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Gypsy d’Arthur Laurents, Jule Styne et Stephen Sondheim – Mise en scène de Laurent Pelly avec Natalie Dessay

Stephen Sondheim est décidément à l’honneur cette saison sur les scènes françaises. Après la réussite de Company, c’est au tour de Gypsy de faire sa première hexagonale. Ce titre ne vous dit peut-être pas grand chose, mais il s’agit pourtant d’un véritable tube dans les pays anglo-saxons où toutes les grandes actrices rêvent de se confronter un jour à Rose, le rôle principal Ici, Natalie Dessay a la lourde tâche d’enfiler les habits de ce personnage mythique dans une version concert mise en espace par Laurent Pelly. Hélas, malgré une jeune troupe très talentueuse et la vive direction musicale de Garteh Valentine, l’ensemble ne parvient pas à rendre justice à ce chef-d’œuvre de la comédie musicale.

 

Gypsy – Neima Naouri (Louise) et Natalie Dessay (Rose)

 

Peu connu en France, Gypsy représente pourtant la quintessence de ce qu’on appelle l’âge d’or de Broadway. Basée sur les mémoires de Gypsy Rose Lee, vedette du burlesque dans les années 1940, cette comédie musicale est née de la volonté du producteur David Merrick (qui faisait la pluie et le beau temps sur la Great White Way) et de la grande comédienne et chanteuse Ethel Merman. Afin de mettre en valeur cette star du musical, créatrice des premiers rôles d’Anything Goes et Annie Get Your Gun, la fine équipe derrière West Side Story (Leonard Bernstein en moins) a été appelée : Jerome Robbins à la mise en scène et à la chorégraphie, Arthur Laurents au livret et le jeune Stephen Sondheim à la partition. Pour la première fois, ce petit génie allait composer pour Broadway, et pas uniquement écrire les paroles. C’était sans compter sur Ethel Merman, un peu diva sur les bords, qui voit d’un mauvais œil que la partition d’un projet dont elle est la vedette soit confiée à un artiste avec aussi peu d’expérience. Au grand dam de Stephen Sondheim, qui songe un temps à quitter l’aventure, Jule Styne est appelé pour la composition. Ce dernier a déjà de nombreux tubes à son actif – tels que My Heart Belongs To Daddy, Let It Snow ou encore Diamonds Are a Girl’s Best Friend – et composera quelques années plus tard Funny Girl.

L’histoire suit Rose, une femme prête à tout pour que ses deux filles deviennent des stars du vaudeville. Enfin, surtout June la cadette, bien plus mignonne et talentueuse que sa sœur aînée, la discrète Louise. Mais June finit par se lasser des manigances de sa mère et la quitte sans crier gare pour mener seule sa carrière. Plutôt que de tourner la page, Rose jette son dévolu sur Louise qui deviendra, par un concours de circonstances, la fameuse Gypsy Rose Lee. Sans battre tous les records lors de sa création en 1959 – une saison particulièrement riche avec notamment la première de La Mélodie du bonheur – Gypsy reçoit un bel accueil. Depuis, le rôle de Rose, parfois surnommé « le Roi Lear de la comédie musicale », attise les convoitises de toutes les stars du genre, ce qui fait que l’œuvre est régulièrement reprise. Angela Lansbury, Bette Midler, Bernadette Peters, Patti LuPone ou encore Imelda Staunton ont marqué de leur empreinte cette figure mythique du répertoire. Actuellement, la grande Audra McDonald, lauréate de six Tony Awards (un record pour un-e interprète), s’empare du rôle, faisant d’elle la première actrice noire à incarner Rose à Broadway.

 

Gypsy à la Philharmonie de Paris

 

Malgré son statut de grand classique, le sujet très américain de Gypsy l’a tenu à l’écart des scènes françaises. Même Jean-Luc Choplin, qui a pourtant monté de nombreuses pièces de Sondheim, ne s’y est pas aventuré. Il faut donc attendre Laurent Pelly et cette version semi-scénique proposée par la Philharmonie de Paris pour que Gypsy fasse ses débuts en France. Et comme toute production de cette comédie musicale, celle-ci est montée autour de l’interprète de Rose : Natalie Dessay. Immense soprano colorature à la notoriété internationale, cette chanteuse a depuis une dizaine d’années entamé une reconversion vers le théâtre et la comédie musicale, particulièrement le répertoire de Michel Legrand et… Sondheim ! Après avoir incarné Fosca dans Passion au Théâtre du Châtelet, et avant d’enfiler le tablier de Mrs Lovetts dans Sweeney Todd à l’Opéra du Rhin, elle se lance un défi en prenant ce rôle colossal, tant vocalement qu’émotionnellement. Un véritable challenge pour la comédienne qui s’avère malheureusement un peu trop difficile sur ses deux points.

Vocalement, la partition de Gypsy, écrite sur mesure pour la puissante voix d’alto d’Ethel Merman (une belteuse comme on dit dans le milieu), ne lui est pas naturelle. Pourtant elle ne triche pas et montre un véritable effort stylistique. Mais malheureusement, les notes lui semblent soit trop aigus, soit trop graves, ce qui la force à jongler entre les registres pour un résultat pas toujours très harmonieux. Les grands numéros très attendus du premier acte – Some People et Everything’s Coming Up Roses – en pâtissent particulièrement. À l’inverse, elle trouve un vrai confort dans la douce ballade Small World et se montre surprenante dans son grand solo final, Rose’s Turn. En termes de jeu, il faut reconnaître que Natalie Dessay donne de sa personne avec beaucoup d’engagement, une qualité qui faisait des merveilles pour elle dans le répertoire lyrique. Malheureusement, il manque des nuances pour rendre le personnage vraiment crédible et ça en devient à la limite de la caricature par moment. Le tout semble en surface.

 

Gypsy – Natalie Dessay (Rose) et Daniel Njo Lobé (Herbie)

 

Mais la faute revient surtout aux coupes, assez sales, effectuées dans le livret. La quasi-totalité des scènes sont conservées, mais de nombreuses répliques sont omises afin de tout caser en moins de 2h30, entracte inclus (la production qui se joue actuellement à Broadway dure 15 minutes de plus). Il y a certes du rythme, mais tout semble précipité. Pire, la grande confrontation entre Rose et Louise, vers la fin du deuxième acte, perd tout son sens tant elle est charcutée. Le final arrive donc comme un cheveu sur la soupe, sans créer un véritable impact. Pour faire découvrir une comédie musicale réputée pour avoir l’un des meilleurs livrets jamais écrits, ce manque de considération pour la dramaturgie demeure incompréhensible. Une dramaturgie déjà bien mise à mal par l’alternance entre le français (les dialogues) et l’anglais (les chansons). Au risque de répéter ce que j’ai dit pour Company : en comédie musicale, on traduit tout ou on ne traduit rien.

C’est d’autant plus regrettable que la mise en espace de Laurent Pelly fonctionne plutôt bien. À l’image de la production de Chicago qui tourne dans le monde entier (et qui reprend à la rentrée au Casino de Paris), orchestre et comédien.ne.s partagent l’espace scénique. L’action se déroule sur une grande passerelle encerclant la fosse, clin d’œil au vaudeville américain. Sobre et élégante, avec tout le monde en noir et blanc sauf Rose qui porte du rouge, la mise en scène rend l’action très lisible malgré un espace scénique restreint. Une contrainte qui n’empêche pas d’avoir de vrais numéros de danse avec en tête  All I Need is The Girl, le grand solo chorégraphié de Tulsa, l’un des garçons de la troupe de Rose, très bien interprété par Antoine Le Provost.

 

La troupe de Gypsy

 

Dans l’ensemble, les jeunes interprètes qui composent la distribution, pour la plupart fraîchement sorti.e.s d’école de comédie musicale, livrent une très belle prestation. Neïma Naouri incarne le rôle-titre, et partage donc ici la scène avec sa vraie mère. Si je dois avouer qu’elle ne m’avait pas vraiment convaincu sur Forum et Company, elle se révèle dans ce rôle de jeune fille timide qui finit par s’affranchir de sa mère et s’accomplir en tant que femme et performeuse. Malgré les coupes bancales dans les dialogues, elle parvient à parfaitement retranscrire l’évolution de son personnage. Medya Zana se démarque également en June, l’adolescente blasée par les enfantillages que sa mère la force à performer. Ses deux jeunes femmes offrent un très beau duo au premier acte. Ce numéro – If Momma Was Married est assurément le meilleur passage de cette représentation avec le jubilatoire trio des strip-teaseusesYou Gotta Get a Gimmick interprété par les excellentes Barbara Peroneille, Marie Glorieux et Kate Combault. Et puis il y a le plaisir d’entendre la partition de Jule Styne sublimée par l’Orchestre de Chambre de Paris sous la baguette de Gareth Valentine, un spécialiste de la comédie musicale. Comme pour Company, c’est un véritable privilège d’entendre ces partitions jouées par un grand orchestre, des formations comme il n’en existe plus sur les scènes de Broadway ou du West-End.

Si l’initiative de proposer Gypsy pour la première en France reste un effort tout à fait louable, et même bienvenu, le résultat final n’atteint pas les sommets espérés. Le format concert, même mis en espace, était-il le plus adapté à cette œuvre aussi théâtrale ? Je ne crois pas. Malgré de très bons moments, cette soirée peine à refléter toutes les qualités de ce chef-d’œuvre.

 

La troupe de Gypsy

 

Gypsy d’Arthur Laurents (livret), Jule Styne (musique) et Stephen Sondheim (paroles). Mise en scène : Laurent Pelly. Chorégraphie : Lionel Hoche. Direction musicale : Gareth Valentine, Orchestre de Chambre de Paris. Avec Natalie Dessay (Rose), Neima Naouri (Louise), Medya Zana (June), Daniel Njo Lobé (Herbie), Antoine Le Provost (Tulsa), Barbara Peroneille (Mazeppa), Marie Glorieux (Electra), Kate Combault (Tessie Tura), Juliette Sarre (Miss Cratchitt, Agnès), Rémi Marcoin (L.A.), David Dumont (Kansas), Léo Gabriel (Yonkers), Thomas Condemine (Uncle Jocko, Weber, Pastey), Pierre Aussedat (George, père de Rose, Cigar, Mr Goldstone) et les enfants de la Maîtrise populaire de l’Opéra-Comique. Vendredi 18 avril 2025 à la Philharmonie de Paris. À voir les du 30 avril au 3 mai 2025 au Grand Théâtre de la Ville du Luxembourg, du 29 au 31 décembre 2025 au Théâtre de Caen et les 10 et 11 janvier 2026 à l’Opéra de Reims.

 
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Commentaires (1)

  • Catherine Cozzano

    Je suis tout à fait d’accord avec votre critique. J’en suis sortie frustrée de voir des français se confronter à la comédie musicale américaine, sans jamais y parvenir comme les américains savent si bien le faire. C’est raté à part le solo du garçon qui est à la hauteur de la tâche. Et l’orchestre qui était très bien.

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