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Angel Corella, directeur du Pennsylvania Ballet : “Je veux que l’on regarde les danseur.se.s comme des stars”

Angel Corella a fait ses adieux sur la scène du Metropolitan Opera de New York le 28 juin 2012 pour un ultime Lac des Cygnes avec l’American Ballet Theatre. Il fut l’un des danseurs les plus virtuoses de sa génération, l’un des plus joyeux et chaleureux. Ce tempérament solaire trempé dans son Espagne natale, il le met aujourd’hui au service du Pennsylvania Ballet, l’une des grandes compagnies classiques des États-Unis créée en 1963 sous le parrainage de George Balanchine. Nommé directeur artistique en 2014, Angel Corella vient de créer son premier ballet pour la compagnie et il a choisi tout naturellement Don Quichotte. Rencontre à Philadelphie avant la dernière.

Angel Corella

Angel Corella

Pourquoi avoir choisi Don Quichotte pour votre première création avec le Pennsylvania Ballet ?

C’est le 1er ballet en trois actes que je réalise, j’ai dansé ce ballet pour la première fois avec l’ABT quand j’avais 19 ans et pour moi qui suis espagnol, ce ballet représente beaucoup de choses. Cela a à voir avec qui je suis, d’où je viens. Je suis espagnol et Don Quichotte a aussi un lien avec ma carrière comme danseur. C’est sans doute l’œuvre que j’ai le plus dansée et dans des versions différentes : celle de Rudolf Noureev, de Michaïl Barychnikov, de Kevin McKenzie. J’avais donc une idée très précise de ce que je voulais faire. Et précisément, que cela respire l’air de la Mancha. Trop souvent, je me suis retrouvé dans des décors qui évoquaient plus le Maroc ou Istanbul que  l’Espagne. Je voulais que ça ait l’air authentique et j’espère que j’y suis arrivé.

 

Cet air d’Espagne, il y en a un écho dans la partition de Minkus mais le compositeur n’avaient pas une idée précise de ce qu’était l’Espagne de Don Quichotte… 

C’est vrai. Mais ce que j’ai voulu chasser, ce sont les stéréotypes qui encombrent tant de productions de Don Quichotte Je veux que ce soit plus charnel, plus ancré dans la réalité et qu’il n’y ait pas, par exemple, ces flamencos qui n’en sont pas. Le flamenco, ce ne sont pas des sauts, c’est très attaché à la terre. Et les gitans, ce sont des hommes forts et des femmes sensuelles, c’est rarement ce que l’on voit sur scène. C’est tout cela que je voulais montrer, tout en respectant le ballet de Marius Petipa.

Angel Corella-répétirion de Don Quichotte.

Angel Corella – Répétirion de Don Quichotte

Vous disiez que vous avez dansé énormément de versions différentes. Comment avez-vous fait pour ne pas vous laisser polluer par ces productions ?

C’est drôle, mais je n’ai pas eu le besoin d’aller voir ou revoir des vidéos. C’est venu tout naturellement, même pour les variations féminines que je n’ai jamais dansées évidemment. Ce ballet est tellement incrusté en moi, il fait tellement partie de ce que je suis que tout s’enchainait parfaitement. Je disais aux danseuses : “Faites ceci, puis cela…“. À la fin d’une journée de répétition, je commençais à douter : et si je faisais erreur. J’allais donc vérifier sur les vidéos et je constatais que j’avais vu juste. C’est incroyable de constater que tous les pas étaient là, dans ma tête. J’ai hélas une excellente mémoire photographique et quand j’ai vu quelque chose une fois, c’est inscrit dans ma tête et c’est un cauchemar ! Du coup, tout est allé très vite et tant mieux car nous n’avions que trois semaines de répétition pour créer ce Don Quichotte. Je voulais que les danseur.se.s aient appris tous les pas en deux semaines afin qu’ils puissent utiliser les derniers jours pour s’approprier leurs rôles. J’ai essayé durant tout ce temps d’instiller un maximum d’énergie pour que tout le monde soit impliqué. Cela a bien marché dans le studio mais à la fin de ces trois semaines, j’étais épuisé….

 

Quelle a été la réaction de la compagnie lorsque vous lui avez proposé de monter Don Quichotte, qui ne fait pas partie de la culture du Pennsylvania Ballet ?

Vous savez, quand on devient directeur artistique d’une compagnie, tout le monde est un peu effrayé et c’est normal. Chacun se dit : “C’est une nouvelle direction, avec de nouvelles idées, où va-t-on aller...”. C’est vrai que certain.e.s perçoivent la compagnie comme appartenant à l’école et au style George Balanchine et aux ballets académiques, c’est un style très différent. Mais beaucoup de danseuses et de danseurs ont abordé cela avec un esprit d’ouverture et se sont rendu compte que l’on pouvait avoir beaucoup de plaisir à danser ce ballet.

Quand vous dirigez une compagnie, il faut être psychologue et comprendre ce que chacun pense, parfois seulement à travers leurs regards ou leurs réactions, mais surtout ne pas se laisser influencer. Les danseurs.ses peuvent être très sympathiques et ouvert.e.s, mais ils savent aussi être l’inverse. J’avais la chance comme danseur d’avoir un tempérament très facile. Du moment que j’étais sur scène et que l’on me donnait quelque chose à danser, j’étais heureux. Mais je comprends que l’on soit différent et c’est mon rôle en tant que directeur de prendre en compte ces différences. Ce n’est pas facile, mais en même temps, c’est pour moi une immense récompense de voir toute la compagnie totalement impliquée dans la réalisation de ce Don Quichotte.

Angel Corella avec Arian Molina Soca et Oksana Maslova.

Angel Corella avec Arian Molina Soca et Oksana Maslova

Comment avez-vous fait pour améliorer le travail de la compagnie et élever le niveau ?

La première chose est que je fais la classe moi-même régulièrement, c’est très important pour bien connaître la compagnie et toutes ses individualités. Et puis toute l’équipe artistique suit cette énergie que je veux instiller. J’ai pu aussi engager de nouveaux danseurs.ses. Ce qui a eu un effet positif non seulement parce que cela permettait d’intégrer de nouvelles personnalités et de rendre la compagnie plus forte, mais aussi parce que cela a eu un effet sur les autres danseurs.ses qui ont se sont amélioré.e.s. Et je suis satisfait car aujourd’hui, tout le monde constate que la compagnie est bien meilleure, qu’elle est plus en phase avec le public. Et à mon sens, c’est l’avenir du ballet qui est en jeu. Bien sur, il nous faut maintenir l’histoire et le répertoire qui nous a été légué. Mais nous devons comprendre que notre art évolue constamment et il faut attirer de nouveaux publics, de nouvelles générations. C’est une balance très délicate qu’il faut trouver.

 

Dans quelle direction souhaitez-vous aller avec le Pennsylvania Ballet ?

Ma priorité est de développer l’aspect artistique de la danse et faire comprendre à la compagnie que leur technique, qui est fantastique, doit se traduire sur scène. Je veux voir cette forme d’abandon, que les danseurs-ses embrassent toute cette technique pour l’oublier sur scène et littéralement voler en osmose avec le public. Quand cela se produit, c’est magique et c’est vers cela que je tends. Je voudrais aussi que l’on regarde les artistes du ballet comme des stars de cinéma, qu’il y ait cet esprit glamour quand le public entre dans le théâtre et que les gens se disent : “Wouahou, c’est vraiment spécial“. Parfois, dans les publicités, les mannequins incarnent des danseurs.ses alors que l’on pourrait très bien utiliser les vrais artistes qui sont magnifiques.

Angel Corella en répétition avec Arian Molina Soca et Oksana Maslova.

Angel Corella en répétition avec Arian Molina Soca et Oksana Maslova

Quel répertoire souhaitez-vous développer pour les saisons à venir ?

Le Pennsylvania Ballet n’avait traditionnellement qu’un ballet en trois actes par saison et j’aimerais qu’il en ait deux. Ce sera le cas l’an prochain avec Cendrillon de Ben Stevenson et Le Corsaire que je dirigerais (c’est un ballet dont je suis aussi très familier). Bien sur, il nous faut continuer à danser George Balanchine parce que c’est notre histoire et notre tradition. Nous ne devons pas oublier que nous sommes une compagnie américaine. Et puis, regarder vers le futur avec une ouverture d’esprit la plus grande possible. Il y a de nombreux chorégraphes avec lesquels je veux poursuivre la collaboration ou faire venir à Philadelphie : Christopher Wheeldon, Wayne McGregor, Justin Peck, David Dawson, Ohad Noharin… J’espère aussi collaborer avec Paul Lightfoot, le directeur artistique du Nederlands Dans Theater, et Sol Léon qui est une amie. J’aimerais vraiment qu’ils créent une pièce pour la compagnie. Sol Léon va venir voir les danseurs.ses et j’espère que nous aboutirons.

 

C’est toujours un défi de faire venir le public au théâtre en général et au ballet en particulier. Comment voyez-vous l’avenir du ballet qui est un art fragile ?

C’est un moment très compliqué. J’ai eu la chance de danser avec de nombreuses compagnies, l’ABT qui était ma maison mais aussi le Kirov ou le Royal Ballet et j’ai pu voir à quel point chaque pays et chaque culture avaient des traditions différentes. C’est tellement amusant de voir qu’aucun public ne réagit de la même manière. Il y a des pays où le ballet est aussi respecté que le football en Espagne ! Je crois que c’est une éducation qu’il faut absolument maintenir ou développer et faire comprendre que si le sport est important évidemment, il faut aussi qu’il y ait une place pour l’art.

 

Et comment définiriez-vous votre propre mission dans ce débat sur l’avenir du ballet?

Mon travail de directeur artistique est justement de faire venir un nouveau public, cela fait partie de mon travail et cela implique de prendre des risques. Par exemple, quand nous avons présenté Chroma de Wayne McGregor que je considère comme un chef-d’œuvre, j’étais un peu inquiet de la réaction du public à la musique de Joby Talbot et des White Stripes, qui est à la fois puissante et étrange. C’était le premier ballet du programme et j’avais peur que beaucoup de gens quittent la salle. Ce fut l’inverse. Tout le monde parlait de la chorégraphie et de la musique à la sortie. C’était fantastique car une fois que vous avez réussi à faire venir un public qui habituellement ne va pas au ballet, vous l’avez capté. Et il y a maintenant un nouveau public, plus jeune, plus divers. Nous avons mis une politique tarifaire attractive avec des billets à 10$ certaines soirées. C’est un succès phénoménal et il y a maintenant un autre public. Bien sur, il y a toujours les balletomanes et c’est très bien mais voir que le ballet n’est pas réservé à une certaine élite, c’est vraiment excitant.

 

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