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[Festival de Marseille 2025] Mathilde Invernon / Candela Capitán / Anne Festraets / Sandrine Lescourant

La 30e édition du Festival de Marseille s’est achevée dimanche 6 juillet après trois semaines où la danse et la performance ont rayonné dans 18 lieux de la ville. Créations mondiales, premières européennes et françaises, reprises, coproductions, productions in situ et créations participatives ont mis à l’honneur des artistes majeurs des scènes internationales comme Faye Driscoll (Weathering), Peeping Tom (Chroniques), Lia Rodrigues (Encantado), Nermin Habib (Reclaiming) ou encore Christos Papadopoulos (My Fierce Ignorant Step). Présente tout au long de cette manifestation qui a réuni près de 19.500 spectateur.rices, l’équipe de DALP a pu constater la diversité des propositions et la place importante accordée à la co-création avec des projets impliquant plus de 700 Marseillais·es de tous âges et toutes origines. Comme dans les deux belles re-créations Les Oiseaux rares d’Anne Festraets et Blossom de Sandrine Lescourant présentées dans la dernière semaine du festival.

 

Bell End de Mathilde Invernon

 

Cette année encore, il convient de saluer la place accordée aux femmes au Festival de Marseille, tant en termes de parité et de visibilité que de moyens artistiques alloués. Soirée très féminine donc à la Friche La Belle de Mai avec Bell End de la danseuse et comédienne franco-espagnole basée en Suisse Mathilde Invernon et Solas de l’Espagnole Candela Capitán. Dans une performance originale, la première s’attaque à la figure du « connard », autrement dit de l’incarnation de la masculinité toxique qui imprègne notre société contemporaine. Dès le début de la pièce, alors qu’elle impose une présence sans gêne et outrancière au milieu du public, on perçoit comment Mathilde Invernon entreprend de s’emparer des comportements masculins pour les vilipender. On sourirait presque de ce détournement de démonstrations de virilité : clins d’œil un peu trop appuyés, mains dans le pantalon et autre manspreading (jambes écartées) si bien imités. Jusqu’à cette raie des fesses qui se dévoile. Mais la brutalité qui affleure progressivement ne donne très vite plus du tout envie de rire.

Avec sa partenaire Arianna Camilli, vêtues de costumes noirs qui laissent échapper leurs ventres, elles se glissent dans la peau de personnages masculins caricaturaux pour explorer et renverser les codes du pouvoir dominant. Gestes reproduits à l’identique, mots balancés crûment en mode ventriloquie, chanson paillarde répétée jusqu’à l’écœurement, elles déploient une proposition mêlant grotesque et gravité. Et c’est une réflexion puissante sur l’omniprésence et la banalité de la violence subie par les femmes qui jaillit de leurs corps et de leurs mots martelés. C’est à la fois dérangeant et jouissif de pouvoir ainsi tordre le cou à ce patriarcat oppressant.

 

Solas de Candela Capitán

 

La pièce qui suit, aussi prometteuse soit-elle dans l’intention, n’a étonnement pas la même force. La chair est triste, hélas et la réflexion à laquelle nous invite Candela Capitán nous laisse à distance même si on en perçoit les objectifs. Cinq danseuses aux mensurations quasi équivalentes en combinaisons moulantes rose flashy, cuissardes blanches et longue chevelure noire ramenée en queue de cheval investissent le plateau. Après l’avoir arpenté de long en large façon catwalk, le nez plongé dans leur smartphone, les cinq clones se positionnent chacune devant un écran d’ordinateur. Elles enchaînent de façon mécanique et itérative les mêmes mouvements de plus en lascifs.

Avant le spectacle, le public a été convié à se connecter via un QR code à une plateforme de live streaming érotique pour retrouver les cinq camgirls dans des salles virtuelles. Ce prolongement virtuel de ce qui se joue sous nos yeux sur scène n’apporte au final pas grand-chose de plus à la posture de voyeur dans laquelle la performeuse nous plonge. L’ennui guette… Il manque peut-être le grain de sable dans ces rouages impeccablement huilés pour faire surgir autre chose de plus provocateur. Cette vision de ce monde clinique et froid où les corps s’offrent sans retenue échoue à montrer l’hypersexualisation de la société comme terreau de la violence à l’égard des femmes.

 

Les oiseaux rares d’Anne Festraets

 

Le lendemain, cap vers le parc Billoux, poumon vert marseillais. C’est là que la Bruxelloise Anne Festraets a planté le décor de son spectacle Les oiseaux rares. Tavalodet Mobarak, « joyeux anniversaire » en persan, s’étale dans les arbres, en grosses lettres dorées gonflables, au côté d’autres guirlandes à fanions. Nous sommes rassemblés pour célébrer les 18 ans de Jawad, un jeune Afghan que la justice a arbitrairement déclaré majeur. Cette proposition à fois spectacle musical et fiction documentaire évoque le parcours de ces jeunes mineur.es étranger.ères qui arrivent plein d’espoir en Europe après d’interminables périples. Par cette réunion festive où des participants prennent la parole pour évoquer l’absent, toute une réalité se fait jour.

Ce spectacle où la force de la jeunesse éclate dans toute sa vivacité prend la forme d’un voyage qui finit en fête joyeuse. Créé à partir d’ateliers avec des adolescent·es dont des Mineurs Étrangers Non Accompagnés, Les Oiseaux Rares se renouvelle chaque soir au son des cuivres, des percussions, porté par un rap plein de fougue. Quand la politique et la poésie se mêlent pour offrir une réponse à l’absurdité administrative, cela donne un spectacle généreux qui a toute sa place au Festival de Marseille. À la fin, tout le monde danse, poussé par un élan vital et une envie de communion. Pour tous les Jawad qui méritent mieux que l’avenir qu’on leur refuse…

 

Blossom de Sandrine Lescourant

 

Encore portés par cette énergie collective, cette ferveur et ces sourires partagés, on poursuit la soirée dans l’écrin du théâtre de verdure de la Sucrière. Pour cette re-création de sa pièce Blossom, la chorégraphe Sandrine Lescourant a travaillé avec un groupe de quatorze participants amateurs et cinq interprètes issus de la danse, du gospel, du slam, du beat boxing et du beat making. L’alchimie est parfaite. Se fondant dans le groupe, les artistes confirmés se font à la fois guides et partenaires.

Formidable ode au pouvoir de la danse, cette pièce collective dégage une force communicative. Si certain.es se détachent de cet essaim vibrionnant, chacun fait sa part dans cette création à haute valeur ajoutée. Dans la chaleur encore étouffante de cette nuit de juillet, les corps se meuvent dans une dynamique qui alterne moments de recueillement, explosions rythmiques et chants collectifs. Cette vitalité et cette spontanéité sont belles à voir. Notre regard balaie cette assemblée si soudée et se pose par moments sur l’élasticité de l’un, la grâce d’une autre. On aimerait n’en louper aucun, donner à chacune et chacun l’attention qu’elles et ils méritent. « Je crois qu’il existe une vérité tapie en chacun de nous qui nous pousse à danser. Proche de l’instinct de survie et loin d’un simple désir épidermique, je crois que tout de nous aspire à s’élever quand la danse nous gagne », écrit Sandrine Lescourant. Ce Blossom en pleine éclosion en est une parfaite et très réussie illustration.

 

Blossom de Sandrine Lescourant

 

Festival de Marseille 2025

Bell End de Mathilde Invernon avec Arianna Camilli et Mathilde Carmen Chan Invernon. Mercredi 2 juillet 2025 à la Friche la Belle de Mai.

Solas de Candela Capitán avec Rocío Begines, Laia Camps, Mariona Moranta, Vera Palomino, Julia Romero. Mercredi 2 juillet 2025 à la Friche la Belle de Mai.

Les Oiseaux rares d’Anne Festraets. Avec Stephane Diskus, Anne Festraets, Léa Le Fell, Judith Leonardon, Michel Massot, Benoît Randaxhe, Antoine Thonon et des adolescent·es. Jeudi 3 juillet 2025 au Parc Billoux.

Blossom de Sandrine Lescourant. Avec Najoi Bel Hadj, Dafne Bianchi, Joël Brown ou Jeremie Tshiala, Charlyngan Mathurine aka Cjm’s, Abraham Diallo. Jeudi 3 juillet 2025 au théâtre de la Sucrière. En tournée en 2025-2026.

 

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