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En cours d’histoire : le bal dans l’oeuvre de Marius Petipa

Il n’est jamais trop tard… Retranscription d’une conférence dansée de Roxana Barbaracu du 31 mars 2011, sur le thème du bal dans l’œuvre de Marius Petipa. La conférence a lieu au CNSMDP, et est entrecoupée d’extraits de ballets interprétés par les classes de danse classique du Conservatoire.

Roxana Barbaracu est professeure de danse de caractère au CNSMDP, à l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris et au CRR de Paris.


Introduction

Quand on m’a demandé de faire une proposition de projet sur le thème du bal, je me suis naturellement tournée vers le répertoire de Marius Petitpa. Ceci pour deux raisons.

Premièrement, nous avons commémoré en 2010 le centenaire de la disparition de ce maître. C’est peut-être le chorégraphe le plus prolixe de l’histoire de la danse classique. Il n’y a pas de grande compagnie de par le monde qui n’est pas un ballet créé par lui, ou revisité/remanié par lui. Personne ne douta de son génie tant qu’il fut en vie. Mais la richesse de son influence n’a pu être appréciée que rétrospectivement. La puissance des créations de Petitpa s’est étendue bien au-delà, et ce n’est pas encore fini.

Deuxièmement, dans ses œuvres, il y a toujours des scènes de bal. Il n’y a pratiquement aucun de ses ballets qui en soient privé. Il y a même des ballets comme Casse-Noisette qui sont pratiquement des bals entiers. C’est pour Petipa la justification la plus simple de faire entrer dans la dramaturgie de grands ensembles, ainsi que les danses de caractère qui étaient très chères au public russe.

Dans la construction de ses scènes de bal, Marius Petipa a été influencé par son expérience personnelle. Il a connu la vie à la cour de Madrid dans sa jeunesse, puis à la cour des Tzars. Il construit ses ballets selon une hiérarchie extrêmement précise, qui s’apparente presque à un protocole de cour : ensembles, pas de dix, pas de six, pas de deux, variation pour chaque danseur, tel un courtisant, selon l’importance qu’il a dans sa compagnie, pour obtenir les faveurs du public.

Les trois bals

Le bal est apparu comme l’expression d’un savoir-vivre de la classe dominante. Au cours de l’histoire, elle s’est démocratisée avec les bals payants, qui sont devenus ensuite des bals gratuits. On peut donc parler de bal de cour, et de bals publics et populaires.

A ces deux catégories j’aimerais en rajouter une troisième, la fête villageoise. Dans mon sens, elle est également un bal, aussi bien par sa structure (musique, danse et chant), que par son but de divertissement et son rôle social. Et c’est important, c’est au sein de ces fêtes villageoise que ces danses traditionnelles se sont développées, à la base de la danse de caractère si chères à Petipa.

Dans les œuvres de Petipa, nous rencontrons toutes ces sortes de bals. Nous avons choisi d’en présenter des extraits dans trois langages chorégraphiques différents : la danse de caractère, la danse de demi-caractère (une danse qui mêle langage classique pur et éléments de danse de caractère très stylisés, puis de la danse académique).

1) La Mazurka de Raymonda

Nous allons commencer par la danse de caractère, la Mazurka du troisième acte de Raymonda. Si nous regardons de plus près l’œuvre de Petipa, on s’aperçoit que c’est la danse traditionnelle la plus fréquemment représentée dans ses œuvres. Ceci parce que le public russe était grand amateur de danse polonaise, et grand connaisseur. Marius Petipa construit ses ballets sur la scène du théâtre du Mariinsky, où on y voit évoluer plusieurs familles de grands danseur-se-s d’origine polonaise. Ces danseur-se-s ont amené dans leurs bagages de grandes connaissances de leur danses de leur pays d’origine, qu’il on sur faire aimer aux Russes.

Cette Mazurka est particulière, et un peu inédite en France. Elle ne fait pas partie de la version de Noureev, la seule dansée en France. C’est une vrai Mazurka, autant par la richesse et la précision des pas, que par l’aspect glissé des évolutions. Les clés sont moins importantes, les pas frappés sont moins fréquents et moins durs, et les sursauts moins importants.

Avant l’extrait, deux jeunes danseur-se-s, Jeanne et Hugo, viennent faire une démonstration des quelques pas de base que l’on retrouve dans cette mazurka. Souvenirs de mes 10 années de danse de caractère, je me rends compte que ces cours me manquent beaucoup. Viennent ensuite les troisièmes années filles et garçons pour la Mazurka de Raymonda.

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2) La Mazurka de Paquita

L’extrait suivant fait partie du ballet Paquita. Une première version de cette œuvre a été créée en 1846 à l’Opéra de Paris, par Joseph Mazilier, sur une musique d’Édouard Deldevez. C’était déjà à l’époque un ballet où il y a avait beaucoup de danses de caractère, des danses espagnoles, tziganes, des pantomimes. L’intrigue est assez complexe. Le ballet a connu un certain succès, grâce à l’interprétation de Lucien Petitpa, le frère de Marius, et de Carlotta Grisi, pour son travail exceptionnel sur pointe.

L’année suivante, Marius Petipa va créer sa version propre de Paquita, sur une musique de Minkus. Il danse le rôle principal. Ce n’est pas cette version retenue par l’histoire de la danse, mais une seconde relecture que Marius Petipa a fait en 1881. Là, il a fait quelques remaniements. En grand connaisseur des danses espagnoles (il a passé  pas mal de temps à la cour en Espagne), il créé ses propres danses  dans le premier acte, ne gardant de la version de Joseph Mazilier que le fameux pas des manteaux, qui est une danse interprétée par douze femmes en habits de toréador.

Petipa y introduit quelques petits chefs-d’œuvre. Le premier, c’est le pas de trois du premier acte, qui est dansé par trois filles, et ensuite par deux filles et un garçon. C’est un petit bijou de chorégraphie, on l’appelait le pas de trois en or. Et on prévoyait un grand futur aux danseur-se-s qui y débutaient. Parmi eux-elles, il y a eu Pavlova et Nijinski. Il remanie aussi le dernier tableau, qu’il transforme en un grand divertissement. Ce divertissement est souvent dansé séparément. Marius Petipa introduit également au début du bal la fameuse Mazurka dansée par les élèves de l’Ecole de Danse.

A la fin du XIXe/début du XXe, de tout le ballet ne subsistent que ces trois morceaux que Petitpa avait introduits. Petit à petit, ce sont les seules choses qui restent au répertoire. On a fait une reconstitution à l’Opéra de Paris (ndlr : par Pierre Lacotte), mais c’est rare que le ballet soit dansé en entier.

Nous allons vous présenter la Mazurka des enfants. C’est en fait une Mazurka et une polonaise. On a une entrée polonaise, puis un mazur. Même si c’est pour les élèves, c’est une danse qui n’est pas du tout facile, surtout pour les garçons, parce qu’il y a le fameux pas de gala, très difficile : le pas glissé, le sursaut et la petite frappe sur le troisième temps, spécifique de la Mazurka, qui introduit des petits accents sur les temps musicaux.

Voici la version présentée à Saint-Pétersbourg. Pour la petite anecdote, c’est sur cette Mazurka que Nijinski a fait ses débuts sur la scène du Mariinsky. C’est son premier grand succès. Il avait été choisi pour faire partie des rangs, mais aux répétitions, sa connaissance des pas l’a conduit dans le couple du départ.

L’extrait est interprété par les deuxièmes années filles et garçons, et les premières années garçons. 

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3) La Danse des Coupes du Lac des Cygnes

Le troisième extrait est la Danse des Coupes du 1er acte du Lac des Cygnes. On pourrait penser que ce chef-d’œuvre absolu a connu un grand succès dès le départ. Or, il n’en est rien. Ce n’est que 18 ans après, après de longs tâtonnements et beaucoup de versions, et la mort de Tchaïkovski, que l’œuvre s’impose. Sa longévité, et sa présence partout dans le monde, sont justifiées par ses grandes qualités. Tout d’abord la thématique légendaire, presque universelle, de l’amour, la mort, la trahison… On les retrouve aussi bien dans les contes traditionnels que chez les grands écrivains comme Pouchkine. Puis la chorégraphie particulièrement recherchée de Petipa et Ivanov. Enfin l’exceptionnelle qualité de la partition musicale. C’est un vrai scénario musical, qui permet l’évolution psychologique des personnages, une évolution dramatique sans presque aucune pantomime, ce qui est extrêmement rare, on utilisait beaucoup de pantomimes pour raconter l’histoire à l’époque.

L’histoire du ballet est mouvementée. Elle commence en 1875, quand le Bolchoï commande à Tchaïkovski la partition. Elle est écrite en toute urgence, en six mois seulement, ce qui explique que le compositeur va utiliser des extraits d’un ballet précédent, qu’il avait aussi composé pour le Bolchoï mais qui lui avait été refusé, Ondine. Parmi l’extrait le plus important, on peut citer celui du Cygne lui-même, et le pas de deux du deuxième acte.

S’ensuit quatre ou cinq versions, avec des coupes de plus en plus importantes dans la partition. Mais aucune version ne connait la faveur du public. Ce n’est qu’en 1893 que Marius Petipa, qui avait déjà collaboré avec Tchaïkovski pour La Belle au Bois Dormant, convaincu de la qualité exceptionnelle de la partition, persuade le directeur du Mariinsky de lui permettre d’utiliser le thème et la partition à sa guise. Il va remanier le livret, le réécrire, et avec l’aide du compositeur lui-même, et après sa mort avec l’aide de son frère, il remanie la partition. Il chorégraphie lui-même le premier et le troisième acte, et confie à Ivanov, son assistant, celle du deuxième et quatrième acte.

La première a lieu en 1895 et c’est un vrai succès. C’est là que l’on voit pour la première fois les 32 fouettés, qui sont devenus une pierre angulaire de la technique classique, et tout le monde essaye de se confronter à ce grand défi. Ce ballet vit désormais de maintes relectures et versions.

La Danse des Coupes du premier acte est la danse qui finit la fête donnée en faveur du prince Siegfried. C’est un exemple excellent de danses de caractère stylisées. Si nous regardons cette danse au premier abord, on peut penser que le langage est classique pur. Si on regarde de plus près, on va pouvoir reconnaître le pas de polonaise dans sa version traditionnelle, une version stylisée, un pas tombé. Le reste du langage est purement classique. 

Voici la version dansée à Saint-Pétersbourg, Nous l’avons fait en version restreinte, nous avons une plus petite compagnie ! Ce sont les troisièmes années filles et garçons qui la dansent.
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4) L’entrée des fées de La Belle au Bois Dormant
Marius Petipa a travaillé avec le Mariinsky pendant plus de 60 ans. C’est un bel exemple d’une longévité artistique. Pendant ce temps-là, il va occuper tous les emplois : il a démarré comme premier danseur, puis maitre de ballet, professeur, et enfin chorégraphe. Il a chorégraphié d’innombrable ballets et divertissements. Ses chefs-d’œuvre, qui se transmettent de génération en génération de danseur-se-s, ont fait que le monde de Petipa est devenu un des symboles de la danse classique.

Le premier grand succès, en 1890, est La Belle au Bois Dormant. Le ballet arrive après des créations qui sont accueillies avec froideur par le public bourgeois, qui reproche au chorégraphe de se redire. Le ballet est composé à l’occasion des fêtes de fin d’année, et l’idée est celle du directeur du directeur.

C’est un ballet exemplaire des fastes impériaux. C’est une suite de bals, d’extraordinaires numéros, de ballets d’action sans pantomime, possible grâce à la partition de Tchaïkovski. C’est leur première collaboration. Le compositeur savait qu’il y avait des règles pour composer pour la danse, il demande à Marius Petipa de le guider. Il y a un respect mutuel entre les deux artistes, en témoigne leur riche correspondance.

La première a lieu en 1890. La musique est une suite de motifs : le motif du Bien, représenté par le thème de la Fée Lilas, celui du mal par la Fée Carabosse. Ces deux thèmes se suivent et reviennent de manière récurrente dans le ballet, permettant ainsi, avec des choix de tonalités différents, l’évolution dramaturgique.

La danse de caractère est également présente, celle de la couleur nationale avec la Mazurka et la Polonaise, et aussi avec les personnages de contes de fées. Le pas de deux de l’Oiseau Bleu ainsi que la coda marquent le début d’une évolution grandissante de la danse masculine, qui va être suivi par le pas de quatre d’hommes de Raymonda, et pérenniser avec Nijinski.

Le ballet voyage à l’étranger, notamment avec les Ballets Russes. Diaghilev présente en 1921 l’intégrale à Londres, très fastueuse, ce qui lui a couté beaucoup. Il est donc obligé de ne présenter que le troisième acte l’année suivante à Paris.

Le dernier extrait du troisième acte, presque exclusivement des danses féminines, est l’entrée des fées. Marius Petipa, en tant que chorégraphe, était vraiment très à l’aise avec la danse féminine, et surtout dans la composition de variations. Il composait ses variations avec soin, sur place, en rapport avec les qualités artistiques et techniques de ses interprètes, en privilégiant la grâce et l’harmonie. Les ensembles sont très construits à l’aide de dessins.

Cette version des fées est celle dansée au Mariinsky, on y a rajouté des entrées de garçons du Bolchoï. Ceci dans un souci de présenter le travail de tous les élèves. 

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Les quatrièmes années filles et garçons interprètent ce morceau de bravoure. Voici de la technique pure, un exemple parfait du style académique. Les filles ont toutes une solide technique, mais l’on sent que Claire Teisseyre domine sa classe. Les concours internationaux sont passés par là, et la jeune fille montre une assurance en scène que ses camarades n’ont pas encore. 

Globalement, cette heure fut une jolie représentation, très bien expliquée par Roxana Barbaracu, excellente pédagogue, et par des élèves investi-e-s.

Commentaires (2)

  • Merci pour cette retranscription ! Moi j’aime quand tu fais des comptes-rendus en décalé. Je trouve ça chouette de savoir qu’il y a encore des gens pour résister à la mode oppressive du blogage-en-temps-réel. Un beau compte-rendu comme ça c’est in-tem-po-rel (et puis de toutes façons, c’est pas comme si Petipa allait soudain se mettre à innover et rendre cette conférence caduque, non ?)

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  • @Pink Lady: Ravie que cela te plaise 🙂 Surtout qu’il y en a encore quelques uns en réserve de ce style !

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