[Festival de Marseille 2025] Weathering de Faye Driscoll / Dive into you de Kat Válastur
Le Festival de Marseille propose un savant dosage entre pièces longues d’artistes réputés jouissant déjà d’un public et des créations moins connues et formats plus courts mais souvent passionnants. Marie Didier, sa directrice, déniche des pépites qui offrent de belles découvertes. Ainsi la new-yorkaise Faye Driscoll casse la baraque à la Friche de la Belle de Mai avec un détonnant voyage cataclysmique sur un Radeau de la Méduse revisité. Les dix interprètes de Weathering jouent avec panache une course vers le chaos juchés sur leur matelas carré jusqu’à nous épuiser. La performeuse grecque Kat Válastur joue de son côté en solo, plantée sur une chaise pour une performance physique inouïe. Deux programmes inégaux, imparfaits mais stimulants.

Weathering de Faye Driscoll
Pour cette édition 2025 du Festival de Marseille, nous avons déjà évoqué deux grosses têtes d’affiche Peeping Tom et Michel Kelemenis. Place maintenant à des découvertes, des noms moins connus sortant des sentiers battus. Weathering, la pièce de l’américaine Faye Driscoll, aurait l’air de ne pas y toucher. La scène est méticuleusement organisée en structure quadri-frontale, avec au centre un épais matelas de couleur beige au revêtement moelleux. Connaissant la réputation d’une artiste qui dirige ses performances du côté d’une radicalité extrême, on pressent que l’on ne paye rien pour attendre. Pourtant, les dix interprètes qui entrent l’un après l’autre ont l’air de rejouer un défilé Benetton des années 1980, époque united colors, style casual chic. Bien qu’en les observant de près, les fringues ont probablement été chinées dans une friperie. Ils et elles marchent, tournent, montent sur ce matelas carré épais comme pour l’essayer, jusqu’à ce que tous les dix se retrouvent en équilibre précaire, arrêtés dans leur mouvement. Cette entrée n’est qu’un prélude avant le show. Et quel show ! Toutes et tous paraissent ne pas bouger, imposant ainsi un silence total du public en attente d’une quelconque déflagration. Elle viendra si l’on sait patienter car l’air de rien, les performeurs bougent de manière imperceptible.
On pourrait presque douter mais non : le mouvement est subreptice, effectué dans une lenteur mais il est là. Et pour que chacun des quatre blocs de spectateurs et spectatrices puissent jouir d’un autre point de vue, deux techniciens impriment une rotation, repartent, reviennent jusqu’au moment où cette estrade devient un Radeau de la Méduse en folie. La pesanteur fait fléchir lentement mais sûrement les interprètes qui se lancent dans un strip-tease démoniaque, presque intrusif quand ils fouillent sous les vêtements de leurs partenaires. Faye Driscoll elle-même dirige la danse, ôte les oripeaux et autres objets jetés à terre. Sur le matelas, les artistes sont désormais à moitié nus, en sueur, visiblement épuisés alors qu’alternativement ils impriment eux aussi ce mouvement de toupie infernal. Il ne reste plus rien de l’image initiale si pimpante ; ce ne sont plus que des corps éreintés, dégoulinants. Dans cette performance qui va de l’infiniment lent, policé, silencieux vers une cinétique infernale, folle, chaotique et résolument trash, Faye Driscoll nous parle du désordre infernal du monde, des pièges de l’apparence. Weathering est davantage une expérience sensorielle qui alternativement fascine et agace mais qui remue constamment.

Weathering de Faye Driscoll
Kat Válastur opère elle aussi dans cet entre-deux formel, à la frontière des genres. Peu vue encore en France, c’est une bonne pioche du Festival de Marseille. Voilà une écriture tout à fait singulière. Danseuse, chanteuse, performeuse, Kat Válastur s’exprime en solo, assise sur une chaise placée sur un parquet en bois de forme ovoïde entourée de micros. Dive into You se regarde autant qu’il s’écoute. L’artiste grecque installée en Allemagne mêle sons, percussions et voix, faisant tournoyer sa crinière blonde sur une musique écrite par le français Aho Ssan. C’est à peine si l’on perçoit son visage. L’inflexion du mouvement part du haut du corps, produisant une série de moulinets répétés ad libitum alors que telle une danseuse de flamenco, ses pieds tapent le sol sonorisé d’où partent des bruits métalliques. Cet instrument qu’elle utilise s’appelle le semantron. Il semble ne faire qu’un avec le geste de la danseuse dans une totale osmose entre danse et sons. Kat Válastur déploie une énergie époustouflante du fond de sa chaise comme si la position assise ne limitait en rien son geste.
Reste à savoir là où elle veut nous amener : sa performance fascine mais elle prend le risque de la prolonger un peu trop et de se répéter. Cette redondance et l’abus des effets stroboscopiques qui agressent les yeux finissent par lasser. C’est dommage car Kat Válastur dispose d’un matériau unique et original. Elle peine à mettre le point final qui est pourtant un moment d’une poésie extrême lorsqu’elle se lève et marche dans une atmosphère enfin apaisée, sans la fureur du son et lumières. C’est assurément une artiste que l’on veut revoir.
Accepter de s’aventurer vers des territoires inconnus, c’est le sel unique du Festival de Marseille. Chacune de ses propositions est une ouverture vers des esthétiques passionnantes, celles qui ont déjà fait leurs preuves et d’autres qui sont prêtes à prendre le risque de la radicalité afin de nous secouer, ce qui est toujours nécessaire. Il n’est pas sain comme spectateur de s’enfermer dans ce qui nous rassure.

Dive into You de Kat Válastur
Weathering de Faye Driscoll avec James Barrett, Kara Brody, Amy Gernux, David Guzman, Maya LaLiberté, Mykel Marai Nairne, Jennifer Nugent, Cory Seals, Carlo Antonio Villanueva et Jo Warren. Vendredi 20 juin 2025 à la Friche de la Belle de Mai. À voir en tournée à Paris au 104 dans le cadre du Festival d’Automne du 12 au 15 novembre.
Dive into You de et avec Kat Válastur, musique d’Aho Ssan, lumières de Martin Beeretz. Samedi 21 juin 2025 au KLAP de Marseille.
Le Festival de Marseille continue jusqu’au 6 juillet.