TOP

Vollmond de Pina Bausch – Tanztheater Wuppertal + Terrain Boris Charmatz

Créée le 11 mai 2006 à Wuppertal, Vollmond est l’une des dernières pièces de Pina Bausch décédée il y a seize ans. La chorégraphe avait choisi de la faire figurer dans le très beau Pina de Wim Wenders sorti en 2011. Celle qui nous a habitués à des dispositifs impressionnants (sol recouvert de tourbe pour Le Sacre du printemps ou d’œillets pour Nelken) assouvit ici notre soif de beauté grâce à une éblouissante scénographie signée de Peter Pabst où l’eau occupe une place centrale. Dans ce chassé-croisé sensuel auquel se livrent ces quatorze femmes et hommes durant une nuit de pleine lune, la légèreté et l’humour le disputent à la gravité, sans doute moins marquée que dans d’autres pièces. Portée par la compagnie renouvelée où l’on retrouve trois silhouettes familières historiques, Vollmond se reçoit et se vit comme un « moment d’amour pur » dont on ressort éblouis.

 

Vollmond de Pina Bausch –  Tanztheater Wuppertal Pina Bausch

 

Si les murs du Théâtre de la Ville pouvaient parler, ils raconteraient tous ces rendez-vous avec Pina Bausch qui se perpétuent depuis près de cinq décennies comme un émouvant pèlerinage. Le sentiment d’assister à un rituel est palpable. La salle est comble. Dehors, les partisans de la dernière chance tentent une ultime tentative pour décrocher un précieux sésame. Un jeune homme digne, pancarte serrée sur son cœur, attend en vain qu’un cadeau inespéré tombe du ciel. Vollmond, l’une des dernières oeuvres de Pina Bausch, est celle qui a été choisie pour cette tournée 2025. 

Sur la scène nue, un impressionnant rocher occupe une place monumentale. L’ouverture réunit deux hommes jouant avec les sonorités générées par des bouteilles d’eau vides qu’ils agitent en tous sens. Les gestes sont minimalistes, l’attention du public d’emblée happée par cette séquence itérative. Ils sont rejoints par un troisième homme qui fend l’air avec un bâton. Le solo qui suit est à couper le souffle, comme une lutte face à un ennemi invisible. Les chaises arriveront après, les femmes en robes de soirée sur des talons démesurés aussi, mais nous sommes déjà chez Pina Bausch, dans cet univers singulier dont elle seule peut être l’instigatrice.

Puis, c’est la valse des entrées et des sorties. Les interprètes se frôlent, s’empoignent, se lancent dans des courses effrénées, s’embrassent du bout des lèvres, en se hissant sur la pointe des pieds ou à en perdre haleine. Ce qui se joue sous nos yeux s’écrit dans un mélange de vélocité et de grâce. Des membres les plus anciens, il ne reste que quelques figures comme Julie Anne Stanzak, Ditta Miranda Jasjfi ou Azusa Seyama Prioville auxquelles se mêlent désormais d’autres interprètes. Le charisme de certain.e.s comme Nicholas Losada saute aux yeux.

Dans cette succession d’instantanés sans lien apparent les uns avec les autres, il ne faut pas chercher de fil narratif . « Quel pied ! », répète plusieurs fois une danseuse en brandissant son verre dans un rire forcé quand une autre se frotte les bras avec un demi-citron coupé en s’écriant : « Je suis un peu amère ». Et que dire de celle-ci qui met au défi plusieurs partenaires de défaire le plus vite possible les agrafes de son soutien-gorge. Ou celui-là qui dégomme à distance un gobelet en plastique sur la tête de sa partenaire à l’aide d’un pistolet en plastique. La vie dans son prosaïsme et son absurdité. « Vaut-il mieux un grand amour en une seule fois ou un tout petit peu d’amour chaque jour ? », s’interroge encore celle-ci. Au final, même dissimulée dans une ironie mordante, c’est toujours la complexité des sentiments qui cimentent les rapports humains que l’on explore dans les pièces de Pina Bausch.

 

Vollmond de Pina Bausch –  Tanztheater Wuppertal Pina Bausch

 

Mais l’élément central et la principale curiosité de Vollmond réside dans cette eau qui tombe des cintres et qui, au fur et mesure de l’avancée de la pièce, redouble d’intensité. Elle façonne le lit d’une rivière qui prend de plus en plus de place. Elle semble aimanter les danseurs et danseuses qui la traversent, s’y ébattent, nagent. Les références se bousculent tant la symbolique est puissante. Libre à chacun et chacune d’entre nous de projeter dans ce feu d’artifice aquatique sublimé par les lumières. On se met en pilote automatique. On ne cherche plus à décrypter ce que la chorégraphe a voulu nous dire. On laisse les images émerger. Une danseuse allongée flottant sur un matelas pneumatique dérive de jardin à cour et c’est Ophélie qui imprime notre rétine.

« Longtemps, j’ai pensé que le rôle de l’artiste était de secouer le public. Aujourd’hui, je veux lui offrir sur scène ce que le monde, devenu trop dur, ne lui donne plus : des moments d’amour pur. » Comment résumer autrement ce puzzle énigmatique à la fin frénétique où tous les interprètes s’unissent pour danser ? Soirée de pleine lune où les émotions sont plus intenses et les tensions exacerbées, Vollmond se pare d’un halo mystérieux et devient un rituel sacré dansant symbole de renouveau, de purification et de bonheur partagé.

 

Vollmond de Pina Bausch –  Tanztheater Wuppertal Pina Bausch

 

Vollmond de Pina Bausch par le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch + Terrain Boris Charmatz. Avec Edd Arnold, Dean Biosca, Emily Castelli, Maria Giovanna Delle Donne, Taylor Drury, Samuel Famechon, Ditta Miranda Jasjfi, Reginald Lefebvre, Alexander López Guerra, Nicholas Losada, Blanca Noguerol Ramírez, Azusa Seyama, Julie Anne Stanzak, Christopher Tandy. Vendredi 9 mai 2025 au Théâtre de la Ville à Paris. À voir jusqu’au 23 mai 2025 (complet).

 
 
VOUS AVEZ AIMÉ CET ARTICLE ? SOUTENEZ LA RÉDACTION PAR VOTRE DON. UN GRAND MERCI À CEUX ET CELLES QUI NOUS SOUTIENNENT. 
 



Poster un commentaire