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Iana Salenko : “L’expérience vous apporte de plus en plus de bonheur à être sur scène”

Elle est l’une des stars du Ballet de Berlin, remplissant la salle sur son seul nom. À 39 ans, Iana Salenko fait partie des plus grandes danseuses classiques de sa génération. La ballerine ukrainienne, Principal de la compagnie berlinoise, a dansé tous les rôles du répertoire et chacun d’entre eux dans de multiples versions. Installée en Allemagne depuis sa rencontre avec le danseur Marian Walter, son compagnon dans la vie et parfois son partenaire sur scène, elle poursuit une carrière passionnante. Très présente sur les réseaux sociaux, elle montre aussi au public qu’il est tout à fait compatible d’être une danseuse de très haut niveau et la mère de trois garçons. Au lendemain de la première d’Onéguine de John Cranko, DALP a pu rencontrer Iana Salenko. Elle revient sur les grands moments de sa carrière, son arrivée compliquée à Berlin avant d’évoquer les chorégraphes avec lesquels elle a collaboré, notamment Alexei Ratmansky et Marcia Haydée, ou sa vie de danseuse et mère de trois enfants. 

Iana Salenko et Marian Walter – Le Lac des Cygnes

C’est une question que nous aimons bien poser lorsque nous rencontrons des danseuses ou des danseurs. Comment la danse est-elle rentrée dans votre vie ? 

Je crois que tout vient de mon père parce qu’il adorait la danse et la musique. Et ma grand-mère était une musicienne. J’entendais donc beaucoup de musique quand j’étais enfant et c’est comme ça que la danse est venue. Mais j’ai vu mon premier ballet sur scène assez tard  car ma mère n’était pas une grande fan de la danse.J’étais plutôt dans le sport, la gymnastique, le patinage. Je devais avoir 12 ou 13  ans quand j’ai vu pour la première fois un ballet au théâtre.

 

Et quand avez-vous réalisé que vous vouliez faire de la danse votre métier ?

Ce fut immédiat. J’avais 12 ans, j’ai commencé la danse mais je ne savais pas vraiment ce qu’était le ballet. Mon professeur a repéré mes aptitudes et m’a demandé si cela m’intéressait. J’ai dit oui tout de suite. J’ai senti au fond de moi-même que c’était ce que je voulais faire : danser.

 

Vous avez débuté votre carrière en Ukraine où vous êtes née avant de venir en Allemagne. Comment s’est opéré le choix de Berlin ?

C’était une époque difficile. Je travaillais déjà au Ballet National d’Ukraine à Kiev mais je voulais aller voir d’autres villes, d’autres compagnies et différents styles de danse. Je suis allé à un concours et j’y ai rencontré mon futur mari, Marian Walter, qui travaillait déjà au Ballet de Berlin. Cela semblait idéal. La compagnie était alors dirigée par Vladimir Malakhov, j’aimais son travail et le danseur qu’il était. Mais il n’a pas voulu me prendre dans la compagnie. Je suis petite, très fine et mon physique ne correspondait pas à sa vision de la danse. Nous nous sommes mariés avec Marian et ils ont eu besoin dans la compagnie d’une danseuse plus petite. J’ai donc finalement été engagé en 2005, mais ce fut dur. J’avais l’habitude de danser les rôles principaux en Ukraine, j’avais le plus haut grade dans la compagnie et à Berlin, j’ai été prise comme demi-soliste. C’était un peu comme revenir en arrière.

 

Avez-vous ressenti une forme de discrimination ?   

Non, je ne parlerais pas de discrimination mais c’était dur. Il y avait la barrière de la langue car je ne parlais pas l’allemand à ce moment-là. C’était aussi une autre culture et je me sentais très seule. J’arrivais à Berlin et c’était comme si je repartais à zéro dans ma carrière. C’était vraiment des temps difficiles pour moi, il me fallait apprendre d’autres règles mais j’étais très déterminée, je voulais cette nouvelle vie.

Iana Salenko – La Belle au Bois dormant

Votre carrière s’est ensuite accélérée et vous avez été sollicitée par le Royal Ballet en 2013 comme artiste invitée. Quels souvenirs avez-vous de cette période ?

C’était incroyable. Le Royal Ballet est une compagnie dans laquelle je rêvais de travailler. J’y ai dansé des rôles fantastiques et ils m’ont finalement proposé un contrat permanent. Mais j’avais déjà une famille ici à Berlin. Marian n’aurait pas pu venir à Londres. Ce furent des années merveilleuses. J’ai dansé avec le Royal Ballet durant cinq ans, j’y ai rencontré de nouveaux chorégraphes, d’autres styles et je suis toujours reconnaissant au Royal Ballet de m’avoir permis de vivre ces années-là dans ma carrière.

 

Quels sont les rôles qui ont le plus compté pour vous dans votre carrière ?

J’aurais du mal à les citer. J’ai aimé tous les rôles que j’ai interprétés. Mais ce qui change avec les années, c’est le plaisir que l’on prend à les faire. Au début de ma carrière, je me disais oui, c’est difficile mais je vais montrer ce que je sais faire. L’expérience vous apporte de plus en plus de bonheur à être sur scène. J’ai évidemment de merveilleux souvenirs avec les oeuvres de  Kenneth MacMillan à Londres et j’ai eu la chance de travailler avec Peter Wright qui était à mes côtés pour Casse-Noisette.

 

Vous venez de reprendre le rôle de Tatiana dans Onéguine. Que représente-t-il pour vous ?

C’est un challenge car chaque acte est différent. Ce sont des émotions différentes à mesure que le récit avance et que le personnage grandit. Il faut montrer cette évolution depuis la jeune fille à la femme qui a affronté de nombreuses expériences et c’est toujours difficile de montrer cela au public C’est à la fois beaucoup de plaisir et d’émotions.

J’ai aimé tous les rôles que j’ai interprétés. Ce qui change avec les années, c’est le plaisir que l’on prend à les faire.

Vous avez dansé avec votre mari Marian Walter qui interprétait le rôle-titre Onéguine. On imagine que c’est particulier d’être sur scène avec son compagnon ? 

C’est très spécial car nous ne dansons pas si souvent Onéguine. Nous savons aussi que nous sommes à la fin de nos carrières et pour moi, c’était comme si je dansais Tatiana pour la dernière fois. En tout cas, c’est ainsi que je l’ai ressenti et je suis heureuse car nous avons vécu ce moment ensemble, en faisant tout pour être au plus haut niveau. Je veux évidemment danser autant que je le peux et tant que je le pourrais. Le jour où je sentirais que je ne peux plus ou que c’est trop difficile, j’arrêterai. Mais je donnerai le maximum jusqu’à la fin car c’est ma vie. Et je suis ouvert à de nouveaux challenges, de nouvelles créations.

 

Vous avez dansé dans La Belle au Bois dormant de Marcia Haydée qui a été différée à plusieurs reprises en raison du Covid. Comment avez-vous travaillé avec cette danseuse légendaire ?

C’est une personne incroyable. Je la regardais dans le studio et j’écoutais ses corrections. Et ce qu’elle me disait ne concernait pas uniquement le rôle d’Aurore mais résonnait pour tous les rôles. Marcia Haydée a toujours une énergie positive, elle est extrêmement bienveillante dans le travail. Jamais elle ne dira qu’il faut faire ceci ou cela. Elle prend en compte la personnalité de chacune et chacun  pour trouver ce qui conviendra le mieux dans l’interprétation. Elle laisse les danseuses et les danseurs explorer leur voie, elle est toujours flexible. Ce sur quoi elle insiste ,c’est l’interprétation, la manière dont vous jouez le rôle plus que le simple aspect technique. C’est la vision de l’artiste qui l’intéresse avant tout.

 

Dans le florilège des chorégraphes avec lesquels vous avez travaillé, il y a aussi Alexeï Ratmansky qui a remonté ici La Bayadère d’après les notations Stepanov pour retrouver la version d’origine ou en tout cas s’en approcher. Comment était le travail avec lui ?   

En fait, nous nous connaissons bien. Il est ukrainien comme moi. Je l’ai même vu danser en Ukraine et déjà, il avait une énergie sur scène incroyable. Comme une boule de feu. Il dansait Tarentella de George Balanchine. C’est mon premier souvenir d’Alexeï Ratmansky. Travailler ici à Berlin avec lui, c’était comme un jeu. Il crée des pas impossibles à danser. Mais il s’amuse. Il dit : “On essaye, on va voir“. Le studio est comme un terrain de jeu avec lui. Pour moi, c’est un chorégraphe exceptionnel et un ami.

Iana Salenko – Joyaux de George Balanchine

Vous êtes très active sur les réseaux sociaux où vous partagez beaucoup de vos expériences. Vous souhaitez ainsi  être en contact  plus directement avec le public ?

Tout à fait. J’aurais rêvé que mes artistes favoris tels que  Sylvie Guillem ou Mikhaïl Barychnikov soient présents sur les réseaux sociaux s’ils avaient existé à leur époque pour partager leurs expériences et leurs fantastiques carrières. J’avais aussi en tête de montrer que nous, les danseuses et les danseurs, nous sommes des êtres humains comme les autres et non pas les héros que l’on voit sur scène. Nous avons une vie et une famille. C’est un peu mon message, essayer de donner une énergie positive, et puis de parler avec le public.

 

En parlant de la vie de famille, vous avez trois enfants, trois garçons. Vous n’êtes pas la seule danseuse dans ce cas mais il y en a malgré tout très peu. Il n’est pas évident de conjuguer une vie de famille avec les exigences d’une carrière à haut niveau. Vous avez partagé avec le public les photos et les vidéos de vos grossesses alors que vous continuiez de vous entraîner, de répéter. Vous vouliez montrer que tout est possible pour les femmes et que la grossesse ne doit pas être considérée comme un obstacle alors que c’est encore trop souvent le cas ?

Absolument. Tout est possible. Je suis convaincu que justement c’est là une forme d’harmonie. Vous pouvez avoir la vie que vous souhaitez et être une bonne danseuse. Je veux partager cela et montrer que c’est possible. Bien sûr que c’est difficile mais c’est la vie. Nous vivons pour cela et c’est aussi notre futur qui est en jeu car les enfants sont notre avenir. Et on apprend tellement de choses de nos enfants. Oui : je veux montrer ça au public.

 

Vous avez aussi très vite parlé de votre retour en studio. Vous n’avez rien caché des difficultés de reprendre cette routine physique après l’accouchement. Pensez-vous avoir été aidée par la direction de votre compagnie dans ce moment particulier ? 

Non, pas vraiment. À vrai dire, quand vous êtes de retour, tout le monde attend de vous que vous soyez la même qu’avant, aussi performante. Mais cela me motive à chaque fois. Je me dis Ok ! Il faut que je sois encore plus forte, que je retrouve mon niveau encore plus vite que la dernière fois et que je sois meilleure qu’avant. C’est un moment difficile, ce retour après la grossesse. J’ai la chance d’avoir Marian à mes côtés, il est toujours très présent . Il me dit : ” Va danser, je reste à la maison…“.

 

Est-ce que vos enfants sont tentés par le ballet ? 

L’ainé non (rires…). Il a 14 ans, il a grandi avec nous, on l’emmenait en studio souvent. Il a vite compris à quel point c’est difficile. Il a essayé un peu et il a vite renoncé. Le cadet a trois ans et demi et il est vraiment talentueux. Il est très flexible et il danse quand il écoute de la musique. Nous nous disons que peut-être, il sera tenté de s’y mettre. Et le dernier est un bébé, il se contente de jouer pour le moment !

Iana Salenko – Onéguine de John Cranko (rôle d’Olga)

Iana Salenko dansera avec le Staatsballett de Berlin La Belle au Bois dormant les 2 et 5 décembre 2002, Le Lac des Cygnes les 23 et 25 décembre 2022 et les 4, 13 et 20 janvier 2023 ,Don Quichotte à l’Opéra de Rome les 27, 29 et 30 décembre 2022. 

 



Commentaires (1)

  • Une merveilleuse danseuse, une femme magnifique!! j’adore tout ce qu’elle fait en tant qu’artiste et femme dans la vie. Et aussi je suis avec elle car elle est une femme compromisse avec la réalité du monde. Et ça, c’est fantastique!!!

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