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Batsheva Dance Company – “Le Gaga, c’est plonger profondément à l’intérieur de soi-même”

La Batsheva Dance Company fait son show au Théâtre de Chaillot avec quatre spectacles du 10 au 27 octobre, signés Ohad Naharin : Venezuela et Mamootot par la compagnie principale, Décalé et Sadeh21 par le Young Ensemble. Une grande fête de la danse avec cette compagnie d’exception. Ben Green, 22 ans, est l’une des toutes dernières recrues de la Batsheva. En 2016, il intégrait le Young Ensemble et l’an dernier la compagnie. Ce jeune américain qui a grandi à Las Vegas est à Paris pour la première fois. Nous l’avons rencontré pour parler avec lui de danse, du Gaga (la danse d’Ohad Naharin) de chorégraphie, de sa vie quotidienne à la Batsheva et de ses rêves à venir. Conversation passionnante dans le Grand Foyer du Théâtre de Chaillot sur son parcours météorique de l’Amérique à la Batsheva.

Ben Green

Ohad Naharin est surnommé “Mr Gaga”, en référence au Gaga, une façon de danser. Mais c’est quoi, le Gaga ? Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est cette technique et comment vous l’appréhendez personnellement ?  

Ce qui me plait dans la technique Gaga, c’est cette sensation que mes atouts en tant que danseur, ma technique propre, sont en osmose avec une approche spirituelle. Gaga pour moi équivaut à atteindre un autre état d’esprit car c’est autant un travail sur le corps que sur l’esprit. La technique Gaga est fondée sur l’écoute de vos sensations. Et pour moi, c’est comme passer une heure et aller plonger à l’intérieur de soi-même, très profondément dans vos émotions, vos faiblesses, votre sensualité. Cette pratique quotidienne m’a permis de me trouver moi-même comme danseur. J’ai trouvé d’autres facettes avec le Gaga comme si j’avais ouvert davantage de conscience. Vous savez, on dit souvent que l’on use qu’un petit pourcentage de son cerveau. Eh bien c’est cela que je ressens : comme si j’avais élargi ma palette de possibilités.

 

Comment se déroule une journée type à  la Batsheva ?

Il y a bien sûr la classe tous les matins de 10 heures à 11 heures 15. Auparavant, nous faisions aussi un peu de ballet mais maintenant, nous nous concentrons sur la technique Gaga. Un jour normal, nous répétons jusqu’à 17H30. Soit nous travaillons sur une pièce spécifique, soit sur plusieurs à la fois comme par exemple pour préparer cette tournée à Paris. Mais si on est en période de création, il n’y a pas de limite d’heure, nous répétons jusqu’au soir.

 

Comment se passe justement ce processus de création avec Ohad Naharin ?

C’est vraiment une collaboration entre lui et la compagnie et c’est pourquoi Ohad Naharin aime ses danseur.se.s car ils apportent beaucoup d’eux-mêmes dans son travail. Il va par exemple attribuer des tâches ou édicter des règles en nous disant : “Voici votre terrain de jeu”. Et nous commençons à créer à partir de ce matériel. Je n’ai pas encore participer à la totalité d’une création, je suis arrivé pour la fin de Venezuela. Mais quand il reprend des pièces du répertoire, il change toujours une multitude de choses. Et c’est ce qui est fascinant avec lui. Quand on travaille sur des pièces qu’il a créées il y a 10 ou 15 ans, il ne refait jamais la même chose. Il va regarder l’interprétation spécifique d’un danseur ou d’une danseuse et la jauger. Il peut l’apprécier ou pas mais il est toujours très ouvert aux propositions artistiques. Evidemment,  il veut que  certains éléments d’une pièce subsistent. Mais il permet aux interprètes de s’exprimer individuellement dans une pièce et c’est superbe.

 

Cela signifie que vous devez apporter votre propre matériel ?

Oui et j’adore cela. Dans Mamootot par exemple, il y a beaucoup d’improvisation mais aussi dans de nombreuses pièces du répertoire de la Batsheva. Et chaque soir, à chaque représentation, il y a pour chacun cette part d’improvisation. On le fait en studio, mais le faire sur scène, devant le public et à chaque fois différemment, c’est vraiment excitant. C’est effrayant parfois mais c’est stimulant. Certains danseurs et danseuses n’aiment pas forcément cela mais la plupart des membres de la compagnie ont plaisir à improviser. Pour moi, c’est central car parfois, vous pouvez vous cacher comme artiste derrière le matériel que le ou la chorégraphe vous donne et enchainer spectacle après spectacle. En improvisant, vous montrez vraiment au public qui vous êtes en tant qu’artiste.

Ben Green dans Venezuela (le premier à droite)

Et comment inter-réagissez-vous au sein de la compagnie ? Il y a toujours quelque chose de joyeux qui émane de la Batsheva même quand vous interprétez des pièces sombres.

L’interaction au sein de la compagnie est idéale car nous sommes un groupe très divers. La moitié des artistes est israélienne et l’autre moitié vient de toutes les parties du monde. Pour certains la Batsheva est la première compagnie dans laquelle ils travaillent. D’autres sont passés par deux ou trois troupes avant de venir à la Batsheva. Chacun a donc un bagage et des expériences différents. Nous n’avons pas tous le même âge, ni la même culture, mais nous vivons tellement au sein de la compagnie que nous formons un groupe soudé et je pense que nous apprenons beaucoup les uns des autres. Et les tournées sont des moments de cohésion importants.

 

Avez-vous une pièce que vous préférez danser dans le répertoire de la Batsheva ?

Je n’ai pas de pièces favorites mais elles ont toutes des spécificités. Par exemple dans Virus, mon solo est pure improvisation durant 10 minutes et c’est un temps juste pour moi. Mamootot est une pièce vraiment spéciale et vous ne pouvez jamais ne pas être satisfait de la danser. Danser, c’est notre passion mais c’est aussi notre métier : vous avez des critères artistiques et parfois, vous n’êtes pas forcément satisfaits après une représentation pour différentes raisons. Avec Mamootot, vous ne pouvez pas ne pas être comblé car c’est une conversation avec le public. Il suffit de vous ouvrir et c’est nécessairement fructueux ; c’est un échange d’émotions car nous sommes dans le public : si vous êtes ému, je suis ému, si vous pleurez, je pleure. Mamootot est vraiment spécial.

 

Et sur votre carrière : comment la danse est-elle arrivée dans votre vie ?

Ma mère était danseuse de jazz à Broadway et mon père est aussi dans le théâtre musical. En fait, j’ai grandi dans les coulisses des théâtres à voir des comédies musicales dés l’âge de 4 ou 5 ans. J’ai vu beaucoup de danse et j’étais toujours en train de chanter, de danser des standards dans notre salon à la maison comme Chantons sous la pluie. J’ai toujours été exposé à la danse mais c’est au lycée que la danse est vraiment devenue quelque chose d’important pour moi. Je voulais suivre les cours d’une école d’art à Las Vegas et vous deviez soit chanter, soit danser pour l’examen d’entrée. J’ai choisi la danse mais je ne pensais pas à ce moment-là que la danse serait ma carrière.

 

Quand avez-vous pris vos premières leçons de danse ?

C’était à Las Vegas, j’avais 13 ans et c’était un cours privé. Je suis allé voir ce professeur mais je n’avais aucune expérience, je ne savais encore rien techniquement. Alors j’ai commencé par le ballet. Mon professeur m’a enseigné pour la première fois une chorégraphie et c’est comme cela que tout a commencé pour moi. J’ai vraiment réalisé alors que ce serait ma vie. J’ai toujours aimé danser mais là, c’est devenu ma priorité. Je me suis dit que je n’avais pas d’autre option comme artiste que de devenir danseur.

La technique Gaga est fondée sur l’écoute de vos sensations. Et pour moi, c’est comme passer une heure et aller plonger à l’intérieur de soi-même, très profondément dans vos émotions, vos faiblesses, votre sensualité.

Vous aviez déjà le goût de la scène ?

Oui, j’ai toujours aimé ça. J’aimais être dans la lumière et devant la caméra. J’avais envie d’être sur scène devant le public et de faire des tournées.  Mais aujourd’hui, j’apprécie de plus en plus le processus de création et de répétition en studio. Evidemment, j’aime toujours être sur scène, c’est mon métier mais ce moment de création en studio est devenu essentiel pour moi. C’est aussi pour ça que Mamootot que nous avons dansé au Théâtre de Chaillot est une pièce fantastique : nous ne sommes pas sur scène mais au milieu du public et c’est une sensation différente comme si vous partagiez avec le public le temps en studio.

 

Quand avez-vous entendu parler pour la première fois d’Ohad Naharin et de la Batsheva Dance Company ?

Je devais avoir 16 ou 17 ans et une amie m’a demandé si j’avais déjà pris un cours de Gaga. Elle m’avait vu danser et elle était convaincue à la manière dont je bougeais que j’étais entrainé à la technique Gaga. Et je lui ai répondu que je n’en avais jamais entendu parler. Elle m’a dit que je devais absolument prendre un cours, que j’allais adorer cela. Et j’ai commencé à faire des recherches sur Internet à propos de la technique Gaga qui m’a conduit à Ohad Naharin, puis à Batsheva. J’ai regardé plein de vidéos sur le net. Et ce fut comme une révélation. Je me suis dit : c’est fait pour moi ! Il y avait un cours intensif de Gaga à New York. J’ai suivi cette classe passionnément et c’était comme si je trouvais ma maison et la manière dont je voulais bouger. J’ai donc suivi la Batsheva, je suis allé étudier en Israël. J’ai passé une audition mais il n’y avait pas de poste. La saison suivante, je suis retourné à Tel-Aviv pour suivre un cours intensif de Gaga et Ohad Naharin m’a dit : “Tu veux toujours entrer dans la Batsheva ?”. Et j’ai répondu : “Bien sûr !”. C’était il y a trois ans et ce fut évidemment un moment déterminant pour moi car la Batsheva Dance Company, c’était mon rêve, le dernier barreau de l’échelle. Je pensais que j’y arriverais mais pas si vite.

 

Pour la suite de votre carrière, avez-vous des chorégraphes avec lesquels vous aimeriez travailler à l’avenir ?

Nous avons créé une pièce la saison passée avec Marlene Monteiro Freitas, Canine Jaunâtre. C’était incroyable de travailler avec elle et le processus de création était fantastique. C’était très difficile de la mémoriser et nous avons passé des heures à répéter… devant le miroir, alors que n’est proscrit quand on travaille avec Ohad Naharin. J’espère qu’elle reviendra à la Batsheva. J’aime beaucoup Pina Bausch et si un jour  j’ai l’occasion de danser une de ses pièces,  ce serait fantastique. Mais j’aime aussi créer moi-même  et j’ai commencé d’ailleurs à chorégraphier. Nous avons cette opportunité à la Batsheva, il y a des ateliers de chorégraphie pour les danseurs et danseuses qui le souhaitent avec un spectacle à la clef. Et je vais faire ma troisième pièce cette année. Dans l’avenir, j’envisage de consacrer davantage de temps pour chorégraphier.

 

La Batsheva Dance Company au Théâtre de Chaillot avec quatre spectacles du 10 au 27 octobre

 

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