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Soirée Danseurs Chorégraphes – Ballet de l’Opéra de Paris

Lorsque l’année dernière, le Directeur de la Danse de l’Opéra de Paris José Martinez a relancé les soirées Danseurs Chorégraphes, dix artistes du Ballet (dont deux femmes) s’étaient lancé le défi de créer une chorégraphie avec leurs collègues de la compagnie. Ces programmes représentent, pour le public, un moment privilégié pour découvrir les danseurs et danseuses sous l’angle de la création, et en retour pour les interprètes, de mettre en œuvre une facette plus personnelle de leur sensibilité artistique. En 2025, les propositions sont deux fois moins nombreuses, et toutes réalisées par des hommes. Chorégraphes novices ou aguerris, le quintet a présenté à l’Amphithéâtre Olivier Messiaen de l’Opéra Bastille un programme éclectique, mêlant technique classique et langages contemporains, œuvres de jeunesse et de maturité.

 

0’00 de Axel Ibot – Ballet de l’Opéra de Paris – Letizia Galloni

 

Après avoir été programmée en pleine série de Don Quichotte l’année dernière, la soirée Danseurs Chorégraphes du Ballet de l’Opéra de Paris a lieu cette fois en parallèle de la Sylvia de Manuel Legris. Ce concours de circonstances contribue sans doute à expliquer la réduction par deux des créations présentées. Elle laisse cependant perplexe quant à l’absence de femmes chorégraphes, également effacées – à l’exception de Sharon Eyal – dans la programmation générale de la saison. La compagnie a donc encore du chemin à parcourir pour encourager l’accès à la création de ses artistes et donner à une graine d’étoile chorégraphe la chance de s’épanouir.

Après avoir brillé dans les concours internationaux, Rubens Simon s’illustre dans la compagnie parisienne depuis 2021, principalement dans les ballets de répertoire. Ainsi sa première chorégraphie, Il en va de nous, est-elle le reflet de sa jeunesse et de sa formation classique. En voix off, un homme et une femme y parlent d’amour, citant les vers de Victor Hugo ou de Charles Baudelaire. Au fil de leur conversation ponctuée de passages dans le noir, six interprètes, également parmi les plus jeunes recrues de la compagnie, mettent tour à tour leurs pas dans ces mots. Avec Hortense Millet-Morin et Micah Levine, l’amour voit la vie en jaune joyeux et candide. Puis il se teinte d’une mélancolie douce-amère avec la longue robe bleue d’Apolline Anquetil, figure d’Elsa bientôt rejointe par son Aragon, Corentin Dournes. Il se transforme enfin en jeu de séduction mené par Tosca Auba et Manuel Giovani dans les tons magenta. Avec cette pièce légère, Rubens Simon cultive l’harmonie des couleurs primaires, l’équilibre des formes et l’élégance du vocabulaire classique. Outre quelques fragilités techniques et musicales, elle est encore un peu trop sage pour se risquer à détourner les schémas amoureux masculin-féminin.

 

Il en va de nous de Rubens Simon – Ballet de l’Opéra de Paris – Hortense Millet-Morin et Micah Levine

 

Si Jupiter doit son nom à la partition homonyme de Gustav Holst, la création de Manuel Garrido frappe d’abord par son faux-air de L’Oiseau de feu de Maurice Béjart. Le parallèle est à peine étonnant : le danseur-chorégraphe en a interprété un extrait en octobre dernier lors du Concours de promotion interne du Ballet. Il l’est encore moins lorsque l’on sait que la pièce est pensée comme un patchwork autobiographique : inspiré par ses années de gymnastique rythmique, Manuel Garrido compose un quatuor d’interprètes en académiques orange vif, accompagné d’un cerceau. Sur la mélodie syncopée portée par les cuivres, les cordes et les bois, les quatre silhouettes se succèdent, en solo ou en duo, dans des enchaînements de sauts et de portés acrobatiques. À ce jeu, Clara Mousseigne s’impose en impeccable technicienne, à la fois agile et précise dans ses pirouettes, fouettés et arabesques, affichant un sourire au diapason du Jupiter de Gustave Holst, désigné comme « celui qui apporte la gaieté ». Cependant, dans une pièce sans argument narratif, l’attention se porte d’autant plus sur la composition chorégraphique. Las ici, outre le vocabulaire de pas limité, la syntaxe reste assez élémentaire, tandis que les possibilités d’innovation offertes par le cerceau sont timidement explorées. Malgré la joie des artistes, Jupiter n’a pas la majesté du dieu des dieux romains.

A l’inverse, avec son esthétique lugubre et l’atmosphère inquiétante instillée par la musique d’Evgueni Galperine, Minuit revendique le côté obscur de la soirée. Si Yvon Demol développe sa propre pratique chorégraphique depuis une dizaine d’années, cette création évoque d’emblée l’univers dark de la Batsheva Dance Company. Point de hasard là non plus : en tant que danseur du Ballet de l’Opéra, il a travaillé avec plusieurs chorégraphes de la troupe israélienne, dont Ohad Naharin (Decadance et Sadeh21) et surtout Sharon Eyal (Faunes et tout récemment Vers la mort). Nourri par ces influences, le danseur-chorégraphe figure une silhouette, immobile sous une lumière blafarde, à demi-habillée de noir par Charlie Le Mindu – voile, brassière et chaussettes montantes. Le regard fixé au loin, elle reste impassible face aux corps vêtus à l’identique qui sortent de l’ombre et rôdent autour d’elle tels des prédateurs. Formant bientôt une ronde de créatures de la nuit, six artistes alternent entre unissons, canons et pas de deux. Leurs gestes s’y déploient dans une tension entre axes vertical et horizontal : ondulations et allongements de la colonne vertébrale, cambrures des bras vers l’arrière et poitrine projetée en sens contraire. Pourtant, le vocabulaire chorégraphique, tout comme les corps qui lui donnent forme, reste fondamentalement ancré dans la technique classique. La danse donne alors l’étrange impression de lutter contre elle-même sans parvenir toutefois à trouver une voie de libération.

 

Minuit de Yvon Demol – Ballet de l’Opéra de Paris – Seojun Yoon et Naïs Duboscq

 

Dans un clair-obscur aux reflets bleutés, 0’00 dévoile également une silhouette intrigante. Mais tandis qu’au loin monte un bourdonnement sourd, cette mystérieuse danseuse intégralement couverte de paillettes argentées, entame un piétiné stationnaire sur pointes, ondulant des bras comme pour prendre son envol. Ainsi, avant même que l’on distingue les notes distordues de la partition de Camille Saint-Saëns, la pièce d’Axel Ibot convoque déjà le spectre d’Anna Pavlova dans La Mort du cygne. Le pari était risqué, tant ce solo emblématique, chorégraphié par Michel Fokine pour la ballerine russe au début du siècle dernier, a déjà été réinterprété et revisité par les plus grands noms de la danse classique. Mais l’idée d’Axel Ibot trouve son originalité en imaginant une créature hybride et hypnotisante, tantôt sirène, tantôt diva à la Dalida. Pour incarner cette figure kaléidoscopique, Letizia Galloni est une interprète idéale : de retour cette saison dans le Ballet après avoir passé un an et demi au Tanztheater Wuppertal Pina Bausch alors dirigé par Boris Charmatz, elle atteint une liberté de mouvement qui bien souvent résiste aux artistes formés par l’institution parisienne. Si 0’00 frappe d’abord comme vision éphémère, elle se prolonge par l’impression étrangement captivante de son passage.

À perte de vue et au-delà reste de loin la pièce la plus touchante du programme. Fruit de la rencontre de Maxime Thomas, qui signe également la chorégraphie, et Gladys Foggea, danseuse et chorégraphe guadeloupéenne et paraplégique, ce pas de deux établit un véritable dialogue de corps. Alors que lui s’abandonne à une posture de vulnérabilité, elle demeure assise telle une force tranquille, offrant un soutien presque maternel à son partenaire. Explorant leurs déséquilibres pour mieux se rejoindre dans leurs différences, les deux interprètes travaillent particulièrement le port des bras – tantôt parallèles, tantôt enveloppants, fermes ou délicats – avec une sensibilité et une légèreté profondément émouvantes. Loin de constituer une limite au mouvement, le fauteuil devient au contraire un moyen de repenser la mobilité. Il tend même à s’effacer tant les deux interprètes partagent la danse à égalité, jusqu’à ce qu’il revienne vide au milieu de la scène. Cette absence marque alors la présence tutélaire de l’écrivaine, professeure et journaliste disparue Maryse Condé, à qui les artistes ont souhaité rendre hommage par ce duo. Œuvre de maturité et d’humanité, À perte de vue et au-delà semble élargir les horizons du danseur-chorégraphe au sein de la compagnie. Espérons que les artistes du Ballet, hommes et femmes, seront de nouveau invités à prolonger cette ouverture par leurs créations.

 

A perte de vue et au-delà de Maxime Thomas – Ballet de l’Opéra de Paris – Maxime Thomas et Gladys Foggea

 

Soirée Danseurs Chorégraphes par le Ballet de l’Opéra de Paris. Il en va de nous de Rubens Simon, musique Arthus Raveau, avec Apolline Anquetil, Hortense Millet-Morin, Tosca Auba, Micah Levine, Corentin Dournes et Manuel Giovani ; À perte de vue et au-delà de Maxime Thomas, musique Serge Gainsbourg, avec Gladys Foggea (artiste invitée) et Maxime Thomas ; Jupiter de Manuel Garrido, musique Gustav Holst, avec Clara Mousseigne, Elizabeth Partington, Rémi Singer-Gassner et Manuel Garrido ; 0’00 d’Axel Ibot, musique Paul Fleury, avec Letizia Galloni ; Minuit d’Yvon Demol, musique Evgueni Galperine, avec Apolline Anquetil, Naïs Duboscq, Seojun Yoon, Milo Avêque, Keita Bellali et Nathan Bisson. Vendredi 9 mai 2025 à l’Amphithéâtre Olivier Messiaen de l’Opéra Bastille.

 
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Commentaires (1)

  • phil

    il me semble que la chorégraphie de Mr Axel Ibot (cabaret « Les Moches ») a deja été dansé par Mme Awa Joannais.

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