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Jean-Christophe Maillot : “Le Ballet du Capitole s’est impliqué avec passion dans mon Roméo et Juliette”

Le Ballet du Capitole démarre sa saison avec une belle entrée au répertoire : Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot, du 28 octobre au 3 novembre au Théâtre du Capitole. Une première collaboration qui fait sens entre le chorégraphe et la compagnie, tant la troupe toulousaine a les qualités techniques et artistiques pour s’emparer de ses pièces exigeantes. Mais c’est aussi une première française : aucune compagnie hexagonale n’avait encore eu une œuvre de Jean-Christophe Maillot à son répertoire. Comment Jean-Christophe Maillot transmet-il ce ballet iconique au Ballet du Capitole ? Quelles sont les forces de la compagnie pour s’en emparer ? Le chorégraphe et directeur des Ballets de Monte-Carlo nous parle de la construction, pas à pas, de cette transmission exigeante et riche d’émotions.

Jean-Christophe Maillot

Votre travail est profondément attaché à vos interprètes des Ballets de Monte-Carlo. Comment transmettez-vous vos pièces à une autre compagnie, qui ne vous connait pas ? N’y a-t-il pas une frustration dans ce travail, par rapport à ce que vous pouvez obtenir avec votre propre troupe ?

Quand on crée une pièce, on a une vision idyllique de ce que l’on cherche à faire et à révéler. Bien entendu, l’attachement est obligatoirement très fort avec ceux et celles avec qui j’ai créé ces pièces. Il y a en permanence une recherche éternelle de ces premiers instants vécus avec les distributions originales, que l’on a toujours du mal à retrouver, ou que l’on soit. Il faut alors oublier son propre regard, sa propre attente et considérer que le ballet que vous avez fait va prendre une autre fonction. Il n’est plus là pour vous satisfaire, il est là aussi pour générer chez d’autres danseurs et danseuses une relation particulière à cette histoire, cette musique, cette chorégraphie, et les enrichir.

Le Ballet du Capitole est la quatorzième compagnie dans le monde qui reprend ce Roméo et Juliette. Cela peut me faire dire que l’œuvre que j’ai créée il y a 25 ans doit avoir quelque chose d’universel pour traverser le temps comme cela. Je ne suis pas vraiment préoccupé par la postérité (sourire) mais il y a quelque chose de très rassurant à ça. Et c’est formidable de penser que tant de danseurs et danseuses, d’origines différentes, ont pu croiser ce travail. Le chorégraphe est condamné d’une façon absolument magnifique à n’exister qu’à travers ses interprètes. Aujourd’hui, il y a ainsi une quarantaine de Juliette et de Roméo dans le monde, qui ont travaillé sur cette manière de fonctionner, de comprendre la musique. C’est considérablement enrichissant.

 

Qu’est-ce qui vous a plu au Ballet du Capitole pour accepter de lui transmettre votre Roméo et Juliette ?

Kader Belarbi m’a contacté au moment du Covid, il y a trois ans. Je pars du principe que, s’il me le propose, l’œuvre a de l’intérêt et qu’elle est intéressante pour sa compagnie. Je suis venu voir la troupe, et de ce que j’ai pu observer, il y a à la fois chez elle une capacité technique et une possibilité au niveau des personnalités de répondre à la demande spécifique de Roméo et Juliette. La course à la création est permanente, alors que je suis beaucoup plus intéressé par transmettre une œuvre qui existe déjà, c’est une très belle manière de rencontrer les gens, parce que l’on a un discours commun. Je suis incapable de créer pour une compagnie quand je ne connais pas bien les artistes.

Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot – Ballet du Capitole en répétition – Minoru Kaneko et Natalia de Froberville

C’est la première fois qu’une compagnie française fait entrer une de vos œuvres à son répertoire. Cela compte ?

Je ne vais pas le nier, j’ai un rapport très particulier avec la France, dû à mon histoire et à de multiples circonstances, qui a quelque chose de triste. Il peut y avoir une sorte d’amertume, même si cela ne m’empêche pas de travailler. Il peut y avoir une pointe de plaisir à cette entrée au répertoire, même si aujourd’hui, force est de constater que je ne vois que trois compagnies françaises capables de danser mon travail, les autres troupes en mesure de le faire ont disparu désormais.

 

Comment s’est fait ce travail de transmission au Ballet du Capitole ?

Il ne faut pas partir du principe que l’objectif est de s’auto-satisfaire avec le résultat, mais d’essayer d’aller au plus proche de ce que les interprètes peuvent accomplir dans un temps donné. Asier Uriagereka et Bernice Coppieters sont venues apprendre le ballet à la compagnie. Bernice a cette capacité exceptionnelle d’une transmission, d’une exigence et d’une précision, d’emmener ces solistes ailleurs. Ils ont eu quatre semaines, ce qui est très court, mais ils se sont immergés dans une manière de voir les choses, une dynamique et une approche chorégraphique. Ces interprètes sont totalement impliqués, ils sont rentrés avec passion dans ce projet et ils sont allés au bout d’eux-même. Je pense qu’il y a un grand plaisir chez eux à faire ce travail. Et c’est ça l’essentiel : leur transmettre cette envie et cette énergie. Si je suis sincère, il y a bien sûr des frustrations : il y a des rôles qui ne sont pas tout à fait accomplis, un rapport à la musicalité pas encore tout à fait juste. Mais je pense que, dans l’absolu, ça n’a pas d’importance, et ce n’est pas possible d’atteindre ce que j’attends dans ma compagnie.

 

Et vous, que leur apportez-vous sur les derniers jours de répétition ?

Mon regard ne se porte plus sur mon attention personnelle mais sur ce que ces danseurs et danseuses me révèlent. Et j’ai été très ému par l’engagement de toute cette compagnie. Il y a une très belle écoute, un engagement fort de leur part, j’ai été très touché par les répétitions. Il y a pu avoir un peu de tension de leur part lors du premier filage, vis-à-vis de ma présence dans le studio. Mais je leur ai dit que j’avais la même peur qu’eux et que j’étais époustouflé parce qu’ils avaient accompli en si peu de temps. Cette relation de confiance est importante : je valide ce travail, le mien, qu’ils transmettent. Et je leur apporte mon regard bienveillant, des petits détails et des images qui leur permettent de mieux comprendre. Parfois ce sont des choses que les maîtres de ballet leur ont déjà dit, mais il suffit que j’emploie une autre expression pour que cela fonctionne. C’est le propre de l’être humain que d’accumuler des informations, et par un déclic, un mot différent, tout à coup les choses s’éclairent et se digèrent.

Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot – Ballet du Capitole en répétition

Quelles sont les grandes spécificités de votre Roméo et Juliette ?

Ce ballet est une sorte de bible de mon travail. J’ai éliminé les anecdotes scénographiques accessoires. Puis il y a ce rapport non plus frontal au public mais à la diagonale, qui fait que tout se passe entre les personnages mais rien avec le public, qui a vraiment cette fonction de voyeur. C’est aussi une façon de trouver cet équilibre extrêmement subtil, où une grande technicité disparaît au profit d’un comportement naturel sur scène. Ainsi, quand les deux protagonistes ont fini un pas de deux, l’on ne retient pas réellement quelque chose de chorégraphique, mais essentiellement un sentiment. Enfin c’est un rapport à la musique et à cette esthétique particulière, avec les costumes de Jérôme Kaplan ou la scénographie de Ernest Pignon-Ernest, qui fait que l’on est hors temps et dans quelque chose de l’ordre de l’universel.

 

Comment se sont faites les distributions ? Il n’y a pas forcément que des Étoiles au casting.

J’ai pris en considération les attentes de Kader Belarbi, on ne peut pas brouiller toute la hiérarchie. Mais j’ai fait les choix et il a été à l’écoute. Il y a des choses sur lesquelles je ne pouvais pas céder. Ce ballet demande la nécessité absolue d’un équilibre au niveau des personnalités sur la distribution, il faut trouver une cohérence. J’ai hésité un peu, j’avais un peu de difficulté à trouver qui pour tel rôle, mais les choses se sont mises en place très naturellement. Il n’y a qu’une distribution mais elle est très cohérente. Minoru Kaneko (ndlr : demi-soliste) est Roméo, il y est extrêmement touchant. Natalia de Froberville est Juliette, elle y a fait un travail impressionnant et l’équilibre est très juste. Nancy Osbaldeston, que j’avais connue comme Marguerite au Ballet de Flandre quand j’y ai remonté Faust, fait une nourrice exceptionnelle. Mercutio est dansé par l’Étoile Ramiro Ramiro Gómez, Benvolio par Philippe Solano, Alexandre Ferreira danse Tybalt et Alexandra Surodeeva est Lady Capulet.

Je suis très heureux de l’équipe et j’ai été très touché par les danseurs et danseuses de la troupe. Il y a un engagement, une humilité dans le rapport au travail chez eux et elles qui sont remarquables. Ces artistes possèdent une solidité technique qui n’est pas discutable, qui est appréciable et qui devient rare. Je peux voir que Kader Belarbi engage des danseurs, mais aussi des individus. Le Théâtre du Capitole est devenu récemment un Opéra National, et sa compagnie de ballet est vraiment à la hauteur de ce label.

Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot – Ballet du Capitole en répétition – Natalia de Froberville

 

Roméo et Juliette de Jean-Christophe Maillot par le Ballet du Capitole, du 28 octobre au 3 novembre au Théâtre du Capitole.

 



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