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Prix de Lausanne 2017 – Rencontre avec Yohan Stegli, le coach des variations contemporaines des garçons

Yohan Stegli est en charge cette année de coacher les garçons candidats au Prix de Lausanne pour leur variation contemporaine, toutes signées de John Neumeier. Le danseur a en effet fait toute sa carrière au Ballet de Hambourg (la troupe du chorégraphe) en tant que premier soliste. Aujourd’hui, il est directeur adjoint du National Youth Ballet of Germany, troupe créée par John Neumeier pour de jeunes danseurs et danseuses. Danses avec la plume l’a rencontré entre deux séances de coaching, il nous explique son rôle et les différentes variations contemporaines.

Yohan Stegli en séance de coaching des variations contemporaines au Prix de Lausanne 2017

 

Quel est votre rôle au Prix de Lausanne en tant que coach ?

Les candidats ont appris ces variations à partir d’une vidéo. La vision qu’ils en ont et celles de leur professeur peut être juste, mais il leur manque l’idée de pourquoi ces pas sont là. Ils n’ont pas ces informations. Mon rôle de coach, c’est justement de donner l’information émotionnelle, le pourquoi de cette variation. Je peux corriger quelques détails sur le placement si j’ai le temps, mais je me penche moins sur la technique, parce que la technique vient avec le travail, et le temps que j’ai est trop limité pour vraiment travailler cet aspect. Et je pense que l’important, surtout sur le travail de John Neumeier, c’est de chercher l’émotion qui s’ajuste avec les pas et d’aller chercher le côté artistique plus que technique.

 

Vous ne pouvez pas tout corriger pour chaque candidat. Comment choisissez-vous l’indication à lui donner, celle qui lui qui sera le plus utile ?

J’ai travaillé toute ma carrière avec John Neumeier. Il y a des millions de corrections à donner, mais je connais ce chorégraphe, je sais par expérience sur quel point il aurait insisté, où sont ses priorités. Et lui me fait confiance pour savoir ce qui est essentiel dans chaque variation et aller chercher l’optimisation de ce temps-là.

 

Revenons sur chaque variation contemporaine des garçons, toutes signées de John Neumeier cette année. Quelle est l’identité de la variation du Sacre ?

Le Sacre est une pièce ancienne, créée dans les années 1970. C’est une oeuvre très pure, il n’y a pas d’effet de décor, les danseurs sont pratiquement nus en scène. John Neumeier s’est attaché à la naissance du monde. Tout démarre dans une société organisée, les gens marchent dans une structure très claire. Et il y a un corps sur scène, allongé. Doucement, cette organisation se regroupe autour de ce corps pour observer la première victime. Puis l’humanité se sépare en deux groupes, ils se battent, s’accusent, jusqu’au crash dans la musique où la lumière disparaît. Et cette variation arrive. Elle représente l’instinct de survie et animal d’un personne encore à l’état sauvage, traquée par la nature. Elle court pour sa vie, elle attaque chaque mouvement avec un esprit animal et très terrien. La variation est très explosive, mais chaque pas arrive par rapport à une idée, une image.

Yohan Stegli en séance de coaching des variations contemporaines au Prix de Lausanne 2017

Deux autres variations sont liées au personnage de Nijinski, comment se différencient-elles ?

La variation extraite de Nijinski est celle de son frère Stanislav. Il a eu très tôt un accident qui lui a causé une commotion cérébrale. Il a été interné, ce qui résonne avec ce qui va arriver à son frère. Je pense que John Neumeier a utilisé cette idée comme une espèce de graine dans la tête de Nijinski, qui prend de la place au fur et à mesure de sa carrière dans son esprit saint pour aller vers la schizophrénie. La variation du frère est dans cet esprit. Il est emprisonné dans sa folie, il donne l’impression qu’il perd le contrôle de son propre corps. Vaslaw Gigue est très différente. Elle est un hommage à Nijinski, on retrouve dans les pas des connotations de ses grands rôles, comme Petrouchka, Le Spectre de la rose, Harlequinade ou Le Pavillon d’Armide. Il y a dans la chorégraphie la structure de Nijinski, la base de la danse classique, mais aussi des mouvements modernes montrant qu’il voulait trouver sa propre voie.C’est une variation très poétique.

 

Dans un tout autre genre, il y a Wrong Note Rag sur la musique de Leonard Bernstein, ou Spring and Fall

La variation Wrong Note Rag est extraite d’un ballet sur la vie du compositeur Leonard Bernstein et se passe à New York. Dans cette ville, il y a toujours ce personnage que vous rencontrez dans la rue et qui va tout de suite engager la conversation, qui a des contacts à droite à gauche, qui connaît tout le monde. New York est son territoire. C’est le personnage de la variation. La musique est très joueuse, très Broadway. Mais c’est aussi le danger de cette variation : il ne faut pas trop la jouer, la sur-vendre. La musique l’est déjà bien assez ! Spring and Fall est encore différent. La pièce a été créée sur Manuel Legris et elle est très technique. Mais la technique doit être cherchée par une grande légèreté. Elle doit être complètement libérée, c’est le challenge de cette variation. Il faut y trouver une légèreté, une poésie, aussi un côté innocent même si ce solo demande une certaine maturité. Il est extrêmement difficile, spécialement avec la pente de la scène.

 

Il y a enfin une variation extraite de Yondering, ballet dansé uniquement par des écoles de danse et symbole de la jeunesse…

J’ai dansé ce ballet alors que j’étais à l’école de Hambourg. “Yondering” signifie aller chercher au-delà des frontières, ce que l’on ne connaît pas. C’est un ballet aussi bien sur l’innocence que sur la perte de l’innocence.

 

Parmi toutes ces variations, il y en a qui ont eu plus de succès que d’autres auprès des candidats ?

Il y a une tendance qui va vers Spring and Fall. Yondering marche bien aussi, elle parle aux candidats, tout comme Vaslaw Gigue dont la musique de Bach a beaucoup inspiré les jeunes danseurs. Le Sacre a été moins souvent choisi, c’est une variation très physique et très dure.

Yohan Stegli en séance de coaching des variations contemporaines au Prix de Lausanne 2017

Vous travaillez toute l’année auprès de jeunes talents avec National Youth Ballet of Germany. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle génération ?

J’ai l’impression qu’ils sont beaucoup plus stressés par rapport à l’avenir, qu’ils sont très pressé.e.s de tout avoir fait le plus vite possible, de danser vite tous les grands rôles. Ils sont aussi obsédés par la technique. Mais ce n’est pas vraiment de leur faute, plutôt celles des réseaux sociaux avec leurs nombreuses vidéos de danseurs qui ne jouent que sur la virtuosité. Ils sont trop pressés, mais n’est-ce pas nous qui les pressons, la société, leur environnement, certains directeurs d’école qui sont poussés à produire vite des danseurs uniquement virtuoses ? Mais cela prend du temps de se construire en tant que danseur.se et artiste. Il y a une évolution pour chacun qui est assez personnelle, qu’il faut prendre en considération. Bien sûr, ils doivent être poussés très tôt à être prêt dans la technique pour entrer dans une compagnie. Mais une carrière de danseur, c’est le travail d’une vie. À 18 ans, ils ne peuvent pas être prêts, c’est physiquement impossible, il n’y a pas eu la progression. L’art prend du temps, on ne fait pas un danseur en deux mois. Nous travaillons beaucoup cet aspect au National Youth Ballet of Germany. Nous leur donnons une autre vision, celle d’une générosité envers eux-mêmes et leur art, et celle de la simplicité.

 

Vous ressentez ce stress de la technique chez les candidats du Prix de Lausanne ?

Oui. Ils pensent surtout à ça, surtout qu’ils dansent sur une scène en pente dont ils n’ont pas l’habitude. Durant le coaching, j’ai justement travaillé à leur dire que, dans les variations de John Neumeier, le nombre de pirouettes n’est pas important. Je préfère qu’ils fassent une pirouette bien, avec l’intention émotionnelle, plutôt que trois. On ne transmet pas l’émotion par la technique, il n’y a pas d’émotion dans la technique, c’est plus difficile de ne pas bouger et de faire passer des choses en scène que d’enchaîner la technique. Ils ne sont pas là pour impressionner le public mais pour l’emmener quelque part. À la fin de leur variation, le public ne doit pas se rappeler de la technique mais de l’émotion qu’il a eue en voyant cet artiste. Le travail du danseur, c’est justement ça, cacher la technique.

 

Comment fonctionne le National Youth Ballet of Germany que vous évoquiez plus haut ?

Ce groupe a été créé par John Neumeier pour des jeunes de 18 à 22 ans, qui ont des contrats de deux ans. Cette compagnie est là pour apporter la danse là où elle n’est pas. On se produit ainsi dans des écoles, des hôpitaux psychiatriques, ou dans des lieux insolites comme une piscine vide. Parfois, nos danseur.se.s n’auront ainsi pas le parfait tapis de scène, peut-être qu’ils devront repasser leur costume, à aider à poser le sol parce que l’on a n’a beaucoup de temps. Ça les responsabilise, ils ont un contact avec l’aspect technique et de ce que c’est que de monter un spectacle. Ils dansent devant de jeunes malades, des personnes âgées, ils doivent être généreux. Et parallèlement, ils dansent aussi dans des spectacles plus classiques, abordent de gros rôles, ce sont tous des solistes. Nous avons au moins 70 spectacles par an. Ils ont ainsi une grande nourriture spirituelle et physique, ils arrivent ainsi dans leur compagnie avec un bagage de préparation plus complet.

 

Vous êtes au Prix de Lausanne en tant que coach. Vous êtes là aussi en tant que recruteur pour le National Youth Ballet of Germany ?

Nous sommes une compagnie partenaire du Prix de Lausanne, donc oui, éventuellement. Madoka Sugai, qui a gagné le Prix de Lausanne en 2012, aurait pu aller dans n’importe quelle grande école, mais elle a choisi de venir chez nous. Elle avait une très grande technique, nous avons pu lui apporter le reste. Elle est aujourd’hui danseuse au Ballet de Hambourg.

Yohan Stegli en séance de coaching des variations contemporaines au Prix de Lausanne 2017

Vous avez gagné le Prix de Lausanne en 1998. Presque 20 ans après, que retenez-vous de cette expérience ? Comment le Prix de Lausanne a-t-il évolué ?

Les choses ont changé, bien sûr. C’est très organisé, régularisé, médiatisé, et c’est bien. À mon époque, il n’y avait pas tout ce coaching et cet aspect pédagogique, il y avait des éliminations tous les jours, dès la classe. On se réunissait à l’arrière-scène, il y avait un tableau avec les numéros encore en course, il fallait espérer être dessus. Bien sûr, cela m’a fait plaisir de gagner. Mais j’étais déjà boursier à l’école de Hambourg, je venais pour l’expérience. Cette semaine m’a fait énormément progresser, j’ai rencontré des gens avec qui j’ai encore des contacts. C’est une semaine si intense pour un jeune danseur ! Cela crée des liens pour toute une carrière, pour toute une vie.

 

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