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Rencontre avec Jeroen Verbruggen pour son Casse-Noisette par le Ballet du Grand Théâtre de Genève

Casse-Noisette de Jeroen Verbruggen est repris par le Ballet du Grand Théâtre de Genève à la Maison de la Danse de Lyon, du 9 au 18 décembre. Retrouvez notre interview du chorégraphe réalisée à l’occasion de la création de ce ballet, en novembre 2014 à Genève.

Jeune chorégraphe belge de 31 ans, Jeroen Verbruggen a dansé pour le Royal Ballet de Flandre avant de rejoindre les Ballets de Monte-Carlo, pour qui il a signé quelques chorégraphies. Casse-Noisette est sa première grosse production. Jeroen Verbruggen a voulu se centrer sur le personnage de Marie, qui passe de l’adolescence à l’âge adulte. Le tout dans un univers onirique et décalé, faisant référence à de nombreux contes comme Alice aux pays des Merveilles ou La Belle au bois dormant. Rencontre au lendemain de la première.

Jeroen Verbruggen

Jeroen Verbruggen

 

Quelle était votre vision de Casse-Noisette ? Vous l’avez beaucoup dansé dans votre carrière ?

Je n’ai pas vraiment vu ce ballet étant enfant, même si bien sûr je le connaissais. En tant que danseur, j’ai eu de la chance, je n’ai pas eu l’overdose de Casse-Noisette, j’y ai toujours échappé dans chaque compagnie (rires). Sauf l’année dernière, j’ai terminé ma carrière avec le Casse-Noisette de Jean-Christophe Maillot. Je suis un peu superstitieux, je me dis que quelque part, c’était presque écrit. Je finis de danser avec Casse-Noisette et je commence autre chose avec Casse-Noisette.

 

Comment est née cette idée de s’attaquer à ce ballet ?

Avec Philippe Cohen (le directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève), nous avions parlé de plusieurs projets (ndlr : au départ, ce spectacle de l’automne 2014 devait être une Belle au bois dormant par Benjamin Millepied. Mais quand ce dernier a été nommé Directeur de la Danse à l’Opéra de Paris, le projet a été annulé). Au tout départ, ce ballet était celui qui m’intéressait le moins. Mais il fallait que je sois honnête avec moi-même, Drosselmeier était le personnage qui correspondait le plus à ce que je suis, un peu hyperkinétique, très festif et joyeux.

 

Quel a été votre axe de travail pour montrer votre vision de Casse-Noisette ?

Tout ce qui tournait autour de Noël m’attirait moins au départ, mais je ne voulais pas complètement le détruire. Il fallait donc garder quelque chose de festif. Je voulais aussi conserver les effets que je peux attendre en tant que spectateur. J’adore quand il neige sur scène par exemple.

Le livre d’Hoffmann m’a beaucoup aidé. Dans cet ouvrage, il y a le côté enfantin du conte, mais aussi des choses un peu forte pour des enfants, comme Marie qui écrase un rat. Puis on ne sait plus qui elle est, il y a quelque chose de très mystérieux, tout un aspect sur des mondes parallèles, Marie qui rêve de ce pays des Merveilles… C’est à cause du livre que j’ai voulu évoquer ce thème de l’identité. Marie n’est pas vraiment une petite fille, mais une adolescente mal dans sa peau, ce qui reste très actuel. Elle doit casser sa propre coque, tout en aidant Casse-Noisette qui est devenu un petit monstre. Marie va briser le sort, ses couches de protection que la société peut lui mettre.

 

C’est un spectacle à plusieurs interprétations ?

Il y a plusieurs lectures. Un enfant ne va pas voir tout ça, mais il va voir le spectacle, les miroirs, les paillettes. Je n’ai pas voulu non plus faire quelque chose de trop intello, cela reste un Casse-Noisette. Mais c’était important pour mes recherches, tout a du sens pour moi. Je ne peux pas mettre des paillettes juste pour faire joli.

Quelque part, il faut donner au public ce qu’il attend en voyant le nom Casse-Noisette sur l’affiche. Je voulais aussi proposer quelque chose de différent, il fallait trouver un juste milieu.

 

Mais en évoquant Casse-noisette, tout le monde pense à Noël. Votre version n’en parle pourtant pas du tout !

Ma toute première idée, c’était une scène remplie de sapins. Mais ça ne marchait pas. Le seul moyen de trouver une autre piste était donc de tout enlever, je suis un peu extrême (rires). Dans le livre, et c’est très important, Noël n’est pas au centre de l’histoire. Cela commence par là, mais c’est juste une piste pour partir dans le conte, très vite on n’en parle plus.

Casse-Noisette - Ballet du Grand Théâtre de Genève

Casse-Noisette – Ballet du Grand Théâtre de Genève

Les costumes et la scénographie font partie intégrante du ballet. Ils ont été conçus par le duo “On aura tout vu”. Comment les avez-vous rencontrés ?

J’ai rencontré l’équipe juste avant Kill Bambi, ma première création pour les Ballets de Monte-Carlo. On a travaillé ensemble pour la première fois sur cette pièce, et cela s’est incroyablement bien passé. Nous parlons le même langage. Je ne dessine pas mais j’ai des images très fortes dans la tête. Je leur dis ce que j’imagine, ce que je voudrais faire. Et ils me comprennent tout de suite. Chaque fois que je découvre leurs croquis, je me dis que c’est exactement ce que je cherchais. J’ai donc proposé à Philippe Cohen de faire ce Casse-Noisette avec eux.

 

Comment travaillez-vous ensemble ?

La scénographie fait partie de mon histoire. Nous parlons en images. Je vois un truc, puis les designers me répondent. J’ai les idées, mais je les laisse complètement libres, c’est leur esthétique. Chaque département du théâtre était aussi très investi, tout le monde y croyait. C’était une très belle expérience.

Pour le personnage de Casse-Noisette par exemple, je voulais montrer sa vulnérabilité. Nous avons une expression en flamand, “Nu jusqu’aux muscles”, quand on se révèle totalement. J’ai pris ça littéralement pour son costume. Pareil pour Marie, qui doit danser tout le premier acte avec quelque chose qui la gêne, qu’elle enlève au deuxième acte. Je raconte, non seulement avec la danse, mais aussi avec les costumes, les décors, la scénographie. On a fait ça ensemble, c’est un tout, un spectacle entier. C’est très important pour moi.

 

Votre Casse-Noisette se danse sur la partition de Tchaïkovski que vous avez déstructurée. Comment avez-vous travaillé avec cette musique ?

Pour toutes mes pièces, je pars de la musique, C’est très important, c’est de là que me viennent toutes mes idées, mes images. En écoutant en boucle la partition, je suis resté fixé sur le thème de Drosselmeier. L’idée m’est venue de ce Drosselmeier qui se multiplie en plusieurs personnages. Cette musique revient finalement trois fois dans le ballet, comme un thème. De là, est partie l’idée du bal. Je cherchais à couper le divertissement, ne pas rester traditionnel. J’ai donc mis la danse russe dans le bal. Tout s’est construit petit à petit

 

Comment avez-vous travaillé en studio avec la compagnie ?

Je suis très préparé, scène par scène, même si les pas se font à l’instant. J’ai l’image très clairement dans ma tête, je veux amener les interprètes quelque part. Dès que je bloque, parce qu’on bloque parfois, je me laisse emporter par ce que les danseurs et danseuses proposent. Et j’ai rarement vu une compagnie où les 22 danseur-se-s proposent des choses tout le temps, tout en comprenant ce que je voulais. Dans ma danse, je sais que je vais toujours contre le corps : si le bras veut aller là, je l’emmène dans une autre direction. Les danseur-se-s comprenaient tout de suite quand ce qu’ils me proposaient était trop facile. Je n’ai donc jamais véritablement bloqué. Nous avons fait cette pièce ensemble.

 

Comment avez-vous choisi les rôles principaux ?

Le niveau de la compagnie est assez égal, même si certains ont un peu plus d’expérience. J’étais attiré par certaines personnes. J’ai d’abord construit le dernier pas de deux avec quatre couples, je créais sur les quatre. Puis j’ai dû faire un choix. J’ai préféré une fille plus petite, qui ne soit pas hyper féminine. Sara Shigenari dégageait quelque chose de très boyish girl.

Pour les garçons, au départ, j’étais parti sur un seul rôle. Mon plan b était de le couper en deux si cela devenait trop lourd. Geoffrey Van Dyck avait le côté un fou de Drosselmeier, Nahuel Vega était vraiment le prince, certaines choses se sont faites naturellement. Les danseur-se-s n’ont en tout cas pas été déçus quand j’ai dû faire des choix. Tout le monde comprenait, car le travail était fait très honnêtement, j’expliquais mes décisions.

Répétition de Casse-Noisette - Ballet du Grand Théâtre de Genève

Répétition de Casse-Noisette – Ballet du Grand Théâtre de Genève

Et puis tout le monde est tout le temps sur scène…

Oui, même s’il y a des rôles, tout le monde est sur scène tout le temps. C’est un marathon pour les danseur-se-s, en coulisse aussi avec tous les changements de costumes.

Il a aussi fallu s’adapter. Je voulais ouvrir le deuxième acte avec la Valse des fleurs, qui fait presque huit minutes. Je sais que ce que je fais bouge et saute beaucoup. Si je faisais sauter pendant huit minutes toutes la compagnie, je n’allais plus tenir mon deuxième acte. Pendant les répétitions, j’ai donc dit aux danseurs : “Vous m’arrêtez dès que je saute !” (rires).

En tant que danseur, j’adorais rester sur scène, même si je ne dansais plus. Je n’aimais pas être en coulisse et attendre pendant dix minutes. De cette façon, chaque interprète fait partie de la pièce du début à la fin, c’est une concentration particulière. J’aimais ça en tant que danseur, ça se fait ainsi naturellement.

 

Vous êtes un jeune chorégraphe, Casse-Noisette est votre première grosse production. Comment Philippe Cohen vous a aidé dans cette création ? Comment intervenait-il ?

Un des points positifs est qu’il y a eu beaucoup d’échanges, on a vraiment beaucoup parlé. Parfois, Philippe Cohen pouvait faire des remarques très directement, mais il le faisait pour me remettre en question. Je sentais qu’il voulait que je réussisse.

J’avais un peu peur d’entendre des : “Il faut changer ça“.Philippe Cohen me disait plutôt : “Il y a quelque chose qui cloche dans cette scène“. C’était dur à entendre sur le moment. Puis cela pouvait m’amener à changer des choses, dans une autre scène. Et c’est ce changement qui faisait que le tout marchait mieux. Je suis aussi content de l’avoir pris comme ça, car je peux être têtu. Je prends cette chance comme une expérience pour apprendre plein de choses. C’est un pas énorme pour moi. Philippe Cohen est génial dans ce rôle de mentor. Cette expérience a été très constructive.

Il y avait beaucoup de premières pour moi avec cette production ! Première fois que je travaillais avec une compagnie que je ne connaissais que de l’extérieur, première fois que mon ballet occupait une soirée entière, première fois que je raconte une histoire, première fois avec un orchestre… C’était aussi la première fois que je travaillais avec autant d’interprètes. Le Ballet du Grand Théâtre de Genève compte 22 danseurs et danseuses et je devais faire danser tout le monde. Avant, mon maximum avait été de travailler avec 12 danseurs. J’avais un petit peu peur au début d’arriver dans une maison que je ne connaissais pas. Mais je suis très content du résultat et de l’investissement des artistes. C’était un challenge. Mais j’adore les défis. Même s’il n’y en a pas, je vais m’en mettre, sinon je n’y arrive pas. J’aime avoir quelque chose de difficile à régler.

 

Quels sont vos projets en tant que chorégraphe ? Ce travail sur Casse-Noisette vous a-t-il donné envie de revisiter d’autres ballets classiques ?

Ce travail sur ce ballet narratif a été une révélation, j’y ai pris goût ! Pour l’instant, je prépare une nouvelle création pour les Ballets de Monte-Carlo, en juillet prochain. Je serais aussi de retour en octobre 2016 au Grand Théâtre de Genève. J’ai par contre arrêté de danser. Je ne pouvais plus danser et chorégraphier, l’un des deux en aurait souffert à un moment. C’était important pour moi de me fixer sur une chose, Casse-Noisette n’aurait pas pu être aussi investi. Redanser n’est pas exclu, mais en tout cas pas au sein d’une compagnie.

 

Commentaires (1)

  • Spectateur

    Décors et costumes minimalistes, manque de lisibilité dans la scénographie, absence de rigueur dans les déplacements. Très très décevant. Sous pretexte d”une relecture moderne de l”oeuvre d’hoffmann la choregraphie se trouve déconnectée du sujet. Bref, le chorégraphe a mis en avant ses propres envies en oubliant l’oeuvre, la musique et les spectateurs…
    Sans intérêt.

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