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Alice Renavand : “Le Boléro, c’est un rendez-vous avec soi-même”

Dix mois après cette soirée d’adieux du 13 juillet 2022rien ne s’est passé comme prévu, la Danseuse Étoile Alice Renavand remonte sur scène pour deux représentations du Boléro de Maurice Béjart les 24 et 28 mai à l’Opéra Bastille. Remise de sa blessure au genou, elle aborde ce “ballet magnifique” comme une opportunité de tourner enfin cette page de sa vie d’artiste et de partir sereinement vers d’autres projets. Installée dans un bureau du Palais Garnier, sur une banquette au même velours rouge capitonné que les emblématiques fauteuils, on a plaisir à la revoir souriante et sereine, ne cachant rien des hauts et des bas qu’elle a connus ces derniers mois. Alors qu’elle s’apprête à monter sur la fameuse table, elle espère bien profiter de ces retrouvailles avec le public.

Alice Renavand – Répétition du Boléro de Maurice Béjart

Comment vous sentez-vous alors que vous vous apprêtez à remonter sur scène ?

Je vais bien même si le stress est là évidemment. Mais tout a changé : le théâtre, le ballet… La pression est différente qu’en juillet 2022. Je n’ai invité personne ! Comme je ne savais pas jusqu’à il y a peu de temps si j’allais y arriver, je n’ai pas eu envie d’en parler à tout le monde. Alors bien sûr, dimanche 28 mai, les très proches seront là, tous mes amis, les danseurs et les danseuses, mais c’est très différent de la première fois.

 

Quand avez-vous su que vous étiez prête ?

J’ai commencé les répétitions deux mois avant la date de la première représentation. J’ai pris conseil auprès de mon chirurgien (ndlr : Alice Renavand a été opérée du genou après cette blessure sur Giselle), des répétiteurs. On a besoin de l’avis des autres quand on a subi une opération très lourde. C’est compliqué de prendre la décision toute seule. Tout le monde était d’accord pour dire que j’allais le faire. Et au fond de moi, je me sentais également prête.

 

Comment le choix du Boléro de Maurice Béjart s’est-il imposé ?

Nous l’avons décidé au mois de septembre après l’opération. Le chirurgien avait évoqué le mois de mai. J’ai regardé la saison et cela correspondait à la soirée Hommage à Maurice Béjart. Le Boléro, je me suis dit que c’était un ballet où je pouvais progresser toute seule, sans être dépendante d’un partenaire, d’un corps de ballet. Je suis livrée à moi -même sur cette table et c’est tant mieux !

Au départ, je l’ai abordée très mécaniquement. L’avantage c’est que les pliés sur la jambe droite constituent une excellente rééducation (rires). Le travail était dans la continuité des exercices que je fais depuis des mois. J’ai travaillé la propreté des pas. Après cette longue période d’arrêt, j’avais une grande exigence vis-à-vis de la danse. J’ai eu la chance de faire plusieurs répétitions sur scène pour me remettre dedans. Devant le miroir c’est bien, mais une fois sur scène c’est là qu’on sent vraiment les choses. Le Boléro, c’est un rendez-vous avec soi-même. On a vraiment l’impression d’être seul. Tout commence dans le noir et au fur et à mesure, on perçoit le soutien des garçons. Ce qui se passe entre nous est indescriptible. Ça me conforte dans l’idée que la danse avec un groupe est une expérience incroyable. J’ai toujours aimé cette circulation d’énergie. Je suis heureuse de revivre cela. Nous nous sommes peu parlé avec les autres danseurs. C’est étrange car il y en a que je connais très bien, et d’autres que je ne connais pas du tout ! Mais en quelques regards, on s’est compris. J’espère vraiment profiter de ce moment même si c’est un ballet qui passe très vite, je le sais.

Je suis livrée à moi -même sur cette table et c’est tant mieux !

 

 

Quelles images aviez-vous en tête avant de vous lancer dans les répétitions ?

Celles que nous avons toutes et tous. Nicolas Le Riche, Sylvie Guillem, Jorge Donn, Maïa Plissetskaïa, Claude Bessy (ndlr : Le ballet est entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 1970.) J’ai regardé les différentes versions. Techniquement, j’ai pioché là où je pouvais aller. Il existe des versions où il n’y a pas tous les sauts. Maïa Plissetskaïa et Claude Bessy ne font qu’un saut. C’est la version que j’ai retenue pour me permettre de ne pas prendre trop de risques. Un choix validé par le Béjart Ballet Lausanne et Gil Roman. Chaque interprète met en avant ses qualités. Au fur et à mesure des répétitions j’ai trouvé ma voie.

 

Avec qui avez-vous travaillé ?

Avec Elisabet Ros, Fabrice Bourgeois et Sabrina Mallem. Des danseurs et danseuses de l’Opéra sont venus me voir. On a souvent débriefé tous ensemble. J’ai ressenti beaucoup d’entraide autour de moi.

 

Cette soirée du 13 juillet 2022, vous vous l’êtes sans doute repassée des centaines de fois dans votre tête, mais pouvons-nous revenir en coulisses avec vous ?

Cette première entrée de l’acte II de Giselle, c’est la plus difficile selon moi. Elle est très spéciale. Je suis dans l’ascenseur très exigu qui conduit à la trappe. En dessous, le stress est immense. Ça s’agite dans tous les sens. Il y a toujours une appréhension que le système ne fonctionne pas. Mais tout se passe bien. Ça y est, je suis sur scène. Je pars à fond dans les arabesques. Je me sens en confiance. Arrivent les petites sissonnes. J’adore ce moment. Je me dis que je vais voler. Je suis heureuse comme dans une espèce de transe artistique. Des moments comme cela, j’en ai déjà eu en scène. Quand on pousse la performance physique et artistique au plus haut niveau et là ça n’est pas passé. J’ai senti mon genou lâcher. En quittant la scène, j’ai pensé à ma mère et à tous les copains qui étaient dans la salle. On me dit alors que je peux tenter de continuer. Mais je sais que c’est fini pour moi et qu’il faut que quelqu’un y aille à ma place.

Alice Renavand – Saluts de la représentation de Giselle écourtée par une blessure, avec son partenaire Mathieu Ganio

Dans quel état êtes-vous à ce moment-là ?

Je suis très étonnée. Je ne m’effondre pas. Je me souviens être remontée dans ma loge pour quitter collant et tutu pour me faire strapper le genou en me disant que cette réaction n’était pas normale. Quand on est danseuse, les blessures on les voit arriver parfois. Et on ressent une forme d’acceptation instantanée mais là c’est différent. Je suis dans la sidération. C’est là qu’Aurélie Dupont, la Directrice de la Danse, et Alexander Neef, le Directeur de l’Opéra de Paris arrivent et me proposent tout de suite de reporter cette soirée d’adieux. J’accepte sans trop savoir ce qui m’attend. Le lendemain, le 14 juillet, l’IRM conclut qu’il s’agit d’une rupture des ligaments croisés. Je comprends que la guérison va être longue.

 

Avez-vous trouvé une explication à cette blessure ?

Je l’ai beaucoup cherchée ! Je m’étais un peu fait mal au genou durant la représentation précédente deux jours avant. Mais je ne pensais pas être fragilisée. Le premier acte s’était très bien passé. La fatigue et la pression étaient présentes. Mais j’étais assez sereine. J’étais prête pour ces adieux. J’étais heureuse. Je vivais le spectacle de mes rêves. J’ai eu un excès de zèle, je crois.

 

Est-ce que la perspective de remonter sur scène vous a aidée dans votre convalescence ?

Au départ, je ne voulais pas me faire opérer J’avais peur. J’ai dit au chirurgien : “Je ne danserai plus !“. Mais il a tenu bon. Il ne m’a pas lâchée. Après un tel accident, dans les moments de doute, les réactions du passé resurgissent. C’est mon caractère. J’ai besoin qu’on me pousse un peu. J’ai toujours préféré me dire que je ne serai jamais Première danseuse, que je ne serai jamais Étoile. J’ai besoin de ce cheminement, de me prouver que je suis capable de rebondir. Une fois que je suis convaincue, je ne lâche rien. Après l’opération, je me suis même dit qu’on aurait dû arrêter là. J’avais donné ma parole pour cette deuxième soirée d’adieux mais à quoi bon ? Je n’avais plus l’envie. Aujourd’hui, je suis très contente de remonter sur scène.

Alice Renavand lors de sa nomination de Danseuse Étoile

Qu’avez-vous ressenti quand vous avez repris le chemin du studio ?

Une grande émotion, une grande satisfaction. La danse c’est mon moyen d’expression. Alors quand en plus, vous retrouvez la scène avec un chef-d’œuvre, je le prends comme une chance qu’il ait été programmé à ce moment-là.

J’ai envie de tourner cette page, sans douleur.

 

 

C’est maintenant que vous allez vraiment quitter l’Opéra…

Oui, après cette soirée du 13 juillet, les choses se sont un peu figées. J’ai gardé un pied à l’Opéra. Là je vais quitter ma loge. Je suis très heureuse que Hannah O’Neill la reprenne ! Je suis prête. J’ai envie de tourner cette page, sans douleur.

 

Où en êtes-vous de vos projets ?

J’ai toujours dans l’idée de travailler avec des danseuses et danseurs retraités de l’Opéra de Paris. Je suis très inspirée par le NDT 3, la compagnie de Jiří Kylián. Je trouve vraiment dommage qu’il n’existe rien pour tous ces interprètes qui partent avec leur bagage artistique et ont encore tellement à transmettre avec leur maturité. Plus qu’une compagnie, ce sera une association où chacun.e pourra venir selon les projets. Nous allons chercher des lieux de diffusion partout en France. Mais j’espère que l’Opéra de Paris sera prêt à nous soutenir. Rien n’est encore acté mais Alexander Neef est très à l’écoute. Il a envie de faire bouger l’institution et moi j’ai envie de prolonger le chemin avec cette maison qui m’a donné beaucoup de liberté.

 

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