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Festival Wings of time Jiří Kylián – Day after Yesterday – Ballet national de Norvège

Continuons notre retour du riche festival Wings of time dédié à Jiří Kylián, organisé début juin pendant deux semaines intenses par le Ballet National de Norvège. Après le programme Day before Tomorrow, dédié à des oeuvres plus récentes du chorégraphe, place à la deuxième soirée du festival, Day after Yesterday, centrée sur quatre pièces plus anciennes de Jiří Kylián et portée par l’Orchestre et le Choeur de l’Opéra national de Norvège. Un programme riche et intense, où chaque pièce – Forgotten Land, No More Play, Petite mort et Symphony of Psalms – se construit avec une sensibilité rare sur les superbes partitions de Britten, Webern, Mozart et Stravinsky.

 

Symphony of Psalms de Jiří Kylián – Ballet National de Norvège

 

L’arrivée à l’Opéra d’Oslo fait toujours son petit effet, avec la grande verrière du bâtiment lumineuse sous le soleil comme les nuages de Norvège, comme un bateau sortant du fjord. Pour le festival Wings of time que le Ballet National de Norvège consacre à Jiří Kylián, l’entrée est d’autant plus séduisante car la façade de l’Opéra est traversée par d’impressionnantes silhouettes de danseurs et danseuses. Le chorégraphe occupe la compagnie par sept de ses pièces pendant deux semaines et prend aussi l’espace du lieu avec diverses de ses récentes installations. Moving Still en fait partie et, si elle a été créée en 2024 à Prague, elle semble avoir été pensée sur-mesure pour la sculpturale verrière de l’Opéra d’Oslo, tant tout y est en harmonie. Jiří Kylián a demandé à huit de ses grands interprètes – ​​Lorraine Blouin, Cora Bos Kroese, Valentina Scaglia, Shirley Esseboom, David Krügel, Ken Ossola, Stefan Żeromski et Michael Schumacher -, avec qui il travaille depuis des années, de scanner leur corps en trois dimensions. Cela donne huit statues en mouvement, un peu plus grandes que nature, traversant la verrière de l’Opéra par un geste dansé, comme un mouvement perpétuel. Et c’est d’une beauté fascinante.

Sur scène, après le programme Day before Tomorrow, place à la soirée Day after Yesterday mettant à l’honneur des pièces anciennes de Jiří Kylián, toutes portées par de magistrales partitions. Forgotten Land, créée en 1981 au Ballet de Stuttgart, a trouvé sa place naturellement au Ballet National de Norvège en 1999 : le chorégraphe s’est inspiré du tableau d’Edvard Munch La Danse de la vie, que l’on peut voir à Oslo, représentant une femme à trois étapes de sa vie. Jiří Kylián mêle l’inspiration de cette peinture à la musique dans cette pièce onirique et tranchante, où une femme en robe rouge se démarque dans un groupe d’une douzaine d’artistes. Le fond de scène a les couleurs changeantes et sombres de Munch, et c’est comme une grande vague qui semble se déverser sur le plateau. Toute une vie semble se découler de Forgotten Land, celle de l’esprit d’une femme rebelle, prise entre de multiples contradictions. L’on peut aussi se laisser uniquement guider par la musicalité de la danse, toujours sur le fil, au milieu de ses longues arabesques penchées, si présentes dans les pièces de Jiří Kylián.

 

Forgotten Land de Jiří Kylián – Ballet National de Norvège

 

À l’image de la musique d’Anton Webern, No More Play est un peu moins facile à saisir spontanément. La scénographie est pour le coup minimaliste et seuls cinq interprètes sont en scène, pour une leçon de grammaire chorégraphique kylianesque. Il faut se laisser emporter par la danse écrite au cordeau, par la richesse et l’inventivité perpétuelle du langage chorégraphique, dénué de sentiments. « J’avais parfois l’impression de jouer à un jeu avec des règles très précises, écrites dans une langue oubliée depuis longtemps« , raconte le chorégraphe. C’est un peu ce que l’on ressent devant No More Play : on comprend une chorégraphie incroyable répondant à des règles complexes, sans que l’on en ait pourtant les codes. Ce qui n’empêche à aucun moment de se laisser emporter par cette pièce magistrale, par la richesse de ses gestes.

 

No More Play de Jiří Kylián – Ballet National de Norvège

 

Et quand Petite mort démarre, c’est comme si, tout à coup, dès le grand rideau noir en mouvement, nous comprenions les règles. La musique de Mozart démarre, et tout s’éclaire. Après la danse presque scientifique de No More Play, place à l’émotion pure, à un shot de sensations splendides, à ce sentiment si exaltant d’avoir l’impression de danser avec les interprètes tant nous saisissons chaque sens de leurs mouvements. No More Play et Petite mort s’enchaînent sans coupure – la robe noire emblématique de la deuxième pièce apparaît d’ailleurs au début de la première, comme un clin d’œil – et les deux apparaissent comme les deux facettes d’un même miroir. Je dois avouer que, la dernière fois que j’ai pu voir Petit Mort, à l’Opéra de Paris en 2023, la pièce m’avait presque agacée tant je sentais le point de vue masculin hétéronormé. Petite mort raconte l’extase, comme le dit son titre. Mais elle peut aussi, tout simplement, n’être qu’une histoire de sensations créées par la musique. Le Ballet National de Norvège part plus vers cette direction, et ne rend ainsi que plus intensément l’universalité de la pièce, sa formidable puissance d’une rare sensibilité. Petite mort est un enchaînement de beauté qui vous percute le cœur inlassablement.

 

Petite mort de Jiří Kylián – Ballet National de Norvège

 

Pour terminer, Symphony of Psalms sur la musique complexe de Stravinsky, pièce maîtresse du chorégraphe, montre toute la magie du collectif. Il l’a d’ailleurs créée en 1978, alors qu’il venait de prendre la tête du Nederlands Dans Theater, peut-être cherchait-il à donner corps à l’ensemble. Seize artistes sont en scène et le restent du début à la fin. On y retrouve le goût de Jiří Kylián pour les scénographies marquantes, avec un fond de scène composé de dizaines de tapis orientaux, d’un rouge profond. Beaucoup ont comme dessin une signification spirituelle, dont le chorégraphe s’est inspiré pour sa danse, la mêlant à la musique religieuse de la partition. Mais le ton n’est pas d’aller glorifier Dieu. Au contraire, les personnes en plateau semblent chercher l’équilibre entre leurs croyances – symbolisées par les prie-Dieu en fond de scène – et la dureté de leur monde, rempli de conflits. Symphony of Psalms s’enchaînent dans une grande virtuosité, chacun semblant chercher dans l’autre la réponse à ses questions, la raison de ses douleurs. L’oeuvre nous ramènent à notre condition humaine, tout en nous élevant par la beauté farouche de la danse, l’incandescence des gestes, la sensibilité de chacun et chacune mise à nu.

Il faut un peu de temps pour sortir de cette pièce. La musique du trompettiste de jazz Nils Petter, qui nous accueille dans le hall avec une improvisation enjôleuse, est la bienvenue après la densité de la soirée. Ses notes s’élèvent vers cette verrière traversée par ses huit statues, qui semblent comme danser avec les mouettes du port dans la lumière du soleil couchant, celle de juin d’Oslo qui ne s’endort vraiment jamais. On ne pouvait rêver plus belle conclusion.

 

Moving Still de Jiří Kylián – Opéra d’Oslo

 

 

Festival Jiří Kylián Wings of time par le Ballet National de Norvège – Soirée Day after Yesterday

Forgotten Land de Jiří Kylián, musique de Benjamin Britten, avec Samantha Lynch, Jonathan Olofsson, Leyna Magbutay, Josh Nagaoka, Daniela Cabrera, Joakim Visnes, Isabel Vila, Jules Chastre, Youngseo Ko, Ricardo Castellanos, Celine Kraal et Leonardo Basilio ; No More Play de Jiří Kylián, musique d’Anton Webern, avec Astrid Lyngstad, Nae Nishimura Skaar, Dingkai Bai, Lucas Lima et Giuseppe Ventura ; Petite mort de Jiří Kylián, musique de Wolfgang Amadeus Mozart, avec Isabella Boyd, Jules Chastre, Daniela Cabrera, Andrew Coffey, Julie Petanova, Mathias Tannæs, Natasha Dale, Leonardo Basilio, Johanne Wien Pedersen, Linus Lynch, Gina Storm-Jensen et Simon Regourd ; Symphony of Psalms de Jiří Kylián, musique de Igor Stravinsky, avec Hana Nonaka Aillon, Ricardo Castellanos, Sonia Vinograd, Marco Pagetti, Freya Murzagaliyev-Thomas, Pedro Alcantara, Grete Sofie Borud Nybakken, Linus Lynch, Anna Sheleg, Joakim Visnes, Thea Gudim Breder, Alberto Ballester, Elise Nøkling-Eide, Dingkai Bai, Idun Sofie Landgraff Bækken et Giuseppe Ventura.

Orchestre de l’Opéra national de Norvège, Choeur de l’Opéra national de Norvège (Symphony of Psalms), Yoko Toda (soliste piano pour Petite Mort). Direction musicale Vello Pähn.

Mardi 3 juin 2025 à l’Opéra d’Oslo.

 

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