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Laurence Equilbey : “Sous Apparence est une oeuvre sur le doute”

Sous Apparence, la prochaine création de Marie-Agnès Gillot, sera donné sur la scène du Palais Garnier dès le 31 octobre. Après les premiers détails dévoilés, place à un gros plan particulier sur la musique, avec Laurence Equilbey, cheffe d’orchestre et en charge de la dramaturgie musicale. Une rencontre publique a eu lieu avec elle et la chorégraphe dans une Fnac parisienne. Par choix, je n’ai gardé que les questions concernant Laurence Equilbey, un autre article viendra consacré tout particulièrement aux explications de Marie-Agnès Gillot.

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Le Chœur Accentus que vous dirigez est-il un habitué de l’Opéra de Paris ?

Laurence Equilbey : Pour le Chœur Accentus, ce n’est pas le premier projet que l’on fait avec l’Opéra de Paris. Pour le ballet, le Chœur a ainsi déjà chanté Les Noces de Nijinsky et Amoveo de Benjamin Millepied. Pour la dramaturgie musicale, c’est quelque chose que j’ai déjà fait et que j’aime faire. En tant que cheffe d’orchestre, par contre, c’est pour moi une première.

Avez-vous eu des demandes précises pour la construction de la dramaturgie musicale de Sous Apparence ?

Laurence Equilbey : Il y avait forcément des contraintes, c’est un passage obligé. Il y avait d’abord l’ensemble Ars Nova. Puis Brigitte Lefèvre m’a dit que Marie-Agnès Gillot souhaitait des voix dans sa musique, et qu’il fallait que cela dure trente minutes. J’ai réfléchi avec ces contraintes-là quelles musiques je pourrais lui proposer. Cela m’a intéressée de faire un montage musical à partir de deux œuvres en particulier : une pièce de Bruckner, qui est une Messe en mi mineur, et une œuvre de Feldman, Rothko Chapel.

Pouvez-vous nous présenter ces deux œuvres ?

Laurence Equilbey : La Messe de Bruckner est jouée uniquement avec des voix et des vents (cuivres et bois), c’est très expressionniste. La pièce de Feldman est un hommage au peintre Mark Rothko. Olivier Mosset, qui a réalisé les décors de Sous Apparence, est justement considéré comme un post-Rothko. Feldman a écrit cette pièce aux États-Unis, où il y a une chapelle dans laquelle il y a des tableaux de ce peintre. Le compositeur procède ici de façon très personnelle, très immobile. Ces deux œuvres ont en commun d’être incantatoires, sur la demande, sur la douleur.

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Où intervient la pièce de Ligeti, Continuum ?

Laurence Equilbey : On a essayé de faire un montage qui donne vraiment ce grand angle, avec à l’intérieur cette œuvre de Ligeti pour clavecin seul. C’est une musique très turbulente, presque électronique, et qui montre au milieu de la pièce que la façon très rapide que l’on a de vivre est peut-être vaine. Sous Apparence est une œuvre sur le doute, sur la douleur. On appelle quelqu’un, ça peut être Dieu, mais ça peut être aussi une demande plus spirituelle.

Sous Apparenceest donc une pièce très sombre ?

Laurence Equilbey : Pas seulement. Dans le montage, il y a un moment que j’adore. C’est un solo d’enfant, même si ici il sera chanté par une jeune fille, mais qui aura quasiméne une voix d’enfant. Avec Marie-Agnès Gillot, c’est un passage que l’on appelle l’Appel, parce qu’il y a toujours l’espoir que les choses peuvent s’améliorer. C’est un moment très ténu. A la fin, le ballet se termine par une très jolie mélodie hébraïque que Feldman a entendu lorsqu’il avait 15 ans et qu’il a retranscrite. Elle est en boucle, c’est une très jolie mélodie qui vient du fond des âges. Il y a quelque chose du retour au source d’assez bouleversant. Je ne sais pas si c’est joyeux, mais en tout cas ça “fait du bonheur”.

Sous Apparence est donné avec une pièce de Merce Cunningham, Un jour ou deux. Comment votre musique y fait-elle référence ?

Laurence Equilbey : A un moment, j’ai rajouté une pièce chaotique de Feldman, qui s’appelle Intersection, et qui est dédié à John Cage (ndlr : compositeur de la pièce de Cunningham). Cela m’a amusée de faire ce clin d’oeil à la deuxième partie. C’est une oeuvre complètement ouverte. Elle est écrite, mais avec des improvisations de chaque musicien. Pour cette section, Marie-Agnès Gillot a fait répéter ces danseurs et danseuses avec un métronome, sans musique. Ils n’ont plus de repère musical, ils la découvriront au dernier moment… comme dans Un jour ou deux.

L’une des particularités de Sous Apparence, c’est qu’il se danse sur pointes, y compris pour les hommes…

Marie-Agnès Gillot : Les garçons n’ont pas l’habitude de travailler sur pointes, et la musique est pour eux un soutient très important, ça leur donne une stabilité.

Laurence Equilbey : C’est un ballet qui parle aussi de la douleur humaine, alors la pointe… (rires) La douleur au sens propre comme au figuré.

La danse sur cette musique-là, qu’est-ce que cela fait ?

Laurence Equilbey : Je trouvais que danser sur du Bruckner, c’est quand même exceptionnel. C’est tellement inattendu, et vraiment bouleversant… J’ai choisi en plus le Kyrie et l’Agnus Dei, qui sont de magnifiques passages. C’est un peu dans l’esprit doloriste. On sent tout ce qu’il pourrait y avoir derrière.

Commentaires (2)

  • alpha

    merci de cet avant gout… une oeuvre sur le doute, c’est une très incitation à aller découvrir cette oeuvre. Ligeti et la voix aussi… bonne fin de mise au point de ce ballet

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  • SsX

    Je ne suis pas fichue d’être sur le territoire pour voir la création de MAG.
    J’espère que quelqu’un acceptera de partager quelques images, même furtives!

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