement sportif et d’agréger le public du sport et celui de la culture autour des grandes valeurs humaines. Bien sûr la danse sera présente. Quand on parle de lien entre la danse et le sport, au milieu, il y a le corps !

 



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