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[Nuits de Fourvière 2025] Grace de Benjamin Millepied

Après avoir été créé à la Seine musicale en début de saison, Grace de Benjamin Millepied trouve un nouvel espace lors des festivals d’été, avec une venue au théâtre antique des Nuits de Fourvière. Un lieu qui sied à merveille à ce spectacle hommage à Jeff Buckley, dont les musiques et la vie ont inspiré le chorégraphe. Une pièce tout en harmonie, qui manque parfois d’âpreté, mais qui joue avec habileté de la danse mêlée à la vidéo pour porter cet univers musical unique.

 

Grace de Benjamin Millepied

 

Les notes de guitares de la musique de Jeff Buckley se mettent à résonner dans l’enceinte magique du grand Théâtre antique de Fourvière à Lyon, alors que la nuit tombe doucement : voilà les prémices de ce qui ressemble à une belle soirée de festival d’été. Créée à la Seine Musicale en région parisienne, la dernière création de Benjamin Millepied, Grace, prend sa place avec naturel sur cette scène en plein air. Le chorégraphe a découvert le chanteur en arrivant à New York, dans les années 1990, alors que ce dernier était encore vivant. Ses chansons ont bercé sa vie et il s’en empare pleinement dans ce spectacle, à mi-chemin entre une œuvre de danse et une sorte de comédie musicale jukebox, portée par la musique de l’artiste comme des extraits de son journal intime. Dix danseurs et danseuses, musiciens ou chanteuses parfois, et un cameraman retracent ainsi la vie de cette étoile filante, un musicien qui n’a sorti qu’un seul album, Grace en 1994, décède trois ans plus tard d’une noyade alors qu’il a 31 ans. Et devient après sa mort une icône du rock, avec cet album – contenant la cultissime reprise de Hallelujah de Leonard Cohen – comme des chansons posthumes, et notamment par sa reprise de 

Sur scène, Benjamin Millepied utilise un procédé dont il a l’habitude : la caméra en direct. Au-dessus du plateau est affiché un grand écran, sur lequel s’affichent les images du spectacle tourné en live par un cameraman, tournoyant au milieu des danseurs et danseuses. La nuit n’étant pas encore complètement tombée, ces images mettent magnifiquement en lumière cette scène antique et son imposant amphithéâtre, donnant un goût particulier à la première scène de danse, en groupe. Mais les artistes semblent s’adresser davantage à la caméra qu’au public, avec des regards appuyés sur l’objectif qu’ils en sont presque agaçants. Mais le procédé devient vite plus fluide au fil des chansons, donnant une vraie profondeur à la mise en scène. Sur le plateau se succèdent ainsi de beaux duos et moments d’ensemble, alors que la caméra joue les focus : elle s’attarde sur un visage pris dans son émotion, à ce qui se passe derrière, à ce que l’on devine en contre-jour. Ce qui se passe sur l’écran semble véritablement dialoguer avec la danse, dans un jeu de miroirs parfois d’une grande beauté.

 

Grace de Benjamin Millepied

 

Si les addicts de Jeff Buckley profitent sûrement mieux que moi des multiples références, il n’est cependant pas nécessaire de connaître sur le bout des doigts la vie du chanteur pour se laisser emmener au fil des chansons. On comprend l’anxiété, l’envie de s’évader, une certaine pureté aussi. Quelle fascination, ainsi, quand la caméra fait paraître le protagoniste comme s’envolant au-dessus de son lit. La danse est vive et précise, large, tout en harmonie. Presque trop. Tout est beau et bien pensé, mais il manque comme des aspérités sur lesquelles s’accrocher, dans l’écriture chorégraphique comme chez les artistes qui ont parfois du mal à se démarquer. Le danseur incarnant Jeff Buckley, s’il est très investi et montre une grande présence en scène, semble parfois être un peu trop dans la posture; Et tout paraît un peu trop calculé, de la barbe de trois jours aux tatouages. Les gros plans à la caméra ne pardonnent pas : s’ils peuvent être un formidable vecteur d’émotions, cela a du mal à passer dès que l’incarnation est un peu feinte. Loup Marcault-Derouard incarnait ce rôle lors de la création à la Seine musicale, le changement de distribution – le danseur étant occupé avec Red Carpet de Hofesh Shechter au Palais Garnier – a peut-être joué en la défaveur de l’ensemble.

La deuxième partie prend cependant une tonalité différente. Après avoir été mené par les chansons de l’album Grace, la suite du spectacle repose ensuite sur des titres posthumes. La tonalité est plus rock, la danse gagne en âpreté. L’ensemble s’assombrit aussi, la mort plane. Le chanteur, qui semblait dans la première partie un peu extérieur aux autres protagonistes, s’inscrit plus dans le groupe. Petit à petit, le deuil s’insinue, notamment par une magnifique danseuse qui porte le drame avec une réserve poignante. La dernière scène, que l’on ne devine qu’à travers la pénombre et visible sur l’écran, garde ce goût du tragique, de l’inéluctable. Les dernières notes de Jeff Buckley résonnent alors que la nuit est tombée. S’il y a toutefois la perceptible impression d’avoir assisté à une suite de clips bien menés, le charme de Grace et sa sensibilité laissent de jolis souvenirs en tête. Et l’envie de se replonger dans la musique de ce chanteur à la musique universelle. 

 

Grace de Benjamin Millepied

 

Grace de Benjamin Millepied, avec David Adrian Freeland, Eva Galmel, Daisy Jacobson, Oumrata Konan, Morgan Lugo, Jobel Medina, Marzia Memoli, Helena Olmedo, Victoria Rose Roy et Ulysse Zangs, Olivier Simola (collaboration artistique et vidéo), Loïc Barrere (écriture et sélection) et Christian Longchamp (dramaturgie)

Les Nuits de Fourvière continuent jusqu’au 26 juillet.

 
 
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