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Last Work de Ohad Naharin – Ballet de l’Opéra de Lyon

Le Ballet de l’Opéra de Lyon, doué pour l’éclectisme des styles, fait entrer à son répertoire Last Work d’Ohad Naharin, chorégraphe emblématique de la danse israélienne. L’œuvre choisie est emblématique du chorégraphe créée il y a dix ans. Le temps passe mais la pièce, percutante, n’a rien perdu de son acuité. Peut-être résonne-t-elle avec encore plus de force aujourd’hui. Le virtuose Ballet de l’Opéra de Lyon s’en empare magistralement.

 

Last Work de Ohad Naharin – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

Le Ballet de l’Opéra de Lyon, troupe d’excellence contemporaine, a en coeur de cible le répertoire de la fin du XXe siècle (William Forsythe, Jiří Kylián and co) et la création où elle aime aller tous azimuts, de la grande virtuosité aux oeuvres performatifs ou de danse-théâtre. Mais dans tout cet éclectisme, la grande vague de la danse israélienne en était peu ou prou absente, hasard des rencontres et des envies. Il aurait été tout de même dommage que cette troupe ne s’en empare pas à un moment ou à un autre. C’est donc chose faite, et de manière percutante, par l’entrée au répertoire de Last Work d’Ohad Naharin, chef de file de toute cette lignée souvent née à la Batsheva Dance Company, compagnie qu’il a dirigée pendant 28 ans et dont il est toujours le chorégraphe en résidence. Il créa Last Work il y a tout juste dix ans, en 2015. La pièce est aujourd’hui l’une de ses œuvres emblématiques, symbole de la technique Gaga qu’il a mise au point. Et d’une actualité farouche.

Le rideau s’ouvre sur une coureuse, solitaire, en fond de scène côté jardin, vêtue d’une robe bleu foncé fluide et de baskets. Elle a le regard décidé, planté au loin, la course sûre sur son tapis mais si on ne sait pas vraiment où elle va, et peut-être qu’elle non plus d’ailleurs n’en a aucune idée. Imperturbablement, elle va reste là tout du long de la pièce, à courir sans bouger la tête ni changer le regard, quoi qu’il se passe sur le plateau. Cette image de cette runneuse et sa course vaine, qui ne baisse pas le rythme durant l’heure du spectacle même si apparaissent au fur et à mesure la transpiration et la fatigue physique visible, est ce qui nous poursuit longtemps après avoir vu Last Work. Et ce qui revient instantanément dès que le rideau se lève. Je commence à avoir vu un certain nombre de pièces de Ohad Naharin, je les confonds parfois ou ne les identifiant plus forcément à la lecture du titre. Je ne me souvenais plus, en entrant à l’Opéra de Lyon, si j’avais déjà vu Last Work. Dès que le rideau s’est levé sur cette coureuse, à la fois au centre de tout et absente de l’ensemble, tout est revenu.

 

Last Work de Ohad Naharin – Ballet de l’Opéra de Lyon

 

« Un moment crépusculaire, entre douce rêverie et réveil cauchemardesque, sur le seuil d’un dilemme : suivre la marche du monde en espérant une renaissance, ou sombrer dans l’abîme de l’oubli« . Voilà la note d’intention de Last Work à sa création. En scène, les corps des danseurs et danseuses sont constamment soumis à cette contradiction : c’est de cette sensation que naissent leur mouvement, leurs gestes, selon le principe de la technique Gaga. Tout ça est un peu abstrait à raconter, d’autant plus que Last Work est fondamentalement organique et sensitif. Une virtuosité instinctive, née du grand état de disposition à la sensation dans laquelle sont amenés les artistes en plateau (et qui rend, je l’avoue, cette chronique difficile à écrire tant tout se vit sur le moment).

Sur une musique traditionnelle, un danseur entre en plateau, puis un deuxième, dans une sorte de désarticulation un peu hagarde. Petit à petit, le groupe se forme, prend son énergie des autres, jusqu’à un véritable état de transe porté la musique devenue électro, comme une rave party de la jeunesse fiévreuse israélienne, qui danse comme un exutoire. Alors que le groupe vibre à l’unisson, mais chacun et chacune dans ses propres sensations, quelques personnages prennent place à côté de la coureuse éperdue. L’un, de dos, semble se masturber. En fait il astique une mitraillette. Le bruit assourdissant des tirs met fin instantanément à cette haletante transe collective, nous ramenant irrépressiblement aux horreurs du 7 octobre (Last Work a été créé 8 ans plus tôt).

Un danseur arrive en courant et enroule chaque artiste avec du scotche. Le geste semble arrêté, chacune et chacune engluée sur sa position, incapable de réagir face à la violence inattendue de leur monde. Un drapeau blanc apparaît, brandit avec un geste vindicatif. Mais au final, malgré les efforts de tous et toutes, il n’arrive pas à rester ouvert, volant mollement avant de retomber. Cette jeunesse apparaît comme pétrifiée face à l’horreur humanitaire de ce qui se passe pas loin de chez elle, figée dans son mouvement et dans ses sensations, incapable de réaction. Seule la coureuse continue sa course éperdue et vaine, allant comme droit dans le mur. Last Work ne défend pas une narration particulière, même si les symboles mis en plateau ne sont pas là par hasard. Mais l’on ne peut qu’être frappée de plein fouet par la réalité écrasante de 2025 qui semble naître instinctivement de cette pièce, pourtant créée il y a dix ans. Peut-être que tout était déjà là.

 

Last Work de Ohad Naharin

 

Last Work de Ohad Naharin par le Ballet de l’Opéra de Lyon, avec Yuya Aoki, Jacqueline Bâby, Eleonora Campello, Jeshua Costa, Katrien de Bakker, Tyler Galster, Livia Gil, Paul Grégoire, Jackson Haywood, Mikio Kato, Amanda Lana, Eline Larrory, Almudena Maldonado, Éline Malègue, Albert Nikolli, Amanda Peet, Leoannis Pupo-Guillen, Roylan Ramos, Marta Rueda, Ryo Shimizu, Emily Slawski, Giacomo Todeschi, Alejandro Vargas et Kaine Ward, et Maëlle Garnier et Eugénie Bourdy (coureuse). Lundi 14 avril à l’Opéra de Lyon. À voir du 14 au 16 mai à La Villette à Paris.

 
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