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Odile Decq : “Ce sont les contraintes qui vous donnent des idées”

Le premier restaurant du Palais Garnier, judicieusement appelé L’Opéra, a été inauguré aujourd’hui. Pour l’occasion, rencontre avec l’architecte du projet Odile Decq. 
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Que représentait pour vous le Palais Garnier avant que vous ne preniez connaissance de ce projet ? 


C’est l’endroit où je suis allée voir pour la première fois un opéra. Aujourd’hui, j’y vais de temps en temps, mais pas pour voir des spectacles de danse, je suis désolée !

Comment avez-vous pris connaissance de ce projet ? 

J’ai reçu un coup de fil de Pierre-François Blanc, qui avait vu mon travail dans le cadre d’une exposition à la Cité de l’architecture. Il a voulu me rencontrer, et il m’a demandé si ça m’intéressait de faire ce projet. J’ai dit oui, bien sûr. Deux jours après, j’ai fait une proposition, et 15 jours après, ils m’ont dit qu’on continuait. 

Réaliser un décor contemporain dans cet ensemble classique, ça vous est venu tout de suite ?

C’était la demande du Ministère de la Culture. Il a trouvé que c’était nécessaire de faire quelque chose de contemporain. Pas pour moderniser, pour dire qu’on pouvait vivre avec son temps.
La question de la préservation des monuments historiques est quelque chose de récent. Autrefois, on ne s’en occupait pas, on faisait des interventions. On rajoutait des choses sur des monuments qu’aujourd’hui on vénère comme soit disant intactes. Même le Louvre est fait d’une collection de monuments, d’ajouts. Les puristes de l’époque d’origine trouveraient ça totalement inacceptable. Maintenant, on considère que c’est un tout global auquel on ne peut pas enlever un morceau, alors qu’en fait, il n’est fait que de morceaux qui n’ont rien a voir les uns avec les autres.
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Quels étaient les impératifs de ce projet ?

Tout de suite, on m’a donné le cahier des charges, qui avait été dicté  par le Ministère de la Culture et les Monuments historiques. Ils demandaient en particulier de ne jamais toucher ni à la coupole, ni aux piliers, de ne pas s’ancrer dedans. Ils demandaient également de ne pas fermer la coupole, de ne pas faire des remplissages avec du verre entre les piliers, comme si c’était des fenêtres. Ce sont des piliers d’une coupole qui était ouverte, et donc il ne fallait pas donner l’impression d’une coupole qui devenait fermée. Il ne fallait pas en faire une façade.

Comment avez-vous surmonté cet impératif ? 

Immédiatement, j’ai eu l’idée de faire passer un voile de verre derrière les colonnes, parce que le seul endroit que j’avais droit de toucher finalement, c’était le sol.
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Le sol de la Rotonde des Abonnés n’est pas classée ? 
Autrefois, cette coupole était l’endroit par lequel les carrioles entraient dans l’opéra pour pouvoir déposer les abonnés à couvert. Donc c’était un sol d’extérieur, avec des trottoirs, autour de tous les piliers. Je pouvais le défaire, pour pouvoir remettre tout mon sol à niveau avec le sol intérieur de l’opéra.

Comment avez-vous fait pour ne jamais toucher aux murs ? 

Ce sol m’a permis d’entrer et d’installer la façade encastrée dedans, et de venir la stabiliser uniquement en partie haute à six mètres, par des petites biellettes (ndrl : barre de liaison) qui viennent se poser au-dessus des corniches. Et puis après, la rencontre avec la rotonde en haut  ne se fait que par l’intermédiaire d’un joint. Mais il n’y a pas d’ancrage dedans. 

Toutes ces contraintes ne vous ont pas fait peur ? 

Non, ce n’est pas un problème. On a l’habitude, quand on fait des projets, d’avoir des contraintes. Et ces contraintes vous donnent des idées. Parce qu’à partir du moment où vous avez des contraintes, vous essayez de trouver un moyen d’y échapper et de trouver une solution qui résout la question que l’on vous pose. Pour ici, la question était de créer un nouveau sol à l’étage pour faire un deuxième niveau dedans, puisque le sol d’en bas ne suffisait pas à installer toutes les tables et les couverts que le client voulait. 

Comment s’est fait le choix des couleurs, le rouge et le blanc ?

J’ai proposé les deux couleurs, rouge et noir à l’intérieur de la mezzanine. Et les gens du ministère ont préfère le rouge. On m’a dit que c’était mieux, même si ce n’est pas le même rouge que la salle qui est un rouge plus carmin, et moi c’est un rouge plus vermillon. Mais c’est clairement une référence contemporaine au rouge traditionnel de l’opéra.
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Et comment est venue l’idée de la mezzanine ? 


On a commencé à dessiner quelque chose en tournant autour des poteaux. Et c’est comme ça que, petit à petit, la forme est arrivée. 
Après ça, j’ai rencontré l’architecte des bâtiments de France, qui a un peu paniqué. C’est là qu’il m’a expliqué que l’Opéra est le bâtiment historique le plus surveillé, le mieux préservé parce que c’est celui dans lequel il n’y a jamais eu d’intervention contemporaine ou moderne. Et c’est quelque choses à laquelle les Monuments historiques tiennent. Non seulement le bâtiment est préservé et protégé, mais aussi l’espace extérieur, les terrasses jusqu’à la clôture de l’espace de l’Opéra, et l’espace urbain. Toutes les façades qui sont tout autour ont été dessinées par Charles Garnier, c’est un vrai ensemble urbain, et il n’a pas été touché.

Ce n’est pas une sacrée pression ? 

Je l’ai découvert après l’avoir dessiné. Donc tout à coup, j’avais ce poids qui m’arrivait sur les épaules, mais qu’heureusement je ne connaissais pas avant. Cela m’a donné plus de liberté. On s’est expliqué. J’ai rencontré plusieurs personnes, dont le directeur de la DRAC, la représentantes des Monuments historiques. On a fait une première réunion, où j’ai présenté mon projet, avec toutes les idées que j’avais par rapport à la façon de faire tenir cette façade, la façon d’installer la mezzanine et de ne pas toucher quoi que ce soit dans les murs. Ils ont tout de suite dit que c’était un projet exemplaire. Cela m’a rassuré. 

Ils vous ont demandé de changer certaines choses ? 

Ils m’ont demandé simplement de travailler encore un peu différemment les courbes de la mezzanine, pour repousser un tout petit peu et pour dégager complètement. Il fallait faire en sorte que la clé de voûte de la coupole soit toujours visible d’en bas. Et c’est pour ça que ça fait une grande échancrure, et que ça donne deux grand porte-à-faux de part et d’autres, parce qu’il fallait dégager. Après, j’ai posé les poteaux de ma propre mezzanine en arrière, pour ne jamais mettre quoi que ce soit dans l’espace de la coupole. 
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Comment avez-vous construit cette mezzanine ? 

Les poteaux sont métalliques, ils sont ancrés dans le sol en-dessous, dans l’épaisseur entre celui du restaurant et le sous-sol, qui est d’une très très grande épaisseur. Ces poteaux sont entourés par une coque de plâtre. Dans l’espace entre la structure métallique et la coque de plâtre, passent les gaines de ventilation, le système de chauffage, les câbles électriques etc. Tout le système technique du restaurant est caché, de façon à ne pas avoir à accrocher les luminaires dans la voûte, que tout vienne uniquement sur les corniches, et que ce soit la sous-face de la mezzanine qui éclaire les tables du rez-de-chaussée. 

C’est la même technique qu’avait utilisé Charles Garnier…

C’est l’architecte en charge de l’Opéra qui me l’a expliqué. Il a construit le lieu en structure métallique, chose qu’on ne voit pas parce que tout est recouvert par la pierre. Et j’ai réalisé que je faisais la même chose. Pour moi, c’est la seule solution pour répondre a la question qu’on me posait et la contrainte que l’on me donnait.

Que représente pour vous, architecte, Charles Garnier ?

Charles Garnier, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer aujourd’hui, est un architecte extrêmement moderne pour son temps. A son époque, le style était important. Cétait du néo-classique, et lui, il a fait du baroque-classique, si je puis dire. Il a essayé de se raccorder à son temps en cachant ces structures métalliques avec la pierre, et en même temps, c’est baroque. Il a été extrêmement critiqué par tous les architectes. Il a été complètement condamné par l’académie, par tout le monde qui considérait que c’était une horreur.
C’est récent que Charles Garnier soit adulé comme ça. Jusque dans les années 1970, quand j’ai commencé mes études, Charles Garnier et le XIXe siècle, c’était considéré comme immonde. Tout est relatif. Ce n’est pas du tout définitif comme jugement, c’est temporaire. L’architecture contemporaine, c’est pareil, c’est un jugement qui est temporaire. On va considérer que certaines personnes ne vont pas aimer, certaines personnes vont aimer, et peut-être que dans 20 ans, tout le monde trouvera ça ou beau ou laid, j’en sais rien.

C’est une lourde charge de d’attaquer à Garnier ?

Il vaut mieux ne pas y penser !

Et vous, les critiques, vous y pensez ? Vous n’avez pas peur de choquer en mélangeant architecture classique et contemporaine ?

La question ne se pose plus du tout de la même façon aujourd’hui. On accepte l’éclectisme, on accepte que les choses soient différentes les une des autres, ce n’est pas très grave. On a une plus grande possibilité de diversité aujourd’hui. A l’époque, les styles étaient très très fortement organisés par l’académie.
Et puis je n’ai jamais considéré que ce qu’on faisait pouvait plaire à tout le monde. Ce que je fais, c’est ce en quoi je crois. Je sais que certaines personnes vont aimer, et que d’autres réagiront négativement à ce qu’on fait, c’est normal. Si on plaît à tout le monde, c’est que l’on reste dans un juste milieu qui n’est rien.

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