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[Montpellier Danse 2025] Figures in Extinction de Crystal Pite et Simon McBurney – Nederlands Dans Theater

Quelle belle affiche pour Montpellier Danse ! Quelques mois après sa création aux Pays Bas, Figures in Extinction, la nouvelle pièce très attendue de Crystal Pite pour le Nederlands Dans Theater, dont elle est artiste associée depuis 2008, a marqué l’édition 2025 du festival. Pour cette œuvre ambitieuse en trois actes, la chorégraphe s’est associée au metteur en scène Simon McBurney, pour un tout qui mêle danse virtuose et théâtre, par des procédés dont Crystal Pite est une habituée. Elle nous raconte l’extinction, celle du vivant et de notre humanité. Une extinction dont nous sommes les témoins et qui pourtant n’arrive pas à nous faire bouger. À la fois magistrale et complexe, obscur parfois, Figures in Extinction déroute tout autant qu’elle emporte par sa puissante beauté crépusculaire.

 

Figures in Extinction de Crystal Pite et Simon McBurney – Nederlands Dans Theater

 

Après Akram Khan, place à Montpellier Danse à une autre très grande figure de la danse actuelle, la chorégraphe Crystal Pite. Ou plutôt à deux, puisqu’elle est venue avec le Nederlands Dans Theater, fantastique compagnie de danse contemporaine au niveau inégalable, pour sa nouvelle création Figure in Extinction, imaginée à quatre mains avec l’homme de théâtre Simon McBurney. Dense, complexe, d’une beauté sublime, touffue, obscure… Cette nouvelle pièce n’est pas facile à appréhender. Mais quel spectacle pourtant, pendant plus de deux heures ! Figures in Extinction se situe dans la lignée des derniers spectacles de la chorégraphe créés en 2023. De Light of passage, Crystal Pite en conserve la construction en trois actes, tous très différents, et le même final sous la lumière comme un rayon de l’univers en clair-obscur signé Tom Wisser. De Assembly Hall, montée avec sa propre compagnie, et qui déjà avait déstabilisée, elle y amène le procédé du texte en bande-son, porté par les interprètes qui y synchronisent leurs gestes et mouvements des lèvres. L’inspiration y est cependant bien différente. Avec cette nouvelle pièce, Crystal Pite se lance à corps perdu dans l’interprétation de l’extinction de notre monde et du vivant, par notre faute, alors que nous regardons ailleurs.

Le premier acte, créé par Crystal Pite avec le regard Simon McBurney, reste la partie où la danse est la plus conforme à ce que l’on attend de la chorégraphe, pour qui a déjà vu ses pièces pour les compagnies de Ballet. Avec les artistes virtuoses du Nederlands Dans Theater, qui semblent capables de tout interpréter, la chorégraphe nous raconte le monde du vivant en voie d’extinction. Les artistes deviennent ainsi un poisson au milieu des anémones, un mamouth sortant du fond des âges, une orchidée en train d’éclore, un glacier en pleine dislocation, un couple de macao se lançant dans les rituels amoureux. Tout cela avec finalement peu d’effets, un accessoire, une lumière enveloppante. Tous ces moments anodins de la nature deviennent ainsi des moments précieux et rares, si riches de poésie, d’une stupéfiante beauté. Crystal Pite joue des infimes mouvements des mains pour signifier un battement d’ailes, des courbures du dos pour le frémissement des glaces, une infime agitation des doigts pour le murmure des vagues. Elle met en scène avec tout son art l’art des ensembles, ces mouvements si puissants du haut du corps, jambes pliées rappelant certains passages de The Seasons’ Canon. La chorégraphe mêle à ces différentes saynètes des passages plus théâtraux, portés par le texte en play-back nous rejouant la conférence d’un climatosceptique, qui ne rend que plus fragile l’incarnation des plantes et animaux et donnant à l’ensemble une puissance dramatique percutante. Par la gestuelle comme par l’utilisation du texte, Crystal Pite reste dans une certaine zone de confort ou d’habitude. On pourrait voir cela comme une répétition. J’y vois plutôt sa signature artistique, qui certes se retrouve de pièces en pièces mais porte à chaque fois des sensations différentes.

 

Figures in Extinction de Crystal Pite et Simon McBurney – Nederlands Dans Theater

 

Le deuxième acte évoque une autre extinction, celle du lien que nous avons avec la nature par notre hyper connexion aux écrans. Cette partie est avant tout signée de Simon McBurney, donc plus tournée spontanément vers le théâtre que vers la danse. Le texte, toujours avec ce système de playback, est omniprésent et sûrement beaucoup trop. Tout démarre pourtant d’une façon puissance. Les danseurs et danseuses sont assis, les yeux rivés sur leur main que l’on devine munie d’un téléphone. L’absurde se mêle à un regard d’une profonde acuité sur notre dépendance aux écrans, en dépit de toute la beauté de la nature déployée juste avant. Puis le texte par dans une conférence presque scientifique, autour des deux hémisphères de notre cerveau qui rendrait notre espèce humaine tout aussi douée pour la violence que pour l’empathie, expliquant cette extinction de masse dont nous sommes les fossoyeurs comme les victimes. Les deux artistes semblent avoir atteint les limites du procédé : le texte est trop dense et pollue la danse (même pour des personnes bilingues). Une danse pourtant si juste, pleine de sens et porteuse d’un profond sens narratif qu’elle n’a pas besoin de tout ce système pour nous atteindre et faire porter son message. Le geste va à toute vitesse, sans jamais perdre sa précision implacable, semblant comme nous entraîner dans le mur qui se profile. Ce deuxième acte nous perd ainsi un peu, même s’il est riche de symboles et de pistes artistiques, dans lesquels se fondent avec toujours autant de talents et de présence les artistes du NDT.

J’attendais ainsi que le troisième acte apporte du liant. Il n’en est rien pour cette dernière partie créée conjointement par Crystal Pite et Simon McBurney. L’extinction évoquée est ici la Mort. La pièce mêle moment de théâtre – tirant vers l’absurde ou la dérision – et une danse plus sobre, débarrassée de ses effets. La chorégraphe va chercher une gestuelle plus ancrée dans le sol où se mêlent des inspirations hip hop, en tire un magnifique solo d’une beauté déchirante comme de longs ensembles où la mélancolie affleure. Les lumières de Tom Wisser enveloppent les artistes d’une douceur obscure, toute aussi belle que vide de toute espérance. Cela rappelle visuellement le final de Light of passage, mais contrairement à cette pièce où l’espoir prédominait, Figures in Extinction semble se terminer sur la fin de l’humanité. Comme si ces danseurs et danseuses étaient les derniers êtres humains sur la Terre, entonnant une dernière danse comme un ultime chant du cygne.

 

Figures in Extinction de Crystal Pite et Simon McBurney – Nederlands Dans Theater

 

Les images et sentiments ambivalents s’entrechoquent à la sortie du spectacle. Beaucoup de questions semblent être restées sans réponse. On cherche encore le lien entre les trois pièces qui, malgré un thème commun, a du mal à être perçu, à donner un tout cohérent. Pourtant, que d’images incroyables, de sensations physiques, d’émotions et de beautés durant ces plus de deux heures de spectacles. Jamais la chorégraphe ne nous perd, jamais elle ne m’a laissée sur le bord du chemin. Crystal Pite semble avoir jeté sur scène toutes ses angoisses face à notre monde qui s’écroule, sans chercher forcément à les ordonner, à les rendre absolument lisibles, préférant l’instinct du geste, la puissance du jaillissement et faisant confiance à ces interprètes fantastiques du NDT qu’elle connaît si bien. Si tout n’est pas clair dans Figures in Extinction, jamais rien n’y est vain. C’est bien là ce qui compte. 

 

Figures in Extinction de Crystal Pite et Simon McBurney – Nederlands Dans Theater

 

Figures in Extinction de Crystal Pite et Simon McBurney par le Nederlands Dans Theater. Avec Alexander Andison, Demi Bawon, Anna Bekirova, Jon Bond, Conner Bormann, Pamela Campos, Emmitt Cawley, Nicole Ishimaru, Chuck Jones, Paloma Lassère, Geneviève O’keeffe, Kele Roberson, Luca Tessarini, Theophilus Veselý, Nicole Ward, Sophie Whittome, Rui-Ting Yu, Zenon Zubyk, Isla Clarke, Scott Fowler, Barry Gans, Ricardo Hartley III et omani Ormskirk. Mercredi 25 juin à l’Opéra Berlioz de Montpellier, dans le cadre de Montpellier Danse. À voir du 4 au 6 juillet au Deutsche Oper de Berlin et du 22 au 24 août au Edinburgh International Festival.

Le Festival Montpellier Danse continue jusqu’au 5 juillet.

 
 

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Commentaires (1)

  • LaurentBarre

    Après avoir été impressionné et ému par les spectacles précédents de Crystal Pite (Angel’s Atlas, Seasons’ Canon, Light of Passage, Solo Echo), Figures in Extinction est une grosse déception pour moi.
    Les 3 parties sont beaucoup, beaucoup, beaucoup trop bavardes, avec de longs passages où la danse est absente.
    Si la salle de Montpellier a applaudi à raison la virtuosité des artistes du NDT, les avis en sortie étaient aussi très mitigés.

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