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360 de Mehdi Kerkouche – CCN de Créteil et du Val-de-Marne / EMKA

Après le succès de Portrait, Mehdi Kerkouche poursuit son ascension en présentant sa dernière création au Théâtre de Chaillot, avant une grande tournée, notamment des festivals. Dans une volonté de créer une connexion entre le public et le plateau, il signe une expérience à 360° où les spectateurs et spectatrices sont invitées à se mouvoir autour des artistes. Malgré un début engageant et un final cathartique, dans une danse où se mêlent de multiples influences, la pièce se perd néanmoins en cours de route, laissant une pointe de frustration.

 

360 de Mehdi Kerkouche – CCN de Créteil et du Val-de-Marne / EMKA

 

En quelques années, Mehdi Kerkouche a réussi à s’imposer comme un visage incontournable de la danse française. Après s’être illustré comme danseur, notamment auprès de Kamel Ouali (les ados des années 2000 se souviennent avec émotion de ses prestations dans Le Roi Soleil ou Cléopâtre), il se lance dans la chorégraphie. D’abord pour la télévision ou les jeux vidéos (si vous avez joué à Just Dance, vous avez sûrement dansé du Mehdi Kerkouche) puis pour sa compagnie EMKA qu’il fonde en 2017. Mais c’est au moment du confinement que sa notoriété explose grâce à ses vidéos sur les réseaux sociaux et la mise en place de la manifestation On danse chez vous. Par la suite il est invité par Aurélie Dupont pour rejoindre l’affiche d’une soirée contemporaine au Ballet de l’Opéra de Paris, donnée en huis clos et diffusée en direct. Sa création Et si côtoie alors celles de Sidi Larbi Cherkaoui et de Tess Voelker. En 2023 il est nommé à la tête du CCN de Créteil et du Val-de-Marne et sa création Portrait tourne un peu partout dans l’Hexagone. Cette chorégraphie laissait voir de belles qualités qui ne demandaient qu’à se peaufiner.

Pour cette nouvelle pièce, intitulée 360, Mehdi Kerkouche souhaite instaurer une ambiance « engageante » pour les spectateurs et spectatrices à travers un dispositif scénique à 360° (d’où le titre) qui permet de se mouvoir librement tout autour de la scène, donnant à chacun et chacune l’opportunité de vivre sa propre expérience, à l’image d’un concert. Il s’agit de ne pas rester en position statique mais d’être en lien plus direct avec les interprètes et de « s’engager pleinement dans le processus créatif » pour reprendre les mots du chorégraphe. Cette tendance de vouloir faire participer le public ne date pas d’hier, elle se fait même très fréquente ces dernières saisons. Trop peut-être ? Je ne vous cache pas qu’une telle note d’intention peut représenter pour moi un red flag. La composante interactive faisant souvent office de gadget pour masquer un manque de fond. Mais gardons l’esprit ouvert !

 

360 de Mehdi Kerkouche – CCN de Créteil et du Val-de-Marne / EMKA

 

Sur place, pas de fauteuil. Les interprètes arrivent progressivement par le public pour s’installer sur le plateau circulaire, autour d’une structure métallique centrale, dans le plus grand des silences. Les premières notes retentissent et les huit danseurs et danseuses commencent à rebondir au rythme des basses, comme propulsées par les vibrations d’une enceinte. Les phrases chorégraphiques s’enchaînent progressivement, les déplacements se font de plus en plus amples. La capacité des artistes à s’approprier les pas, chacun et chacune à sa façon est frappante. Le chorégraphe a volontairement choisi des interprètes venant de styles différents – jazz commercial, hip hop, afro fusion, electro dance – et cela se sent dans l’exécution. Par quelques détails, un bras placé différemment, un mouvement de tête un peu plus accentué, chaque interprète arrive à montrer sa personnalité et son bagage chorégraphique, offrant ainsi une diversité de mouvements passionnante à observer. Mais qu’en est-il côté salle ?

Et bien il ne se passe pas grand-chose. Tout le monde reste bien sagement à sa place, quasi statique. Les plus audacieux.ses secouent discrètement de la tête pour marquer la mesure. Pourtant tous les ingrédients sont là pour que la recette puisse prendre, que ce soit la musique de Lucie Antunes (que le chorégraphe retrouve après Portrait), dont les sonorités entraînantes aident à instaurer une ambiance de clubbing, ou la chorégraphie qui, par son apparente simplicité, incite à faire de même. Est-ce par gêne que les spectateurs et spectatrices ne bougent pas ? Par flemme ? Tout simplement par manque d’habitude de ce genre d’interaction ? La présence d’une telle pièce dans un lieu aussi institutionnalisé que le Théâtre de Chaillot n’est-elle pas en cause ? Au bout de quelques minutes je me suis plu à imaginer ce dispositif en plein air, à l’occasion d’un festival par exemple. 

 

360 de Mehdi Kerkouche – CCN de Créteil et du Val-de-Marne / EMKA

 

Le schéma d’un spectacle reste finalement tout ce qu’il y a de plus classique : les artistes sur scène qui évoluent devant un public attentif, debout par contrainte plus que par réelle envie. Mais les ensembles efficaces se laissent suivre avec plaisir. Du moins en ce qui concerne le premier tableau. Après cette mise en bouche, la pièce prend un virage plus sombre et dramatique. S’en suit ainsi un enchaînement de saynètes dansées qui semblent vouloir représenter les maux de notre société : violence, discrimination, harcèlement de rue, masculinité toxique, aliénation au travail… Beaucoup de choses y passent. Certains tableaux sont assez percutants, notamment un duel impressionnant entre deux danseurs, mais l’ensemble traîne en longueur et l’enchaînement manque de fluidité. Malgré de très belles images, il est difficile de trouver une dramaturgie à laquelle se raccrocher pour pleinement entrer dans la danse.

Heureusement, le final vient réveiller tout ça. L’énergie présente au début reprend le dessous. Les interprètes se livrent complètement dans une ambiance électrisante, au lâcher-prise comme une dernière danse avant la fin du monde. Une conclusion forte, véritable exutoire à ce que l’on vient juste de voir et, de manière plus globale, aux informations anxiogènes qui nous entourent. Après tout, faire une pièce qui donne envie de danser pour oublier le quotidien est déjà en soi une finalité tout à fait honorable et bienvenue. Ces dix dernières minutes racontent en fin de compte plus de choses que la longue partie centrale, qui brise le rythme et coupe court à toute volonté d’engagement de la part du public.

 

360 de Mehdi Kerkouche – CCN de Créteil et du Val-de-Marne / EMKA

 

360 de Mehdi Kerkouche par le CCN de Créteil et du Val-de-Marne / EMKA. Musique de Lucie Antunes. Avec Jolan Cellier, Téo Cellier, Ashley Durand, Matthieu Jean, Jaouen Gouevic, Fien Lanckriet, Alice Lemonnier, Matteo Lochu, Grâce Tala. Jeudi 15 mai 2025 à Chaillot – Théâtre National de la Danse. À voir en tournée cet été et la saison prochaine : du 25 au 27 juin au Festival de Marseille, du 8 au 10 juillet aux Nuits de Fourvière, le 7 septembre en ouverture de la Biennale de la Danse de Lyon, du 14 au 18 octobre à la MAC de Créteil… 
 
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