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José Martinez : “La création classique amènera un nouveau souffle au répertoire”

Directeur de la Danse depuis décembre, José Martinez a pleinement endossé son nouveau costume pour présenter la saison 2023-2024 du Ballet de l’Opéra de Paris. Une saison qu’il n’a pas conçue en très grande majorité, mais qu’il défend, et qui donne ses axes de réflexion que l’on verra un peu plus pleinement à l’œuvre lors des prochaines programmations. Pour DALP, José Martinez explique sa vision du répertoire, ses envies de création ou sa façon de gérer la troupe, notamment dans cette prochaine saison de transition.

José Martinez, Directeur de la Danse de l’Opéra de Paris

Cette saison 2023-2024 a majoritairement été programmée par Aurélie Dupont (ndlr : José Martinez a rajouté Le Lac des cygnes à la place d’un programme mixte, et Don Quichotte à la place de Roméo et Juliette). Vous représente-t-elle cependant ?

Cette saison 2023-2024 représente l’équilibre que je souhaite. Et c’est presque une programmation que j’aurais pu mettre en place. La différence est que, dans mes prochaines saisons, j’ajouterai des entrées au répertoire d’autres versions des ballets classiques ou des créations à vocabulaire classique. Sinon, cette saison me paraît assez équilibrée.

 

Deux créations sont au programme en 2023-2024 : une pièce de Xie Xin et une de Marion Motin. Comment allez-vous les accompagner ? L’on a parfois eu l’impression que les dernières créations étaient un peu “en roue libre”…

J’ai appris cela avec Brigitte Lefèvre : certain-e-s chorégraphes ont besoin d’être accompagné-e-s dans leur création. Il faut que la direction soit présente pour diriger certaines choses, pour que cela aille dans le sens où l’on veut que ça aille, sans cependant contraindre le-la chorégraphe à faire ce que la direction veut. Il faut être là parce que c’est une grande maison. Je serai dans ce sens. Xie Xin et Marion Motin ont été programmées avant que j’arrive, avec des choix de musique et des designers de costumes, je prends donc le projet en cours de route. Mais je vais quand même les accompagner. Et je le fais dès maintenant, en rencontrant ces deux chorégraphes et en découvrant leur projet.

 

La saison prochaine sera très classique. Certains artistes, certaines Étoiles, peuvent parfois avoir un discours montrant qu’ils ne sont plus forcément attachés à ces grands ballets classiques, qu’ils peuvent juger “ringards” ou composés de “codes hyper vieux“. Quel est votre regard ? Comment amener tout le monde à se motiver pour danser les ballets classiques, qui composent l’essentiel de la saison prochaine ?

Je pense que ces artistes ont dansé les mêmes productions pendant très longtemps, ce sont toujours les mêmes qui reviennent Et qu’ils ont donc l’impression qu’il n’y a que ça comme ballet classique. Je souhaite par la suite faire entrer de nouvelles versions des ballets, faire de nouveaux ballets classiques. Des œuvres qu’ils sentiront, peut-être, comme étant plus proches de leur sensibilité. Et quand ils reviendront aux ballets qu’ils connaissent, peut-être que leur vision en sera différente. Tout cela va se mettre en place doucement et tranquillement.

Le Lac des Cygnes de Rudolf Noureev – Myriam Ould-Braham et Marc Moreau

La saison prochaine verra trois ballets de Rudolf Noureev. L’on a parfois l’impression également, en entendant leurs discours, que certains danseurs et danseuses ne comprennent plus forcément ce répertoire. Là encore, comment les danser avec la motivation de chacun et chacune ?

Les ballets de Rudolf Noureev sont un véritable héritage et ils continueront à être représentés. Aujourd’hui, les danseurs et danseuses ont l’habitude de vouloir s’approprier les rôles. Et certains d’entre eux d’une façon très personnelle, sans forcément tenir compte des volontés du-de la chorégraphe. Cela arrive pour des ballets classiques comme pour des pièces de Maurice Béjart ou de Roland Petit. Il faut alors faire un travail pour qu’ils comprennent qu’il faut marquer le rôle tout en restant fidèle à ce qu’avait imaginé le-la chorégraphe, le créateur du ballet. De ce côté-là, il y a un travail d’accompagnement et de coaching qui doit revenir, peut-être plus souvent, avec des interprètes qui ont pleinement dansé le rôle en question. Faire revenir des artistes de la génération Noureev pour transmettre ces rôles et ces ballets pourra combler ce sentiment.

 

Cette saison, il y a eu parfois des effectifs sous tension, avec notamment l’appel à de nombreux artistes surnuméraires pour assurer la série Balanchine, par exemple. Comment allez-vous faire la saison prochaine, qui compte plus de ballets à gros effectifs ?

Ce sera en fait moins compliqué la saison prochaine car il y a moins de programmes se chevauchant, et donc moins de choses à répéter en même temps. Les périodes de répétitions sont établies autrement et cela devrait donc a priori être plus facile pour les danseurs et danseuses du corps de ballet. Il y aura aussi une bonne alternance entre classique et contemporain. Cette saison, des artistes ont enchaîné Cri du cœur d’Alan Lucien Øyen et Kontakthof de Pina Bausch, avant de se retrouver en janvier sur des séries classiques très demandantes. Cela a peut-être généré un peu plus d’accidents que d’habitude. C’est aussi cet équilibre qui justifie des reprises rapides du Lac des cygnes ou de Giselle la saison prochaine. On pense souvent une saison uniquement sous l’angle de la programmation. Moi, j’essaye aussi de penser en termes de temps de répétition de chaque spectacle. C’est aussi important que de construire sa saison.

On pense souvent une saison uniquement sous l’angle de la programmation. Moi, j’essaye aussi de penser en termes de temps de répétition de chaque spectacle. C’est aussi important que de construire sa saison.

L’on pourra ainsi dans les prochaines années avoir un système de séries, un même ballet repris deux fois dans la saison, comme certaines compagnies européennes le font ?

Oui, c’est quelque chose que l’on pourra voir dans les prochaines saisons, de retrouver un même ballet à quelques mois d’écart. Je comprends que le public n’ait pas l’habitude et pourrait se questionner sur ces retours rapides. Mais pour les artistes, on ne peut pas faire une longue série de 30 spectacles. Par contre, programmer une série de 15 représentations en décembre, puis une nouvelle série de 15 en juillet, avec ce temps de récupération entre les deux, c’est possible. Cela optimise le temps de travail et permet à plus de monde de voir le spectacle.

 

Et concernant les solistes masculins ? Là encore, la programmation de la saison prochaine est très sollicitante. Même s’il y a eu des nominations d’Étoile, il y a toujours le sentiment qu’il manque des Étoiles hommes expérimentées, et que les prises de rôle se font toujours un peu dans l’urgence.

Guillaume Diop a été nommé Danseur Étoile pour justement pouvoir travailler de manière sereine. Il va pouvoir se concentrer sur les rôles d’Étoile, alors que jusque-là, il assurait le corps de ballet en même temps. C’est pour le protéger et qu’il puisse développer sa carrière dans le calme . ll va pouvoir découvrir tous ces rôles, quoiqu’il en a déjà dansés pas mal (sourire), en découvrir d’autres et travailler d’une façon tranquille. Marc Moreau est lui plus établi, il a une expérience qui lui permet d’aborder ces rôles plus sereinement. Et je suis en train d’observer tous les Premiers danseurs et les Sujets. Il faut être attentif et voir l’évolution de chacun. Mais je ne suis pas soucieux. Nous sommes dans un changement de génération, il faut un temps pour que cela s’équilibre. Mais je sens qu’il y a beaucoup d’envie de la part du corps de ballet et des demi-solistes de tenir des rôles. Thomas Docquir a ainsi fait une prise de rôle rapide dans Ballet impérial de George Balanchine. Ils n’ont pas peur de se lancer.

Études de Harald Landr – Guillaume Diop

Il y a dans la compagnie comme deux entités : un grand groupe essentiellement tourné vers le classique et un petit groupe de 15-20 artistes bien plus tourné vers le contemporain. Comment maintenir l’unité de la troupe de cette façon ?

Je ne trouve pas que cela pose un problème d’unité, dans le sens où il n’y a jamais un ballet demandant 154 interprètes en scène. Si chacun est distribué dans le registre qui lui va, l’on peut avoir 24 Willis magnifiques d’un côté et de superbes artistes dans une soirée contemporaine de l’autre. Je vois plutôt cela comme un avantage : chaque chorégraphe qui vient a le choix parmi des profils vraiment différents.

 

Et pour la saison prochaine, essentiellement tourné vers le classique, cela ne va pas poser problème ? Que va faire ce groupe d’interprètes ?

Ces danseurs et danseuses sont libres de faire ce qu’ils veulent. Et quand je parle avec eux individuellement, je m’aperçois qu’ils ont des profils très différents et que ce ne sont pas 15 artistes qui veulent la même chose. Je me suis ainsi entretenu avec Letizia Galloni qui est partie en congé sans solde chez Pina Bausch, et qui m’a dit que la chose qu’elle regrettait le plus était de ne pas être là la saison prochaine pour pouvoir redanser La Fille mal gardée… La ligne n’est pas si fixe que ça. Certains et certaines ne voudront faire que du contemporain. Il faudra voir avec eux, par rapport au déroulement des saisons à venir, comment les employer, comment ils se situent. Et tout le monde a le droit de faire sa propre carrière. Ce n’est pas la première fois que des artistes quittent l’Opéra de Paris : Raphaëlle Delaunay et Anne Rebeschini sont parties après avoir dansé Le Sacre du Printemps de Pina Bausch, Laura Bachman après la venue de Anne Teresa de Keersmaeker. Le fait qu’il y ait eu plus d’expériences contemporaines a peut-être fait que cela arrive plus souvent. En même temps, l’on a affaire à des élèves qui entrent à l’École pour une formation classique, puis qui grandissent et s’ouvrent sur le monde : cela amène des parcours différents, c’est normal.

Je tiens également, par la suite, à faire venir des chorégraphes contemporains, qui sont vraiment dans la technique contemporaine, pour travailler avec le chausson de pointe. C’est aussi une façon, pour ces danseuses et danseurs qui ne veulent faire que de la danse contemporaine, de les amener à faire d’autres types de créations : des pièces contemporaines sur pointes. C’est ce qui peut faire le lien entre ces deux groupes au sein du Ballet.

 

Quels seront de façon plus large vos axes de création pour les prochaines saisons ?

Ces dernières années, il y a eu à l’Opéra un répertoire traditionnel d’un côté et des créations au langage contemporain de l’autre. Je souhaite à ces deux grands volets en rajouter un troisième : la création classique. Et demander à des chorégraphes contemporains, qui travaillent avec le vocabulaire académique, de proposer de nouvelles œuvres qui vont raconter de nouveaux ballets classiques. Cela me paraît important de faire évoluer ce répertoire en faisant des créations, en amenant de nouveaux ballets, qui seront peut-être, avec cette même technique classique, plus proche de notre sensibilité d’aujourd’hui. Il s’agit de donner un nouveau souffle à ce répertoire. Je ne peux pas donner de nom parce que ce n’est pas encore fait et que je suis encore en train d’explorer tout ça. La saison 2024-2025 est en partie mise en place par Aurélie Dupont, j’équilibre tout ça, certains projets ne seront là que pour 2025-2026.

Giselle de Jean Coralli et Jules Perrot – Hugo Marchand et Dorothée Gilbert

Et en termes de répertoire, vers quoi allez-vous vous tourner ?

Nous allons continuer à danser le répertoire de Rudolf Noureev, comme reprendre les ballets classiques qui sont dans notre répertoire et qui ne sont pas de lui. Et quand je parle de créations classiques, j’y inclus aussi des productions et relectures de ballets classiques qui ne sont pas encore au répertoire de l’Opéra de Paris. J’aime bien regarder un peu partout et il y a beaucoup de productions que j’aime beaucoup : La Bayadère de Natalia Makarova, Le Corsaire et Sylvia de Manuel Legris, le travail de Benjamin Pech, le magnifique Lac des cygnes de Christopher Wheeldon… John Neumeier aussi a repris des ballets classiques, l’Opéra a dansé son Casse-Noisette il y a des années. Et pourquoi pas le faire revenir ?

 

Les créations contemporaines auront-elles toujours leur place dans votre programmation ?

Bien sûr. Ces dernières saisons, les chorégraphes israéliens étaient présents en nombre. Je les adore ! Aurélie Dupont avait des projets avec certains dans le futur, l’on va donc continuer à les voir. Mais il faudra aussi faire une pause et aller voir d’autres horizons. Je pense que, pour les créations contemporaines, il faut avoir une vision très large des choses.

Les artistes sont en train de voir qu’il y aura un suivi de leur plan de carrière et qu’ils sont considérés. C’est pour moi la raison principale pour laquelle cela se passe bien.

Vous êtes arrivé en décembre et l’on a l’impression que la lune de miel entre vous et la troupe continue. Comment le ressentez-vous ?

Oui, c’est une lune de miel qui dure déjà depuis quatre mois, ce qui est plutôt sympathique (sourire). J’espère que cela va continuer. Je sais aussi que je vais devoir prendre de plus en plus de décisions, parfois difficiles. Et que l’on est pas directeur pour plaire à tout le monde, on est là pour diriger une maison. Il y avait peut-être avant un manque de dialogue. Le fait que je sois là très souvent est apprécié, cela crée de la confiance. Les artistes sont en train de voir qu’il y aura un suivi de leur plan de carrière et qu’ils sont considérés. C’est pour moi la raison principale pour laquelle cela se passe bien. Et quand je fixe une décision difficile, je prends le temps d’expliquer. Quand une danseuse ou un danseur est intelligent, même s’il est déçu, il comprend pourquoi il n’est pas distribué.

 



Commentaires (5)

  • J

    Merci pour ce passionnant interview

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  • phil

    merci pour cette entrevue trés intéressante,on sent un directeur de la danse trés impliqué dans sa mission avec des idées et des projets subtils,néanmoins il semble perdurer un problème avec les Quadrilles bien que Monsieur Martinez prévoit des plans de carrière pour ses danseurs (.ses) :Madame Héloise Jocqueviel serait sur le départ _voir son interview sur RES****_ et Monsieur Giorgio Fourés est au ballet de Vienne….Il faut éviter l’hémorragie!

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  • Léa

    Wahou, c’est super intéressant, c’est franc et clair. Merci à vous et … merci à lui.

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  • Quelle chance pour le ballet de l’Opéra que ce directeur à la fois ferme et bienveillant qui paraît savoir où il va.

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  • Sylvie Swanilda

    si José Martinez était très apprécié des Danseurs du ballet de Madrid, c’est surement pour toutes ses qualités humaines et parce qu’il était un bon directeur. Il le sera surement aussi à l’ONP , même si hélàs certains/es danseurs/ses préfèrent quitter la troupe pour d’autres troupes contemporaines.
    En tout cas merci bcp pour cette longue interwiev très intéressante et pour ma part je suis très heureuse du nombre de ballets classiques pour la prochaine saison.

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